L'infirmière Magazine n° 408 du 01/10/2019

 

MAISON DE RÉPIT

SUR LE TERRAIN

REPORTAGE

ISABEL SOUBELET  

À l’ouest de Lyon, la première maison de répit en France permet aux personnes malades ou handicapées, ainsi qu’à leurs aidants de s’accorder un temps de repos dans un réel lieu de vie. Accompagnés au cours de leur séjour par une équipe de professionnels et de bénévoles très investie, tous tirent profit de ce moment de pause.

Quand on pénètre dans le parc boisé d’un hectare situé à Tassin-la-Demi-Lune, dans le Rhône, on est surpris par le calme du lieu. Pas de cris, pas de blouses blanches. La lumière naturelle pénètre dans tous les espaces collectifs par de grandes baies vitrées. Salon, cuisine, salle à manger et salle de lecture communiquent, chacun s’y déplace et s’y arrête à l’envie. Ici se niche la première maison de répit de la métropole de Lyon, qui a ouvert le 1er octobre 2018. Ce petit havre de paix souhaite permettre aux aidants et aux aidés de s’accorder un temps de répit : se reposer et déléguer, retrouver des relations avec un proche sans la lourdeur des soins, accepter de prendre du temps pour soi… « Quand on perd le sens de sa vie, que l’aidé prend toute la place dans l’existence, on n’agit plus vraiment mais on réagit… Le répit, c’est retrouver un sens à sa vie, retrouver le plaisir de boire un verre et de regarder un arbre, le droit de s’accorder une heure en laissant son enfant, tout simplement », confie Yannick Lo Bono, directeur de l’établissement (1). Les aidés et les aidants viennent ici ensemble ou séparément, selon les situations, leurs attentes et leur état de santé physique et psychologique. Une maman est ainsi venue avec sa fille de 20 ans, par ailleurs en institut médico-éducatif. Elle a passé les trois premiers jours à dormir, puis petit à petit, elle a retrouvé une vie sociale sur le site, notamment dans la salle à manger. Dégagée de ses obligations quotidiennes réalisées par l’équipe en place, elle a confié à un professionnel : « Ici, je peux juste aimer ma fille. »

Qui peut venir ?

Créé par la fondation France répit et géré en partenariat avec la fondation OVE, ce lieu novateur et atypique en France accueille des enfants et des adultes de moins de 60 ans, malades ou en situation de handicap, résidant dans la métropole de Lyon, ainsi que leurs proches aidants, pour des séjours réguliers de repos et d’accompagnement. Depuis son ouverture, la maison de répit a déjà organisé 450 séjours. Et plus de 150 familles, représentant 420 personnes (aidants, aidés, fratries) ont bénéficié de l’accompagnement de l’équipe mobile de répit, spécialement chargée de l’évaluation des situations à domicile et du soutien des familles.

Cette équipe, composée de cinq personnes (médecin, IDE, psychologue, assistante sociale, assistante de l’équipe) joue un rôle crucial. « Je récupère tous les appels et les nouvelles demandes, et je réoriente tout de suite les personnes si elles ne rentrent pas dans les critères (2), explique Anne Berger, assistante de l’équipe mobile. C’est souvent la mère ou l’épouse qui nous contacte, c’est elle qui se reconnaît dans le rôle d’aidant. Mais il y a souvent un écart entre l’échange téléphonique et la réalité. Beaucoup de personnes sont dans le déni et minimisent leur état d’épuisement. Nous discutons collectivement des dossiers, du contexte, de l’urgence. Puis nous définissons quel binôme fera la visite à domicile selon la situation. »

Toutes les personnes ne peuvent être acceptées. Si un aidé polyhandicapé lourd mais stabilisé (tétraplégique) a déjà été accueilli, les personnes en situation non stable ou d’urgence vitale ne peuvent séjourner car les conditions (matériels et effectifs) ne sont pas réunies pour leur prise en charge. Quand la maison de répit est choisie comme solution, un court séjour d’essai sur place est très souvent effectué. S’il s’agit d’un enfant, il vient toujours avec un parent. Pour les adultes, cela est variable. Le 20 juin, Yolen est venue pour la première fois avec Cédric, son fils adulte. « C’est rassurant de venir à deux et de voir concrètement comment les choses se passent, précise-t-elle . Je suis là pour deux nuits, cela casse la routine, et je pense que mon fils reviendra seul huit jours. Cela me permettra de partir une semaine en vacances. » De son côté, Cédric apprécie de « ne rien faire », ainsi que les massages - des pieds aux épaules - réalisée par l’ostéopathe, qui lui font « beaucoup de bien ». Les personnes peuvent revenir plusieurs fois, jusqu’à trente jours par an, continus ou fractionnés. Elles sont suivies après leur premier séjour.

D’un point de vue financier, ce projet a nécessité un investissement de 5,5 millions d’euros, financé par la fondation France répit à travers le mécénat et les subventions de la Région Auvergne-Rhône-Alpes et de la métropole de Lyon. Les frais de fonctionnement sont assurés par un agrément de l’agence régionale de santé (ARS) et un reste à charge de 20 € par jour est demandé aux familles pour la participation aux frais d’hébergement et de restauration. Ils peuvent être pris en charge par certaines mutuelles.

Comme à la maison

« Nous sommes dans une maison, non dans un hôpital, souligne Yannick Lo Bono. L’uniforme a été banni, cela change beaucoup de choses dans les relations et les échanges. » Tout a été pensé pour rendre le lieu le plus convivial possible, en donnant la priorité au bien-être et à la tranquillité. Une attention particulière a été portée au choix du mobilier et aux couleurs des chambres de 25 m2, médicalisées, qui offrent toutes une salle de bain adaptée et sont décorées de manière non standardisée. Au rez-de-chaussée, on trouve cinq chambres pédiatriques avec, en extérieur, une balançoire et une aire de jeux inclusive. « Pour les aidants qui n’arrivent pas à décrocher tout de suite, la chambre dispose d’un lit convertible, ce qui permet au début à l’aidant de continuer à être aux côtés de l’aidé », ajoute le directeur. À l’étage, dix chambres adultes et cinq chambres pour les aidants avec télévision et fauteuils, permettent à chacun de trouver ses marques. Un studio famille autorise un aidant et un aidé à prendre du répit avec le reste de la fratrie. La maison de répit dispose aussi, sur les deux niveaux, de baignoires thérapeutiques, de balnéothérapie, de salons de discussion et de salles de soins.

Une adaptation permanente

Pour faire fonctionner cet établissement d’un genre nouveau, une équipe de 23 professionnels (équivalents temps plein) officie au quotidien. Elle compte quatre infirmières à temps plein de jour, quatre à mi-temps (deux de jour, deux de nuit) et des aides-soignantes. La maison est ouverte toute l’année, sept jours sur sept, et la nuit est assurée par un binôme IDE/AS et une astreinte médicale téléphonique. Mais au-delà de l’organisation en place, la jeune équipe, formée à son arrivée aux fondamentaux du répit, est portée par la dynamique du projet. « J’ai appris plus de choses ici que durant mes années à l’hôpital. Nous sommes dans un environnement très fluctuant, dans lequel il faut toujours anticiper », déclare Olivia Dufour, IDE depuis six ans, et titulaire d’un DIU douleurs aiguës et chroniques et soins palliatifs pédiatriques. « La prise en charge est adaptée à l’état physique et psychologique de chaque personne, il n’y a pas de travail à la chaîne. » En effet, si l’équipe dispose d’une fiche qui recense les habitudes de chaque aidé (horaires de lever et coucher, habitudes alimentaires, etc.), les professionnels constatent que, dans la pratique, « ils se laissent aller, dorment plus tard ». Tout le monde lâche prise et sort de son cadre habituel. Coralie Puydebois, IDE depuis trois ans, pensait se reconvertir après une expérience difficile en gériatrie, avant que l’envie ne revienne à son poste actuel. « Je prends en charge une personne de A à Z, je peux créer une relation avec elle, décrit-elle. C’est aussi appréciable de travailler en binôme avec les AS et notre relation avec le médecin est très différente de celle dans un service. Nous sommes autonomes dans nos actes et notre manière d’agir. Mais au départ, nous étions tellement formatés - hôpital ou maison de retraite - que nous nous questionnions sur la faisabilité du projet et les nouvelles pistes proposées. Il a fallu, par exemple, sortir de notre vision habituelle en retirant nos tenues. Mais aujourd’hui, en tant que soignante, je n’ai pas une seule journée identique. » La monotonie n’est en effet pas de mise tant la diversité des pathologies des aidés, des profils des aidants et des situations humaines est grande. « Ce qui me plaît, c’est cette adaptation permanente, je ne m’ennuie jamais. Participer à un projet aussi innovant, c’est vraiment porteur », affirme Nelly Cosseron, AS et auxiliaire puéricultrice. Ainsi, dans une même journée, elle passe des enfants aux adultes - une façon de combiner ses deux diplômes dans un environnement nouveau.

Le temps est aussi un facteur clé dans l’accompagnement des personnes. « Je n’ai jamais fait autant de toilettes avec les IDE. Elles ont du temps et nous réalisons un vrai travail d’équipe, précise Jérôme Philippe, aidemédico-psychologique. La diversité des pathologies est très grande, c’est très enrichissant sur le plan humain et professionnel. Et, dans les situations extrêmes, lors d’un décès par exemple, nous pouvons faire un réel accompagnement de qualité. C’est un luxe. » Un aidé en séjour à la maison de répit a d’ailleurs souhaité venir passer ses derniers jours, et mourir, ici, entouré de ses proches.

Une foule d’activités

Les repas se prennent ensemble, dans une grande salle ouverte et lumineuse. « Mon objectif est que l’atmosphère soit bonne, que les repas soient servis de façon agréable, précise Félicie de Galembert, maîtresse de maison. Nous faisons aussi des gâteaux avec les uns et les autres. » Le projet a été pensé avec une restauration sur place et des produits biologiques, mais pour des raisons budgétaires, les repas sont pour le moment livrés par une société de la région. Deux personnes se relaient en alternance au poste de maîtresse de maison, de 10 h à 21 h, trois ou quatre jours de suite et un week-end sur deux. Elles assurent aussi le ménage, les lessives et un rôle de lien et d’échange entre tous par leur présence. Durant la journée, aidants et aidés peuvent participer à des activités ou à des ateliers, menés par des professionnels ou les bénévoles réunis dans l’association Jeanne-Cœur, dont une soixantaine apporte un fidèle soutien au fonctionnement de la maison de répit. Salle de sensorialité pour apaiser les aidés, détente au jacuzzi pour les aidants, découverte des carrés potagers (fraises, tomates), des ruches et du poulailler, seul dans le parc ou avec des bénévoles passionnés de jardinage, séances d’ostéopathie, de sophrologie ou de réflexologie… tout est possible. En attendant des ateliers plus manuels de peinture ou de modelage… « Je viens traiter bénévolement les patients, les aidants et le personnel, précise Antoine de Vesvrotte, ostéopathe. Je m’adapte à la situation en faisant des séances plus douces qu’à mon cabinet et une réelle relation se met en place. Les tensions sur le corps ne sont jamais là pour rien. » Si répit il y a, il commence par prendre soin de soi.

1- Yannick Lo Bono a quitté ses fonctions le 31 août. Il est remplacé par Mathilde Joachim, cadre de santé, et Mathieu Janin, cadre administratif.

2- Les personnes autistes, les personnes atteintes de troubles du comportement avec de l’hyperactivité, ou les malades d’Alzheimer, par exemple, ne sont pas accueillis.

SOUTIEN AUX AIDANTS

Toute une métropole mobilisée

Initiée par la fondation France répit, cofondée par Henri de Rohan-Chabot, soutenue par la métropole de Lyon et l’ARS, la démarche « métropole aidante » a pour objectif de créer un dispositif coordonné d’information, d’orientation et d’accompagnement des proches aidants. Le but est de rassembler, dans un seul et même dispositif, les solutions et les offres proposées par plus de 130 acteurs engagés dans ce territoire.

→ Première étape : le 12 juillet, un site internet dédié (www.metropoleaidante.fr) a été mis en place afin de permettre aux aidants de trouver une solution grâce à une cartographie des offres.

→ Seconde étape : un lieu d’accueil physique sera ouvert dans le centre de Lyon d’ici la fin de l’année ainsi qu’une plateforme téléphonique.