Malgré un départ un peu bousculé à la rentrée dernière, le service sanitaire, dont doivent désormais s’acquitter les étudiants en santé, a connu une première année plutôt positive. Les efforts se poursuivent, notamment pour développer les projets en interprofessionnalité.
Cette nouvelle rentrée universitaire signe la reconduction du service sanitaire pour les étudiants en santé (voir encadré). Le dispositif devait être étendu cette année à l’ensemble des formations paramédicales, dont les écoles d’ergothérapeutes, d’orthophonistes ou d’audio-prothésistes. Cependant, presque partout, le choix a été fait de continuer à améliorer l’existant avant d’ajouter des contraintes supplémentaires. « Les autres formations peuvent cependant mener des actions de prévention primaire en santé publique, mais sans s’inscrire dans le dispositif officiel », glisse Cédric Durupt, chargé de mission à l’ARS Grand-Est.
Après des débuts un peu précipités - les décrets fixant les modalités sont parus en juin 2018, quand la plupart des cursus avaient déjà arrêté leurs maquettes pour l’année universitaire à venir -, l’ensemble des filières s’est plié à l’exercice. « Les Ifsi partaient avec une longueur d’avance sur d’autres écoles, puisque des actions en santé publique figuraient déjà dans les programmes », remarque Brigitte Sifferlen, membre du bureau du Cefiec (comité d’entente des formations infirmières et cadres). En passant par des modules en e-learning et des boîtes à outils en ligne, mises à disposition notamment par les Ireps (instances régionales d’éducation et de promotion santé) et Santé publique France, des bases théoriques ont pu être apportées à une majorité d’étudiants.
Cependant, la formation des formateurs reste décrite comme globalement insuffisante. « L’accompagnement des étudiants doit continuer à être plus important que la réponse à un besoin en santé publique dans les territoires, même si ce dernier objectif est louable, souligne Félix Ledoux, secrétaire général de la Fnesi (Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers). Dans cette optique, il nous semble important de renforcer la formation des encadrants, de façon à disposer de personnes ressources dans les territoires. » Là aussi, les différentes filières ne sont pas au même niveau. « En médecine ou en pharmacie, on trouve peu d’enseignants formés en santé publique et rodés à la démarche projet », remarque Cédric Durupt. C’est pourquoi, cette année, l’ARS Grand-Est continuera de mettre l’accent sur la formation des référents pédagogiques. Le soutien continu des Ireps sur ces thématiques sera déterminant.
Du point de vue des étudiants, le service sanitaire est largement plébiscité. « Ils expriment un certain nombre de craintes avant de se lancer dans cet exercice inédit pour eux, détaille Sandrine Buston, directrice de l’Ifsi-Ifas Croix-Rouge de Nice (06). Mais ils sont ensuite très investis. » Construire leur intervention, imaginer des outils et des supports, trouver le bon ton : les étudiants disposent d’un champ d’investigation et de créativité qui les sort du quotidien de leurs cours magistraux ou de leurs stages hospitaliers. « Les retours que nous font les étudiants en soins infirmiers (ESI) sont globalement positifs », confirme Félix Ledoux.
Cet enthousiasme peut d’ailleurs parfois avoir un revers : lorsque le matériel n’est pas pris en charge financièrement, les étudiants déboursent parfois de leur poche plutôt que de revoir leur projet à la baisse. Les frais de déplacement sont, eux aussi, inégalement pris en charge : si les ESI peuvent intégrer ces coûts au défraiement prévu pour leurs stages, ce n’est pas le cas des autres filières. « Le Cefiec mène en ce moment une étude sur les coûts cachés du service sanitaire, révèle Brigitte Sifferlen. Il n’est pas normal que les étudiants engagent leurs propres deniers pour une action obligatoire de santé publique. »
L’un des aspects innovants du service sanitaire repose sur le travail en interprofessionnalité. Idéalement, des groupes d’étudiants issus de toutes les filières concernées devraient agir de concert. L’an dernier, c’est le volet qui semble avoir posé le plus de problèmes. En cause, notamment : la difficulté d’organiser des temps pédagogiques communs, dans des calendriers qui se ressemblent assez peu. « Globalement, la collaboration est plus facile avec les kinésithérapeutes et les sagesfemmes, résume Brigitte Sifferlen. En médecine ou en pharmacie, les organisations sont plus éloignées. Mais cela dépend aussi des relations entre les personnes, des contextes locaux, etc. » De fait, Cédric Durupt le confirme : « Nous avons constaté, dès les premières réunions de pilotage, que les encadrants des différentes filières ne se connaissaient pas du tout. La première année de service sanitaire a donc permis de les faire se rencontrer. »
Un autre obstacle provient de l’inégale répartition des centres de formation dans le territoire. « Les Ifsi installés dans les CHU, donc proches géographiquement des facultés de médecine et de pharmacie, mais aussi des autres écoles, ont eu moins de difficultés à s’insérer dans des projets pluridisciplinaires », souligne Félix Ledoux. En revanche, en Bourgogne, neuf Ifsi, sur un total de 11, n’ont pas pu s’insérer dans le dispositif. D’autres régions ont connu des situations comparables. « En attendant de pouvoir intégrer le service sanitaire, ces Ifsi poursuivent leurs actions en santé publique tout seuls », complète le secrétaire général de la Fnesi.
Dans les plus grands centres, des groupes constitués d’au moins deux filières ont pu se monter. Ainsi, à Nice, les ESI ont travaillé avec les étudiants de la faculté d’odontologie dans un partenariat efficace. « Pour l’année qui vient, nous serons amenés à coordonner ensemble toutes les actions portant sur l’hygiène bucco-dentaire », précise Sandrine Buston. Les groupes d’action seront alors composés d’étudiants issus de toutes les formations. « L’interprofessionnalité va monter progressivement en puissance », estime Brigitte Sifferlen. D’autant plus qu’elle séduit les étudiants, qui en conçoivent une motivation nouvelle à travailler en équipes pluridisciplinaires dans leurs futures carrières.
Enfin, si l’Éducation nationale a été un important pourvoyeur de lieux d’action, les partenariats restent à conforter avec les établissements scolaires, mais aussi avec les autres terrains. « Il a fallu sensibiliser les directions d’établissement à l’action du service sanitaire, prendre le temps d’expliquer ce que pouvaient apporter les étudiants, mais aussi quel engagement cela représentait pour ces derniers », précise Sandrine Buston. Les actions sont évaluées notamment par des référents de proximité, qui peuvent être par exemple des infirmières scolaires ou des professeurs de SVT. Tous ces professionnels doivent donc être formés. « Dans le Grand-Est, nous sommes partis du principe que l’Éducation nationale, partenaire sur le pilotage du service sanitaire, avait assuré ce volet de sensibilisation auprès de ses agents. En revanche, pour tous les autres terrains d’action, nous avons rencontré un par un les porteurs de projet », détaille Cédric Durupt. Une plateforme a été mise en ligne par l’ARS pour faciliter la mise en relation entre les offres de “stage” et les groupes d’étudiants. Dans l’ensemble, après une première année de “crash test” globalement réussie, le service sanitaire devrait continuer son déploiement lors de cette année universitaire, à nouveau grâce à l’implication forte et à la motivation des différents acteurs. « Il faudra sûrement trois à cinq années avant que le dispositif n’atteigne son rythme de croisière », prédit Cédric Durupt.
→ 47 000 étudiants de six filières en santé sont concernés: soins infirmiers, médecine, pharmacie, odontologie, maïeutique, kinésithérapie. Ils seront 50 000 quand le dispositif sera étendu à tous les cursus.
→ Six semaines y sont consacrées, qui peuvent être réparties dans l’année ou le semestre.
→ 7 300 lieux d’action ont été partenaires l’an dernier : écoles, collèges, lycées, mais aussi Ehpad, entreprises, associations, lieux d’hébergement, etc.
→ Quatre thématiques principales sont retenues pour ces actions de promotion de la santé : alimentation, activité physique, addictions, santé sexuelle. D’autres sujets peuvent être abordés, en fonction des besoins : sommeil, hygiène bucco-dentaire…
→ « Service sanitaire : retour sur la première année de mise en œuvre en Bourgogne-Franche-Comté », Actualité et dossier en santé publique, juin 2019. Consultable sur : bit.ly/2moT0Sp