INTERVIEW : Pr Philippe Colombat, Président de l’Observatoire national de la qualité de vie au travail des professionnels de santé et du médico-social
DOSSIER : DÉMARCHES QVT
Ancien chef de service en soins palliatifs, puis chef de pôle en cancérologie-urologie au CHRU de Tours, Philippe Colombat est désormais chercheur en psychologie du travail. Il explique que la QVT, loin d’être un effet de mode, a toute sa place dans les transformations des organisations de la santé.
L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Quelles sont les missions de l’Observatoire que vous présidez ?
PHILIPPE COLOMBAT : Composé d’un collège de douze experts, l’Observatoire a été mandaté pour trois missions. La première est la mise à disposition des managers de documents de référence et d’outils pratiques, qui sont en ligne sur le site de l’Observatoire (1) depuis janvier. Nous réfléchissons aussi à des préconisations autour de quatre thèmes : restructuration, qualité des soins, nouvelles technologies et collectifs de travail. Des travaux sont menés sur le terrain, qui nous fait des retours. À nous de les valider pour élaborer des préconisations à transmettre à l’ensemble des secteurs sanitaire et médico-social. Un colloque aura lieu le 29 novembre - c’est d’ailleurs notre troisième mission - et sera l’occasion d’une première présentation de nos conclusions, avant de publier nos préconisations début 2020. Nous sommes aussi appelés à intervenir dans la mise en place prochaine des référents QVT dans les ARS, à nous impliquer dans l’évolution des formations, à participer à des travaux au ministère et à la HAS, à participer à l’évaluation des clusters sociaux dans le médico-social et à réfléchir à des indicateurs.
L’I. M. : L’intérêt pour les démarches QVT semble récent. Comment l’expliquez-vous ?
P. C. : La question a été soulevée depuis longtemps : dès 1991, en tant que jeune chef de service, je me suis penché sur la souffrance au travail de mes équipes. Une association a été créée, qui est devenue l’actuelle Afsos(2), pour promouvoir une démarche participative des équipes impliquées dans la prise en charge des patients en soins palliatifs. Ce modèle, qui met notamment l’accent sur les staffs pluri-professionnels, n’a pas suscité d’engouement. Bien qu’il soit rendu obligatoire par la certification V2010 de la HAS, il reste peu mis en œuvre. Aujourd’hui, la fragmentation des activités de soins et la meilleure connaissance de la souffrance au travail ont conforté la ministre dans sa volonté de développer les démarches QVT dans tout le territoire. Il s’agit véritablement de participer à un changement de culture dans le monde hospitalier.
L’I. M. : Quelle nouvelle culture souhaitez-vous voir émerger ?
P. C. : Aujourd’hui, les directeurs d’établissement, notamment, sont encore beaucoup dans une logique de « top-down ». Les démarches QVT sont mises en place sans trop de problèmes au niveau des services, voire des pôles. En revanche, on constate plus de freins au niveau institutionnel. Nous promouvons un modèle qui repose sur quatre types de management : directif, persuasif, participatif et délégatif, en privilégiant le participatif. Le consensus doit venir du terrain et la validation du manager.
L’I. M. : Certains estiment que les démarches QVT ne répondent pas aux enjeux de la souffrance au travail, qui serait davantage liée au manque de moyens financiers et humains. Que répondez-vous ?
P. C. : La qualité des soins peut être atteinte avec les moyens actuels, mais implique des décisions managériales. Il faut par exemple dégager du temps pour la mise en place d’espaces d’échanges dans les services. Il faut aussi une réflexion sur la justice de la charge de travail, en menant une évaluation par spécialité. Deux secteurs font face à des problèmes importants : les urgences et les Ehpad, car leurs métiers ont changé alors que les moyens sont restés constants. Il est possible d’aller chercher des moyens dans d’autres spécialités, où l’activité est moins importante.
L’I. M. : À leur niveau, les soignants, et notamment les IDE, peuvent-ils agir sur leur propre QVT ?
P. C. : Les soignants peuvent se préserver en prenant de la distance ou en se formant, par exemple. Dès que la démarche implique le collectif, il faut la coopération de l’encadrement. Mais même dans les démarches collectives, les paramédicaux peuvent s’emparer des enjeux. Il est important qu’ils participent aux réunions de service et aux staffs pluri-professionnels, et s’y expriment. Nous proposons pour cela d’organiser la prise de parole en commençant par les aides-soignantes, puis les IDE, puis les psychologues, kinés, etc. pour finir par les médecins et les chefs. Une méthode en trois tours de table peut aussi être adoptée pour les staffs : au premier, on évoque les besoins du patient, puis on formule des propositions, et enfin, on prend les décisions.
1- Sur le site du minstère de la Santé : bit.ly/2Z5BeWM
2- Association francophone des soins oncologiques de support.