La QVT joue collectif - L'Infirmière Magazine n° 407 du 01/09/2019 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 407 du 01/09/2019

 

SUR LE TERRAIN

DOSSIER : DÉMARCHES QVT

L.G.  

Les services, pôles ou établissements qui veulent enclencher une démarche QVT peuvent se servir d’outils mis à leur disposition, mais sans oublier d’associer leurs salariés.

L’Anact, la HAS et l’Observatoire national de la QVT des professionnels de la santé et du médico-social ont élaboré des boîtes à outils, pour que les équipes d’encadrement ou de direction puissent mettre en œuvre leur politique QVT. Des ressources sont disponibles en ligne, pour accompagner l’auto-diagnostic puis le démarrage d’une démarche concrète (1), mais la prise en compte de la réalité et des attentes du terrain est indispensable.

Trois dispositifs Anact

« Pour les unités de travail impactées par un changement d’organisation, nous préconisons l’instauration d’espaces de discussion », explique Maroussia Krawec, chargée de mission auprès de l’Aract Île-de-France. Organisés, ces temps d’échanges ne se contentent pas d’être une version améliorée d’une pause café, mais doivent permettre à chacun de s’exprimer et d’être entendu. Des solutions peuvent alors émerger, comme l’amélioration du circuit patient pour désengorger les salles d’attente ou un renouvellement du mobilier quand il est inadapté. Ces modifications peuvent aussi émerger d’un projet “safari-photo”, où les professionnels sont invités à prendre en photo leur quotidien, pour s’en servir ensuite lors d’un temps de debriefing.

Enfin, l’Anact propose aux établissements d’organiser une opération « Vis mon travail », où les salariés, depuis le chef de service jusqu’aux ASH, passent une journée sur le poste d’une autre personne. Le but : renforcer la cohésion d’équipe, notamment dans des services où la communication interne n’est pas fluide. « Les établissements qui l’ont mise en place ré-éditent souvent l’expérience, voire l’élargissent, tant cette journée permet de faire avancer la compréhension entre professionnels », ajoute Maroussia Krawec.

Béziers HAD : les bénéfices du « cluster » social

Les clusters sociaux QVT en santé sont pour l’instant interrompus - la dernière vague s’adressant au secteur médico-social -, mais les établissements ayant pris part à ces expérimentations continuent pour beaucoup d’en tirer bénéfice. Ainsi, Béziers HAD, une structure de 22 salariés, a pris part à un cluster « HAD » porté par l’ARS Occitanie en 2017. « Nous avons réfléchi ensemble à ce qui ne faisait pas QVT, au cours d’un audit. L’élément le plus prégnant concernait la communication avec les Idel », raconte Lætitia Bernadou, alors cadre, depuis devenue directrice. De fait, si la société est conventionnée avec plus de 600 Idel de la région, ces dernières voient parfois d’un mauvais œil l’intervention des infirmières coordinatrices lorsque leurs patients passent en hospitalisation à domicile.

Des réunions avec l’ensemble des agents - Idec, mais aussi secrétaires, psychologue, médecins et encadrement - ont permis d’identifier à la fois les freins à une communication apaisée, mais aussi les leviers actionnables. « Nous avons découpé le processus en tentant de nous mettre à la place des Idel lors de jeux de rôles », ajoute Laetitia Bernadou. Des trames ont été élaborées pour faciliter le discours des Idec, notamment lors du premier appel téléphonique, source de nombreuses tensions. Des protocoles d’argumentation ont été élaborés, auxquels elles peuvent se référer. Ce travail sur les outils de communication est désormais intégré au processus de recrutement des nouvelles arrivantes, qui bénéficient d’un temps de formation par la psychologue. « Aujourd’hui, toutes les salariées ont un propos homogène. La situation s’est apaisée et nous avons pu fidéliser plusieurs équipes d’Idel, de telle façon qu’en cas de conflit trop important avec un cabinet, nous pouvons lui proposer de laisser la main à des consœurs », se félicite la directrice. Autre habitude qui a été pérennisée : des temps de supervision. Ces moments d’échanges au niveau clinique (avec tous les salariés, y compris la direction) et au niveau de l’équipe (sans l’encadrement) permettent à tous de verbaliser leurs difficultés et de réfléchir aux solutions envisageables.

« Un patient, une équipe » : une campagne reproductible

Pour autant, toutes les expérimentations n’émanent pas des clusters. La campagne « Un patient, une équipe »(2) lancée en mars 2019 par le Collège français des anesthésistes-réanimateurs (CFAR) est de fait issue de la réflexion menée par la commission Smart (santé des médecins anesthésistes-réanimateurs au travail). « Nous faisions tous le constat général d’une ambiance de travail dégradée sur les plateaux techniques », explique la Dr Ségolène Arzalier-Daret, sa responsable. La commission établit le lien entre cette hausse des frictions et la pression de production exercée sur les blocs opératoires, qui diminue mécaniquement les temps d’échanges formels et informels. « Nous avons dressé un état des lieux grâce à une enquête, en décembre 2018. 90 % des plus de 1 900 répondants ont déclaré avoir déjà été en situation de conflit et 30 % ont reconnu avoir été auteurs de violence, détaille Ségolène Arzalier-Daret. Les trois quarts ont exprimé qu’ils se sentaient démunis face au conflit. »

La campagne poursuit donc plusieurs objectifs : encourager les collectifs de travail à instaurer, coûte que coûte, des temps de partage des informations, les aider à analyser les conflits et leur proposer des solutions pour impulser un changement des comportements. Des fiches pratiques sont à disposition des équipes qui souhaitent s’en emparer, ainsi que des visuels à afficher. « Cette campagne est à destination de tous ceux qui peuvent en bénéficier, pas uniquement des médecins et pas seulement sur les plateaux techniques, affirme Ségolène Arzalier-Daret. Nous avons tous le même objectif : les soins au patient. »

Espérant participer à un changement de culture dans le monde hospitalier, la commission Smart du CFAR a également proposé des interventions clé en main aux centres de simulation en santé, qui devraient être lancées au printemps prochain.

Un meilleur accueil des nouveaux

La cohésion d’équipe, dans une perspective de QVT, est aussi au cœur du projet mené depuis septembre 2017 par le pôle hospitalo-universitaire de psychiatrie Paris-XV du CH Sainte-Anne. L’accent a été mis sur l’accueil des nouvelles recrues, dans ce pôle intégré au groupement hospitalier universitaire (GHU) Paris psychiatrie et neurosciences, qui compte plus de 350personnels non médicaux. Un poste d’IDE de pôle chargée de la coordination des stages et de l’intégration des jeunes embauchés a été créé. Elle organise notamment une découverte du pôle, ainsi qu’un café d’accueil trimestriel. Cette rencontre officielle mais décontractée, qui se déroule dans un lieu neutre, est l’occasion pour les nouveaux embauchés de faire le point sur leurs connaissances du parcours patient, mais aussi des activités du pôle, du CH Sainte-Anne et, plus largement, du GHU. « C’est aussi l’occasion pour eux de se rencontrer entre nouveaux arrivants », remarque Sylvaine Vanier, cadre. Enfin, les jeunes recrues se voient remettre un livret d’accueil complet, qui reprend les informations essentielles sur le fonctionnement du pôle, mais qui consigne aussi des contacts importants et des informations pratiques. « L’IDE de pôle reste toujours à disposition des équipes pour les épauler dans l’intégration de leurs collègues », ajoute Sylvaine Vanier. Cette bonne première impression participe à la fidélisation des soignants et à leur sentiment d’inclusion. « Nous constatons un impact positif sur la prise en charge des patients, mais aussi des quelque 280 étudiants qui effectuent des stages chez nous chaque année », conclut la cadre.

Le CHR d’Orléans, quant à lui, a choisi de consulter toutes ses équipes, dans le cadre d’un appel à projets QVT, doté de 30 000 €. Seize projets ont été retenus par le jury en juin, pour une mise en œuvre rapide. Parmi les idées retenues : l’achat de lampes de luminothérapie pour les services de nuit ou de casques anti-bruit pour des services techniques, des formations à l’auto-hypnose ou encore des vidéos tutoriels pour expliquer le fonctionnement des logiciels de pharmacie. « La feuille de route était organisée autour des notions d’attractivité et de fidélisation des agents », explique Pauline Di Mascio, élève directrice qui a piloté cet appel à projets.

Toutes ces initiatives sont encore trop récentes pour qu’un véritable bilan puisse émerger. Pour autant, s’il n’est pas possible de quantifier l’impact des démarches sur la QVT des soignants et sur la qualité des soins, celles-ci ne pourront pas quitter la sphère de “l’idée sympa”. Les établissements sont donc incités à mettre en place des comités de pilotage paritaires sur la QVT, qui pourront établir des baromètres. « L’indicateur le plus évident reste la prévalence de l’absentéisme ordinaire », suggère Anne-Sandrine Castelot.

1- À retrouver sur : bit.ly/2KEo2PI (HAS) ; bit.ly/2KQeQGO (Observatoire) et bit.ly/2z6LbDJ (Anact) ; ainsi que sur http://aractidf.org/ressources/outils-methodes

2- Plus de détails sur : https://cfar.org/ 1patient1equipe