Entrée en vigueur en février 2019, la traçabilité à la boîte veut empêcher l’introduction de produits falsifiés dans la chaîne du médicament. Sa mise en place, complexe, a pris du retard en France et ailleurs.
Pour combattre la contrefaçon, l’UE impose aux pays membres, depuis le 9février 2019, d’attribuer un numéro d’identification à tous les médicaments de prescription médicale obligatoire. Elle fait suite à une directive européenne de 2011, qui prévoit que les laboratoires pharmaceutiques apposent sur les boîtes un code Datamatrix comportant au minimum quatre éléments nécessaires à l’identification de chaque boîte : code produit CIP, numéro de lot, date de péremption et numéro de série. C’est aux pharmaciens, ensuite, de vérifier que le médicament délivré est recensé dans une base de données européenne répertoriant tous les médicaments.
• Tous les acteurs de la chaîne du médicament sont impliqués dans ce nouveau dispositif : les fabricants qui produisent et mettent sur le marché, les dépositaires de l’industriel qui gèrent son stock, les grossistes-répartiteurs qui les réceptionnent et les redistribuent, les pharmaciens, hospitaliers ou officinaux, et même la vente en ligne de médicaments. La sérialisation est censée garantir au patient une sécurisation renforcée des produits de santé, même si la France disposait déjà d’une chaîne du médicament très performante. Elle permet en outre d’harmoniser les pratiques au niveau européen.
• Les pharmacies d’officine et les pharmacies à usage intérieur des établissements de santé, médico-sociaux ou encore délivrant des soins à domicile, ainsi que les distributeurs en gros, doivent s’équiper ou adapter leurs systèmes permettant de lire et vérifier l’identifiant unique de chaque boîte de médicaments. Et afin, également, de mettre en relation leur logiciel avec le répertoire national des identifiants des boîtes de médicaments, appelé France Medicine Verification System (France MVS). Cette base de données héberge toutes les informations chargées par les titulaires d’AMM dans le système d’authentification européen de répertoires (EMVS), pour détecter toute tentative de contrefaçon au niveau européen.
• Concrètement, avant de délivrer la boîte, le pharmacien scanne le code Datamatrix pour se connecter au système national de répertoires France MVS, pour vérifier l’authenticité de l’identifiant et ainsi désactiver le code.
– Un code couleur permet de vérifier que tout est conforme : si c’est vert, le pharmacien dispense le médicament. Si une croix rouge apparaît, le produit doit être écarté. Plusieurs raisons peuvent justifier une croix rouge : soit le numéro n’existe pas dans la base car il n’a pas été mis sur le marché par un fabricant. C’est donc potentiellement une boîte falsifiée. Soit ce numéro a déjà été utilisé pour une autre boîte et un contrefacteur l’a récupéré. Enfin, il peut arriver que le Datamatrix soit mal imprimé, le numéro de série mal enregistré ou que le logiciel du pharmacien ne soit pas bien configuré.
• Par ailleurs, un dispositif anti-effraction, en complément du Damatrix, permet de garantir que la boîte n’a pas été ouverte. Le pharmacien doit vérifier qu’il est intact.
Si seuls les médicaments de prescription médicale obligatoire sont concer-nés par le Datamatrix, tous doivent en revanche comporter un dispositif anti-effraction.
Ce dispositif a nécessité de lourds investissements, humains et financiers, qui ont retardé sa mise en place.
• Du côté des industriels, « nous devons mettre des boîtes sérialisées sur le marché depuis le 9 février 2019 », explique Christelle Maréchal, directrice des affaires européennes et relations extérieures du Leem (Les entreprises du médicament). Mais la mise en place du dispositif est disparate au niveau des acteurs. « L’industrie est en grande majorité prête, mais la sérialisation nécessite notamment d’équiper les lignes de production en ajoutant des modules pour prévoir la position des codes Datamatrix, des modules pour le dispositif d’anti-effraction. Chacun coûte en moyenne entre 100 000 et 400 000 €. Le coût de la sérialisation a été estimé à environ 120 à 150 millions d’euros pour les industriels au niveau européen. L’adaptation a représenté un vrai défi pour l’industrie », souligne-t-elle, tout en pointant « des contraintes opérationnelles, humaines et logistiques pour tous les acteurs ».
D’ailleurs, les autres acteurs de la chaîne ne sont pas encore prêts. Il y avait seulement deux pharmacies en France qui scannaient les boîtes, mais elles se sont récemment déconnectées du dispositif.
• Au niveau des hôpitaux, le dispositif n’est pas non plus au point, même s’il est plus avancé qu’en officine. « Le règlement délégué prévoit que la désactivation des codes soit réalisée soit en entrée de pharmacie à usage intérieur (PUI), soit avant la délivrance du médicament », indique Philippe Gendre, responsable de projet chez France MVO, l’organisme qui pilote la mise en place de la sérialisation en France (lire interview ci-contre). « Les PUI peuvent choisir différents scénarios. Soit elles vérifient et désactivent tout à l’entrée des produits. Mais si elles font de la rétrocession, par exemple, elles peuvent désactiver quand elles délivrent le médicament au patient. De même, si le produit est dans la chaîne de froid, elles peuvent le vérifier seulement quand elles le sortent des zones réfrigérées. Il y a une marge de manœuvre pour que chaque PUI organise la mise en place en fonction de la complexité de son organisation qui doit souvent être repensée. », note Philippe Gendre.
Les Hospices civils de Lyon (HCL) sont parmi les plus en pointe sur la question. « Mi-juin, nous n’avions qu’une dizaine de laboratoires qui pouvaient nous fournir des boîtes sérialisées », explique le Pr Gilles Aulagner, pharmacien aux HCL. S’il fallait désactiver les codes à la main un par un, les HCL ont calculé qu’il faudrait environ quinze minutes pour 150boîtes ou flacons. Avec plus de six millions de boîtes et flacons chaque année, soit 30 000 par jour, la pharmacie centrale des HCL a estimé à environ dix équivalents temps plein les besoins en personnel pour faire face à la surcharge de travail. « Dans un contexte de réduction du personnel dans les hôpitaux, c’est compliqué », souligne le Pr Aulagner.
• Pour faire gagner du temps aux équipes, les pharmaciens hospitaliers comptent notamment sur deux types de codes : les codes consolidés et les codes agrégés. « Avec des codes agrégés, si un laboratoire livre un carton de 100boîtes homogènes, il est possible de désactiver les 100 boîtes en un seul clic, car le Datamatrix contient les identifiants uniques des 100 boîtes contenues dans le carton. Mais à l’heure qu’il est, aucun fournisseur ne peut nous livrer de cette façon », pointe Gilles Aulagner.
L’autre solution, pour les hôpitaux, est d’utiliser des codes consolidés. « Le dépositaire, qui garde les stocks des laboratoires, peut saisir les identifiants uniques des produits quand il les prépare pour les livrer et nous les transmettre de façon sécurisée par voie électronique. Nous recevons des cartons non homogènes d’un côté et la liste des codes de l’autre, ce qui nous permet de faire un contrôle statistique en utilisant des systèmes d’échantillonnage », détaille le pharmacien.
Ce système, testé depuis mai aux HCL avec le laboratoire Arrow, « nous fait gagner beaucoup de temps », apprécie le Pr Aulagner. Les différents acteurs ont encore quelques mois pour se mettre en conformité avec le règlement européen. « Pour tous les acteurs, c’est un bouleversement logistique, humain et opérationnel », conclut Christelle Maréchal.
→ Règlement européen délégué 2016/161 de la Commission européenne : bit.ly/2JB44DA
→ La sérialisation pour tous, le nouveau règlement européen en bande dessinée, disponible sur le site de GS1 : bit.ly/2xCVte1
→ Les informations pratiques de France MVO, notamment la fiche PUI/hôpital et la fiche officine : bit.ly/2XxzRzo
Quel est le rôle de France MVO ?
• Le CIP (Club interpharmaceutique) a été choisi pour assurer la gouvernance de la sérialisation en France et cette activité est exercée sous le nom de France MVO. Il regroupe des membres représentant les acteurs de la chaîne de distribution du médicament : industriels, dépositaires, grossistes-répartiteurs, pharmaciens d’officine et hospitaliers, autorités nationales compétentes (DGS). Il est notamment chargé de la mise en œuvre et de la gestion du système de vérification des médicaments, en particulier des systèmes informatiques qui gèrent la sérialisation.
Où en est la mise en place de la sérialisation ?
• Actuellement, en Europe, les laboratoires qui couvrent plus de 85 % des volumes de produits concernés par la sérialisation sont connectés au système. Pour la France, plus de 800 millions de boîtes sont déjà chargées dans France MVS à fin juin 2019, sur un potentiel de 1,8 milliard de boîtes annuelles. Nous estimons à 13 417 les présentations concernées par la sérialisation et 12 942 sont déjà enregistrées dans France MVS. La presque totalité des distributeurs en gros (dépositaires et grossistes-répartiteurs) sont déjà connectés à France MVS. Par ailleurs, France MVO a délivré plus de 1 400 certificats de connexion aux PUI sur les 2 500 répertoriées. Étant dans une période de stabilisation décidée par l’EMVO, les acteurs connectés en profitent pour effectuer les différents réglages permettant de corriger les bugs identifiés. Actuellement, nous enregistrons plus de 1,5 million de vérifications/désactivations par semaine.
Combien d’alertes avez-vous compatabilisées ?
• En février, lors du lancement du système, nous avons enregistré beaucoup d’alertes, dues à un bug lors de la connexion de tous les NMVS. Il a vite été réglé. Actuellement, elles restent élevées mais en très nette diminution. Leur origine est variée : Datamatrix mal imprimé, données mal encodées, lot non chargé dans la base de données par l’industriel, mauvais format de la date de péremption, etc. Nous travaillons pour identifier les acteurs qui concentrent les alertes et qu’ils corrigent le problème. Par ailleurs, le système mis en place au niveau européen a déjà permis d’identifier une contrefaçon.
PROPOS RECUEILLIS PAR A.-G. MOULUN.