Liés à l’hôpital et à l’université, les enseignants-chercheurs assurent des missions d’enseignement et de recherche en sciences infirmières. Portrait d’une profession en devenir et axée sur la pluridisciplinarité.
C’est un pas de plus vers la reconnaissance. À la rentrée 2020, le poste d’enseignant-chercheur en sciences infirmières de vrait voir le jour, dans le sillage de la création académique de la discipline des sciences infirmières (voir encadré p. 58). Pour le moment, les fonctions de maître de conférences ou de professeur des universités sont ouvertes aux IDE titulaires d’un doctorat dans d’autres disciplines (comme les sciences de l’éducation, la santé publique ou la sociologie) ou ayant effectué une thèse en sciences infirmières dans le cadre d’une cohabilitation avec une université. Ces fonctions peuvent être exercées dans le cadre d’une collaboration avec des départements universitaires de sciences infirmières (Dusi), actuellement rattachés aux unités de formation et de recherche (UFR) de médecine. Les IDE doivent alors satisfaire aux procédures de qualification et de recrutement pratiquées à l’université. Elles peuvent aussi assurer ces fonctions d’enseignement et de re cherche en tant que maître de conférences associé, pour une période déterminée.
Preuve que la fonction est appelée à se développer : une expérimentation originale est menée par l’ARS d’Île-de-France. En 2017 et 2018, elle a lancé un appel à candi datures pour accompagner l’émergence d’enseignants-chercheurs bi-appartenants (combinant des activités cliniques, de recherche et d’enseignement) pour les professions d’infirmier et de rééducateur. Chaque projet est porté conjointement par un ou plusieurs établissements de santé et/ou instituts de formation, une université et une unité de recherche. Ils nécessitent l’engagement de trois à cinq professionnels de santé, infirmiers ou rééducateurs, qui ont la possibilité d’exercer pendant trois ans des fonctions non statutaires d’enseignant-chercheur.
Sur ces deux années, quatre candidatures ont été sélectionnées. Parmi elles, un projet porté par le département universitaire des sciences infirmières et de rééducation (Dusir) de l’université Paris-Diderot, s’appuyant sur la plateforme de simulation iLumens. L’équipe réalisant le projet est composée de trois infirmières : une docteure en biologie, une doctorante en sciences de l’éducation et une titulaire d’un master ayant un projet de thèse en sociologie. Ces trois professionnelles travaillent avec les médecins de la plateforme iLumens et vont croiser leurs compétences afin d’évaluer l’impact de l’interprofessionnalité dans la formation par simulation. Il s’agit notamment d’étudier les réactions des étudiants infirmiers et médicaux lors d’apprentissages en commun. Si la recherche n’en est qu’à ses débuts, une hypothèse se dessine : l’apprentissage en interprofessionnalité pourrait favoriser la compréhension et l’aide mutuelle. Parallèlement, les trois IDE assurent un enseignement dans leur domaine d’expertise dans le cadre de la formation au diplôme d’État d’infirmier en pratique avancée (IPA).
Martine Novic, directrice des soins du CH d’Argenteuil et directrice adjointe du Dusir de l’université Paris-Diderot, fait partie des encadrants de ce projet. Selon elle, l’expérimentation menée par l’ARS « permet de définir le profil des enseignants-chercheurs dont nous aurons besoin à l’avenir. À côté d’un excellent niveau de connaissances et de compétences en recherche, le poste d’enseignant-chercheur demande un haut niveau en communication managériale. » L’obtention d’un doctorat est également une condition sine qua non pour accéder à ces fonctions. Selon Nathalie Alglave, directrice des soins, coordinatrice générale des instituts de formation du CHU de Nantes et coordinatrice du diplôme d’IPA de la faculté de médecine de l’université de Nantes : « La recherche, le fait d’avoir un doctorat permet d’être rallié à une forme de rigueur scientifique qui est la même pour tout le monde : nous pouvons travailler en pluridisciplinarité, nous arrivons à nous retrouver sur des bases communes, en lien avec le processus de recherche. Nous avons un langage commun nous permettant de discuter avec différents universitaires. » Ces compétences facilitent le travail en interdisciplinarité, mis en avant dans un nombre croissant d’appels à projets émanant des ARS et touchant à la recherche infirmière. L’exercice infirmier prend aussi en compte cette dimension pluridisciplinaire, notamment via la complexité du parcours soignant. Sans oublier que les sciences infirmières se construisent avec l’apport de sciences contributives.
La mise en place du diplôme d’État d’IPA, à la rentrée 2018, a favorisé l’accession à des postes de maîtres de conférences associés, aussi bien pour assurer les cours que pour les concevoir. La maquette élaborée au niveau national pour cette formation est déclinée dans chaque université. Les enseignants-chercheurs peuvent aussi être coordonnateurs pédagogiques sans fonction universitaire. C’est par exemple le cas de Nathalie Alglave, rattachée au CHU de Nantes et à deux laboratoires de recherche. Avec le professeur de médecine avec lequel elle partage la direction pédagogique de la formation d’IPA, elle en a conçu les grandes orientations : « Nous avons voulu intriquer quatre dimensions très emblématiques : les sciences infirmières, la recherche, l’analyse de l’activité dans une perspective pluriprofessionnelle et l’éthique, ceci dans une dynamique croisée avec la recherche médicale. L’angle interculturel sera important pour aborder les sciences infirmière, grâce à des intervenantes venant du Liban, du Québec et du Brésil. » Il est également possible d’assurer d’autres missions d’enseignement, dans le cadre des DU ou des masters assurés par l’université de rattachement.
Les enseignants-chercheurs s’appuient sur leur discipline d’origine, liée au laboratoire de recherche dont ils relèvent, pour travailler sur des thématiques liées aux sciences infirmières. Quand celles-ci seront reconnues académiquement, ils se consacreront à ces dernières. Un important travail épistémologique de définition devra également être réalisé. Si une définition internationale existe, elle demande une adaptation à la situation et à l’histoire française des soins. Martine Novic note qu’« avec l’intégration officielle d’une unité d’enseignement consacrée aux sciences infirmières dans la formation des IPA, on peut penser qu’il y a une prise de conscience de l’importance de développer ces sciences ».
Les postes de chercheurs-enseignants tels qu’ils se profilent actuellement avec la création de la discipline des sciences infirmières sont « mono-appartenants », c’est-à-dire centrés sur les missions universitaires. Il est prévu qu’il leur soit possible d’exercer par ailleurs des activités dans le domaine sanitaire, sous forme de cumul d’emplois. La pratique du mi-temps peut permettre de continuer d’exercer une activité clinique. C’est la solution adoptée à Bordeaux, par Valérie Berger, qui, à côté d’un poste de maître de conférences associé à mi-temps, a conservé son poste de cadre supérieure chargée de la promotion de la recherche paramédicale et infirmière, à mi-temps. « Je pense qu’il est important de ne pas scinder les deux, argumente-t-elle. Les sujets de recherche viennent du terrain des soins, et sont menés afin d’être réimplantés sur le terrain. » Une répartition qui s’inspire du modèle médical, avec ses enseignantschercheurs praticiens hospitaliers. L’expérimentation menée par l’ARS francilienne porte sur des fonctions d’enseignants chercheurs bi-appartenants. Leur activité clinique peut aussi bien concerner le soin aux personnes que l’organisation des soins ou l’encadrement des étudiants en formation. Une des premières nécessités observées lors de la mise en place des projets sélectionnés est la réorganisation des postes et des missions des enseignants-chercheurs qu’ils induisent. Selon Ljiljana Jovic, chercheuse, directrice des soins et conseillère technique régionale à l’ARS d’Île-de-France, il est déjà possible de tirer comme enseignement de cette expérimentation « la nécessité de repenser l’activité clinique des futurs enseignants-chercheurs, pour qu’elle soit cohérente et complémentaire avec l’activité de recherche et d’enseignement ».
→ Le 11 février 2016, la feuille de route de la Grande Conférence de santé consacre une mesure à l’émergence d’un corps d’enseignantschercheurs pour les formations paramédicales. Il y est indiqué que : « le rapprochement entre les formations paramédicales et l’université nécessite de constituer un vivier d’enseignantschercheurs paramédicaux, de façon à inscrire ces formations dans les standards justifiant la délivrance du grade ou du diplôme de master, à développer des capacités de recherche parmi les personnels paramédicaux et à constituer une filière complète en matière de formation et de recherche ».
→ Il est prévu de créer trois sections au conseil national des universités « santé » pour les filières maïeutique, sciences de la réadaptation et sciences infirmières. Pour cela, quatre textes réglementaires sont en cours de modification.
→ De septembre 2019 à février 2020 est prévue une campagne de qualification préalable pour les enseignantschercheurs de ces nouvelles filières. Leur recrutement est programmé pour le printemps 2020 et leur prise de fonction pour septembre 2020.