Des expériences, et après ? - L'Infirmière Magazine n° 407 du 01/09/2019 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 407 du 01/09/2019

 

DÉMARCHES QVT

DOSSIER : DÉMARCHES QVT

LISETTE GRIES  

La qualité de vie au travail des soignants est promue pour faire évoluer le mode de fonctionnement de l’hôpital. Des initiatives locales prouvent l’intérêt de ces démarches, dans des contextes où le dialogue social n’est pas totalement dégradé.

Que mettre derrière le terme « qualité de vie au travail » (QVT), qui semble sur toutes les lèvres depuis quelques mois ? Le thème a émergé dans les années 1970-1980, dans des travaux menés notamment aux États-Unis. Le concept est alors compris comme une articulation entre les besoins des salariés et le contenu de leur travail, qui garantit à la fois le bien-être et l’efficacité productive. L’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact) souligne que la recherche anglo-saxonne a favorisé une approche centrée sur l’individu, considérant la QVT comme le pouvoir exercé par le salarié sur la conception de son poste de travail. À l’inverse, des chercheurs scandinaves ont adopté une approche davantage basée sur le collectif de travail et l’engagement des salariés.

En France, c’est plutôt la notion d’amélioration des conditions de travail qui a prévalu. La QVT fait son apparition en 2013, dans l’Accord national interprofessionnel (ANI) conclu entre les représentants des salariés et des employeurs. Le texte mentionne que « les conditions dans lesquelles les salariés exercent leur travail et leur capacité à s’exprimer et à agir sur le contenu de celui-ci déterminent la perception de la qualité de vie au travail qui en résulte ». L’Anact, qui est chargée d’accompagner - avec le réseau des agences régionales (Aract) - le déploiement des démarches QVT dans les différents secteurs d’activité, rappelle que l’accord de l’ANI « a marqué un tournant en encourageant directions et organisations syndicales à faire le lien entre les difficultés vécues et l’organisation du travail » (1).

Dans le secteur de la santé, la QVT a fait l’objet de travaux conjoints entre l’Anact et la HAS dès 2010. En 2014, les deux instances publient des conclusions et des perspectives issues de leur collaboration. « La qualité de vie au travail a pour objectif de concilier les modalités de l’amélioration des conditions de travail et de vie pour les salariés et la performance collective de l’entreprise. Elle s’intéresse aux conditions dans lesquelles les salariés effectuent leur travail. Leur capacité à s’exprimer et à agir sur le contenu de celui-ci détermine la perception de la qualité de vie au travail qui en résulte », précise une communication commune (2).

Un lien entre QVTet qualité des soins

Balayant un spectre d’actions assez large, la notion de QVT reste, par conséquent, un peu floue. Dans le secteur hospitalier, cette démarche est parfois accueillie avec circonspection, voire froideur, lorsque les salariés réclament des moyens humains et financiers pour pouvoir effectuer correctement leur travail. « L’univers de la santé est en plein bouleversement, la production des soins est modifiée par le développement de l’ambulatoire, constate Anne-Sandrine Castelot, consultante et formatrice au Grieps. Dans beaucoup d’établissements, le dialogue social a besoin d’être rétabli avant de pouvoir initier des démarches QVT. » La HAS, d’ailleurs, semble prendre en compte cette difficulté inhérente au milieu du soin. « Plus que dans d’autres secteurs d’activité, les professionnels de la santé sont confrontés au travail morcelé, à l’interruption des tâches, à une forte sollicitation psychologique, à des évolutions technologiques et à des modifications organisationnelles qui ont un impact sur leur qualité de vie au travail », précise-t-elle sur son site internet.

Pour autant, plusieurs études mettent en avant un lien entre QVT des soignants et qualité des soins. « Quand on demande aux soignants ce qu’est pour eux une « bonne journée » passée au travail, ils mentionnent majoritairement le fait d’avoir pu s’occuper correctement de leurs patients », souligne Maroussia Krawec, chargée demission à l’Aract Île-de-France. Les démarches QVT s’inscrivent donc aussi dans une perspective de performance de l’institution, ou du moins de l’unité de travail (pôle, service, etc.) concernée par les initiatives concrètes. « De nouveaux métiers vont émerger, d’autres se transforment : ces changements peuvent être anticipés et co-construits dans le cadre de démarches QVT, complète Anne-Sandrine Castelot. Il s’agit d’un axe stratégique en termes de performance. »

La certification des établissements par la HAS selon le manuel V2014 comprend d’ailleurs des critères liés à l’engagement de démarches QVT. Le ministère de la Santé a quant à lui instauré, en juillet 2018, un Observatoire national de la QVT des professionnels de santé et du médico-social, présidé par Philippe Colombat (lire p. 23). Cet observatoire a pour missions de développer et produire des connaissances sur le sujet et d’organiser un colloque pour développer le dialogue entre professionnels.

Des expérimentations accompagnées

Pour inciter les établissements de soins à s’engager, la HAS, l’Anact et la Direction générale de l’organisation des soins (DGOS) ont lancé, à la fin de l’année 2015, des « clusters sociaux QVT ». Rassemblant des établissements volontaires, ces clusters (groupements) avaient pour objectif d’accompagner les expérimentations mises en œuvre sur le terrain. « Sept établissements de la région Île-de-France ont participé à cette première vague de clusters, détaille Maroussia Krawec. À cinq journées collectives se sont ajoutées des actions d’accompagnement en interne. » Dans d’autres régions, l’ARS a co-animé les temps collectifs, auxquels participe une représentation paritaire de chaque établissement, composée d’un membre de la direction et d’un soignant.

Une deuxième vague de clusters a eu lieu en 2017-2018. En Île-de-France, deux groupes de six établissements ont alors été constitués. Dans toute la France, c’est 160 établissements qui ont été accompagnés par ces dispositifs, annonce l’Anact. D’une durée d’un an, les clusters sociaux sont envisagés comme une façon de mettre le pied des structures à l’étrier. « En fonction de la situation, nous suggérons des modes d’action adaptés, détaille Maroussia Krawec. Quand des changements d’organisation sont la source de difficultés, il semble important de mettre en place des espaces de discussion pour permettre aux professionnels de santé de s’exprimer sur leur travail et de proposer des solutions. »

Les conditions de la réussite

Pour être efficaces, ces démarches doivent prendre en compte certains critères. Le premier relève du collectif de travail. « La QVT est liée au management : cela ne relève pas d’initiatives individuelles, mais pas non plus de décisions de la direction dont l’encadrement ne peut s’emparer », précise Anne-Sandrine Castelot, qui assure pour le Grieps des missions de conseil et d’accompagnement auprès des structures de soin. Un autre critère commun à toutes les démarches est d’aménager des temps et des espaces d’expression et de communication, qui peuvent prendre plusieurs formes (lire p. 24). Enfin, les propositions formulées par les professionnels doivent pouvoir être entendues et traduites, au moins en partie, en modifications ou aménagements concrets. Bien souvent, d’ailleurs, ce n’est pas tout l’établissement qui est concerné, mais un pôle ou un service précis.

Devant permettre à l’équipe de trouver (ou de retrouver) l’utilité de sa mission dans l’objectif global qui est la meilleure prise en soin du patient possible, les initiatives QVT sont aussi des moyens de prendre de la hauteur, que ce soit par rapport aux pratiques professionnelles, aux modes de communication, à l’organisation du service, etc. Au-delà de démarches ciblées, c’est tout un mode de management qui est appelé à se développer. « Si l’on veut agir sur la qualité de vie au travail de ses équipes, il faut reconnaître leur valeur professionnelle, inscrire leur travail dans un projet d’avenir et leur laisser une marge de manœuvre dans leur périmètre d’action », conclut Anne-Sandrine Castelot.

1- Source : revue Travail et changement, n° 372, juin 2019.

2- À lire sur : bit.ly/2TM6xjp

SOUFFRANCE AU TRAVAIL

Une initiative des syndicats

Peu convaincus par les travaux menés par le ministère et la HAS pour développer la QVT, quatre syndicats infirmiers (le SNPI, le Snics, le Snies et Convergence infirmière) ont lancé, en mai, un Observatoire de la souffrance au travail (Osat). « Dans les démarches QVT, tout est laissé à l’appréciation des directions d’établissements : certaines peuvent mener une vraie politique, d’autres non. Il n’y a rien de structurel au niveau national pour répondre à la détresse des IDE, bien réelle », constate, amer, William Perel, membre du SNPI. Sur le site de l’Osat infirmier, les internautes sont invités à remplir un formulaire pour organiser leur témoignage. Près de 320 déclarations ont été enregistrées dès les deux premiers mois. « Certaines souhaitent être rappelées pour qu’on leur propose un appui, syndical voire psychologique, d’autres non », détaille William Perel. L’Osat se donne aussi pour mission d’identifier les causes des situations de souffrance.

souffrance-infirmiere.fr

À NE PAS CONFONDRE

QVT et bien-être au travail

« Sans doute avons-nous (..) perdu la bataille de la communication (…) puisque l’expression “QVT” désigne aujourd’hui aussi bien des cours de yoga en entreprise que des démarches centrées sur l’amélioration des façons de travailler », regrette Richard Abadie (1), directeur général de l’Anact. Si la QVT telle que l’entend l’Anact relève du collectif, les individus peuvent cependant agir sur leur bien-être au travail. Cours de fitness, décoration de la salle de pause, séances de réflexologie ou encore distribution de légumes bio, ces initiatives améliorent le quotidien mais ne permettent pas aux salariés de réfléchir à l’organisation des tâches de l’équipe.

Pourtant, parfois, des démarches individuelles peuvent être complémentaires d’une politique QVT. « Chacun peut travailler à comprendre ses propres mécanismes de fonctionnement, notamment quand les frictions avec les collègues ou patients sont courantes », suggère Anne-Sandrine Castelot, du Grieps. Il s’agit aussi de comprendre la dynamique du groupe pour déterminer son rôle et envisager des pistes d’action individuelles. Enfin, engager un travail sur les émotions ressenties au travail et leur expression peut contribuer au bien-être au travail, tout en s’articulant à une démarche collective.

1- Voir édito de Travail et changement (n° 372, juin 2019).