L'infirmière Magazine n° 407 du 01/09/2019

 

RENCONTRE AVEC

CARRIÈRE

PARCOURS

L.G.  

“Ici, on est beaucoup plus centré sur les soins. On a le temps de faire du relationnel. On n’est pas parasité en permanence comme à l’hôpital”

Laisser son portable et sa carte d’identité à l’entrée. Glisser son sac dans le détecteur et passer sous le porche électronique. Franchir quatre portes blindées ouvertes à distance par un surveillant. Ne pas déambuler sans accompagnement. Pour accéder à l’USMP de la maison d’arrêt de Strasbourg, où travaille Nicolas Grettner, il faut d’abord se soumettre aux règles de sécurité de la prison. « Au début, cet enfermement me pesait, confie-t-il. Je m’y suis habitué au fil des années… »

En sept ans d’exercice dans cet établissement qui accueille surtout des personnes condamnées à des courtes peines et des prévenus en détention provisoire, son regard a évolué. « Je suis arrivé avec certains préjugés. Je voyais la prison comme un lieu dangereux, se souvient-il. J’ai appris à connaître les détenus et à ne plus vivre dans la méfiance, même si je reste toujours vigilant. » Si les agressions physiques sur les soignants sont rares, les agressions verbales sont monnaie courante. Pour autant, la qualité du travail effectué au sein de l’USMP – appelée ici par l’ancien acronyme UCSA(1) – l’a bien plus séduit qu’au CHU où il a débuté sa carrière. « J’ai passé deux ans en immunologie, mais je ne me plaisais pas dans le cadre hospitalier. Ici, on est plus centré sur les soins, on a le temps de faire du relationnel. On n’est pas en permanence parasité comme à l’hôpital. »

→ Groupe soudé. Chaque jour, six IDE se répartissent sur cinq postes. Parmi leurs tâches, en plus des soins, peuvent figurer la vérification des médicaments préparés par le robot du pôle logistique des HUS, la distribution des traitements dans les étages, le tri des demandes de rendez-vous transmises par les détenus, des entretiens infirmiers. L’équipe au complet est composée de dix IDE, pour neuf équivalents temps plein. « On est très soudé. Il est toujours possible de passer le relai à une collègue quand on se sent mal à l’aise avec un patient », souligne-t-il. Leur bonne entente permet aussi d’accueillir dans de bonnes conditions les nouvelles recrues et les étudiants en Ifsi ou en médecine. « Nous traversons plus facilement les moments de tension, note Nicolas Grettner. En ce moment, le manque de médecins est source de frustration pour les soignants comme pour les détenus. On se serre les coudes. »

→ Urgence ou simulation. Autre point positif : la relation de confiance qui prévaut entre médecins et IDE. « Ils sont beaucoup plus abordables qu’à l’hôpital », remarque-t-il. Cette bonne entente professionnelle est induite, en partie, par les spécificités du terrain : les IDE sont amenés à poser des pré-diagnostics pour orienter les patients. Ils réalisent aussi des gestes, qui, bien que figurant dans le rôle prescrit des IDE, reviennent souvent à des externes dans les autres services, comme des ECG par exemple. Nicolas Grettner apprécie cette autonomie, même si elle implique parfois de se retrouver seul à gérer des situations difficiles. Ainsi, lorsqu’il faut réanimer un patient qui a fait une tentative de suicide, l’IDE ne peut pas compter sur un médecin réanimateur et doit assurer la prise en charge en attendant le Samu. « On apprend beaucoup sur le tas, explique le jeune homme. La première fois qu’un détenu m’a annoncé qu’il venait d’avaler une lame de rasoir, j’ai paniqué. En fait, le risque est assez minime car les lames sont souvent emballées dans du scotch. » Il a aussi appris à déceler ce qui relève de la véritable urgence médicale et ce qui est de l’ordre de la simulation. « Certaines personnes organisent des rencontres avec leurs proches, voire des règlements de comptes à l’hôpital. Elles s’arrangent ensuite pour être sur place… », glisse-t-il.

Habitué à la fois à des gestes réalisés en plus grande autonomie et à un quotidien moins stressant qu’à l’hôpital, Nicolas Grettner se pose aujourd’hui la question de son avenir professionnel. « Le moment est venu d’évoluer mais je ne me vois pas revenir au CHU. Pour moi aussi se pose la question de ma réinsertion après la prison », sourit-il.

1- Unité de consultations et de soins ambulatoires.

MOMENTS CLÉS

1985 : naissance à Ottrott (67).

2009 : passe le diplôme d’État infirmier et démarre sa carrière en immunologie clinique aux Hôpitaux universitaires de Strasbourg (HUS).

2011 : lassé par la pression subie à l’hôpital, il cherche un nouveau terrain d’exercice. Sa cadre l’oriente vers le milieu pénitentiaire : il prend son poste à l’USMP de la maison d’arrêt de Strasbourg.