L'infirmière Magazine n° 408 du 01/10/2019

 

TÉLÉMÉDECINE

DOSSIER

ANNE-GAËLLE MOULUN*   MARIANNE BAILLY**  

Malgré un démarrage un peu lent, la médecine pratiquée à distance est en plein essor. Et donne de nouveaux rôles aux IDE, notamment dans le suivi des pathologies chroniques. Celles qui l’exercent déjà ont vu évoluer leur pratique et leur relation avec les patients.

Tous les clignotants semblent virer au vert pour un déploiement de la télémédecine. Le 15 septembre 2019, soit un an après le remboursement de la téléconsultation, la Caisse nationale d’Assurance maladie (Cnam) estimait que plus de 60 000 actes de ce type avaient été facturés dans l’ensemble du territoire. Des chiffres certes très en-deçà des estimations réalisées par le gouvernement, qui avait tablé sur 500 000 téléconsultations en 2019. Mais si en janvier 2019 seules 2 000 télé-consultations ont été décomptées, le rythme s’est ensuite accéléré. À la rentrée, leur nombre se situait aux alentours de 3 300 par semaine. Et l’environnement législatif et réglementaire devrait accélérer la montée en puissance.

Définie pour la première fois dans la loi du 21 juillet 2009, dite HPST (hôpital, patients, santé et territoires), cette pratique médicale à distance élargit son périmètre et n’est plus réservée aux seuls médecins. Le terme « télésoin » a fait son apparition dans la loi « Ma Santé 2022 » qui, dans sa définition, vise explicitement « les pharmaciens ou auxiliaires médicaux », au nombre desquels les infirmières (voir encadré p. 22). Nicolas Revel, directeur général de l’Union nationale des caisses d’Assurance maladie, a ainsi déclaré : « Au regard de la dynamique enclenchée, je suis aujourd’hui confiant : la montée en charge est nette et va aller en s’accélérant, en s’appuyant notamment sur les autres professions engagées dans la démarche comme les IDE ou les pharmaciens. »

Pallier la désertification médicale

De fait, les infirmières ont toute leur place dans les dispositifs de télémédecine actuellement déployés ou en cours d’expérimentation. Et peuvent intervenir à différents niveaux, qui sont autant d’opportunités de faire évoluer leur pratique. Tout d’abord, elles peuvent grandement contribuer aux solutions destinées à pallier le manque de médecins dans certains territoires. À ce titre, le dispositif monté par l’URML (1) Normandie en Sud-Manche, avec un matériel financé pour partie par l’ARS et pour partie par les communes, s’avère concluant. Après une prise de rendez-vous, les infirmières libérales volontaires (au nombre de 12) reçoivent les patients à leur cabinet, en lien avec un pôle de santé où exercent huit médecins. Elles procèdent à une première phase avec prise de constantes, interrogatoire, ouverture du dossier médical partagé (DMP), puis se connectent avec le médecin.

Elles disposent d’une télévision avec grand écran, d’appareils connectés avec un chariot de télémédecine, d’un stéthoscope connecté. Ensuite, le médecin envoie, si nécessaire, son ordonnance sécurisée par un QR code, puis l’infirmière décrypte la prescription. « Cela permet que le patient ait un contact avec son médecin traitant. Environ 20 % de la population ne se déplace plus et se retrouve vite en rupture de soin ou sans suivi régulier. On peut imaginer que le médecin voie le patient une fois par an et que les trois autres consultations soient faites en télémédecine. Et en cas d’urgence, une téléconsultation pourrait être organisée avec le médecin de garde, ce qui permettrait d’éviter l’embolisation aux urgences. Ce type de projet pourra être développé lorsque cela entrera dans le champ conventionnel, prévu en 2020. Nous allons mettre le paquet à l’automne dans cette perspective. Ce qui nécessite de trouver des médecins volontaires pour faire de la télémédecine, et une parfaite connexion », commente François Casadei, infirmier libéral au Havre (76) et président de l’URPS Normandie. En attendant, grâce à une enveloppe négociée par l’URPS auprès de l’ARS, les consultations infirmières ont pu être rémunérées 18,25 €. Par ailleurs, « les IDE sont très satisfaites d’exercer dans ce dispositif de télémédecine. Cela les fait monter en compétence et elles adorent suivre leurs patients avec un autre regard », ajoute François Casadei.

Le problème de la désertification médicale ne se pose pas seulement en province mais également à Paris, dans certains arrondissements, où beaucoup de médecins qui se déplaçaient à domicile sont partis à la retraite. Dans ce contexte, les infirmières peuvent également fluidifier la prise en charge. Comme l’explique Pierre Guérin, installé comme Idel au cabinet médical Ipso, à Paris : « Ce qui m’a intéressé dans la télémédecine, c’est le fait de pouvoir faciliter les consultations avec le médecin traitant. Souvent, nous étions obligés d’appeler SOS Médecins ou de faire hospitaliser les patients pour des problèmes qui auraient pu être réglés par le médecin traitant. Sauf qu’il ne se déplaçait pas ! » L’infirmier pratique ce type de consultations depuis dix-huit mois, uniquement pour des personnes âgées, et a été formé par la société Idomed sur les outils. Il peut s’agir d’un renouvellement d’ordonnance ou de prise de rendez-vous dans les vingt-quatre heures, dans des cas comme une pneumopathie ou une insuffisance cardiaque. « En participant aux consultations, je suis encore plus acteur de la santé du patient. On peut compléter son discours. Les personnes âgées ne disent pas tout ou peuvent oublier. Et c’est très sécurisant pour moi de savoir que je peux avoir recours à une téléconsultation en cas de problème. Cela apporte une connaissance globale des patients, c’est important, surtout chez des personnes âgées qui présentent des polypathologies. J’en suis très satisfait, je suis connecté et j’aime vivre avec mon temps. »

Pierre Guérin reconnaît toutefois certaines contraintes, comme la nécessité pour l’IDE et le médecin d’avoir un patient en commun, ce qui limite le recours à la téléconsultation dans ce dispositif. Pour résumer, loin d’être une consultation au rabais, la téléconsultation est valorisée par la présence de l’infirmière, « qui joue un rôle d’accompagnant et d’interprète de ce que dit le médecin au patient, et assure une présence humaine. Cela permet au médecin, comme à l’infirmière, d’avoir une meilleure connaissance du patient. Dans ce cadre, l’IDE peut développer des compétences supplémentaires », conclut Alex Ollivier, chef de projet spécialisé sur la télésurveillance et chargé de déployer au niveau national des solutions de télémédecine et de e-santé.

Suivi des pathologies chroniques

Par ailleurs, les pathologies chroniques, en pleine expansion, s’annoncent comme un terrain de prédilection pour le développement de la télémédecine. Et les infirmières vont être amenées à jouer un rôle croissant. C’est leur expertise dans un domaine qui est sollicitée, avec la perspective de montée en compétence et d’aller jusqu’aux pratiques avancées. « L’idée serait d’y aller surtout pour la télésurveillance, car il s’agit de suivre le patient dans l’intégralité de son parcours. La télésurveillance permet d’avoir des données cliniques nécessaires au suivi. Les IPA pourraient piloter leur patient via un dispositif de télémédecine », commente Alex Ollivier. Pour l’heure, les expérimentations déjà menées depuis quelques années illustrent le rôle des infirmières dans les dispositifs de suivi à distance des patients chroniques. Cela peut ainsi concerner les infirmières de dialyse ou celles suivant des patients en rémission de cancer. Notons que la loi reprend l’expérience Asalée, qui a démontré l’efficacité de confier à des infirmières quasiment IPA le suivi à domicile.

Au CHU de Grenoble, le service endocrinologie diabétologie nutrition, dirigé par le Pr Pierre-Yves Benhamou, a mis en place depuis mai 2018 un programme Étapes (2) de télésurveillance des patients diabétiques, dont environ 80 sont actuellement télésurveillés par deux infirmières, Cathy Domenech et Hélène Dupont. « C’est une expérimentation nationale, nous sommes l’un des centres les plus actifs dans ce domaine. Nous constatons beaucoup de satisfaction de la part des patients et des infirmières accompagnantes », précise Pierre-Yves Benhamou. Cathy Domenech, elle, est infirmière depuis seize ans en diabétologie, elle a reçu une formation en ETP de quarante heures et, pour la délégation de tâches, a suivi une semaine de cours validée par l’ARS pour l’ajustement des doses d’insuline. Pour elle, l’expérience a été un petit peu déroutante mais très positive : « Les gens sont choqués quand nous leur disons que nous faisons de la télémédecine. Nous ne les touchons plus dans leurs lits mais cela permet de créer une autre relation, tout aussi intéressante. Nous sommes plus dans le quotidien, nous pouvons lever des croyances, cela permet un suivi plus personnalisé. » Dans le cadre de ce programme, elle fait davantage de prévention, en donnant par exemple des conseils sur la diététique, l’activité sportive. Pour elle, « la technologie donne une nouvelle dimension à notre travail très riche ». Et du côté des patients, « les retours sont très positifs. C’est pour eux un “super coaching”, certains se sentent vraiment aidés et moins seuls. »

En première ligne en cardio…

Autre domaine porteur pour la télésurveillance infirmière : la cardiologie. Le suivi clinique à domicile pour les patients insuffisants cardiaques (Scad IC), en place dans une bonne partie du territoire normand, a fait ses preuves en permettant une réduction de l’ordre de 15 à 20 % des hospitalisations et de la morbi-mortalité des patients. Ces derniers se font prescrire une solution de télésurveillance, soit par un cardiologue, soit par un médecin traitant. L’infirmière Scad a en charge le monitoring et repère les alertes.

En Bretagne, le développement de la télécardiologie est inscrit dans les objectifs du programme régional de santé (PRS) depuis 2012. Au sein du service de cardiologie et des maladies vasculaires du CHU de Rennes, elle est employée pour le suivi des patients porteurs de prothèses cardiaques communicantes (défibrillateurs automatiques implantables). Via un boîtier, les données arrivent directement dans le service sur un site internet dédié et sécurisé. Le pool de trois infirmières, formées spécialement, est en première ligne pour répondre aux trois niveaux de vigilance définis. Au vert, tous les indicateurs sont normaux, le dossier est validé et classé. En alerte orange, l’infirmière envoie un mail au médecin chargé du patient qui prend alors une décision. L’alerte rouge intervient en cas de véritable problème technique ou clinique. L’infirmière contacte le patient et le fait venir dans la journée à la consultation spécialisée du service. « Cela nous aide beaucoup pour les fins de vie des batteries. On avait tendance à anticiper le changement de boîtier. Avec la télésurveillance, on a l’indicateur au jour le jour. L’infirmière peut gérer toute seule, lancer d’emblée l’hospitalisation du patient. Pour elle, c’est une vraie valeur ajoutée et l’on ne reviendrait pas en arrière. Cela devrait entrer dans la formation des infirmières dans le cadre des pratiques avancées », conclut le Pr Philippe Mabo, chef du service de cardiologie et de maladies vasculaires du CHU de Rennes (35).

… et sur les plaies chroniques

Les plaies chroniques sont aussi un domaine où la téléconsultation ne demande qu’à se répandre et a déjà fait ses preuves. En Normandie, le service Domoplaies fait ainsi appel à des infirmières expertes en plaies et cicatrisation. Elles opèrent en équipe et répondent aux sollicitations d’Ehpad ou d’infirmières libérales. Qui prennent la lésion en photo et l’envoient via une application installée sur leur portable, tandis que les infirmières référentes leur donnent des conseils sur les traitements à appliquer ou le type de pansement à faire.

Au sein du réseau Cicat-Occitanie, la télémédecine, en place depuis 2013, « fonctionne plutôt bien. Nous avons 500 ou 600 patients en file active et recrutons des IDE, précise Diego Valenzuela, infirmier coordinateur au sein du réseau. On a deux profils d’infirmiers : les experts, qui réalisent les consultations, sont titulaires d’un DU plaies et cicatrisations, sont formés et ont trois ans d’expérience et une formation e-learning à la téléconsultation, et les coordinateurs, qui sont également titulaires d’un DU et disposent d’une expérience en coordination. Ces derniers gèrent plutôt l’après : prise de rendez-vous pour une biopsie, sollicitation d’un médecin pour avis… »

Ces nouvelles façons d’accompagner les patients peuvent paraître difficiles à appréhender mais elles ne sont pas réservées aux IPA, le tout étant d’avoir le désir de se frotter aux nouvelles technologies. Comme le confirme Alex Ollivier : « Il n’y a pas de compétence particulière, il s’agit d’accompagnement. N’importe quel IDE en sortie de diplôme peut rejoindre les programmes de télémédecine, il faut seulement une certaine appétence pour le numérique. » Il ne reste plus qu’à s’y mettre.

1- Union régionale des médecins libéraux.

2- Expérimentations de télémédecine pour l’amélioration des parcours en santé.

TECHNOLOGIES

Du bon usage des outils

La télémédecine est généralement pratiquée avec un smartphone, une tablette ou un ordinateur. IDE en diabétologie au CHU de Grenoble (38), Cathy Domenech suit des patients qui doivent entrer sur une plateforme trois glycémies par jour. « Pour une gestion fluide de la technologie, le pré-requis est que le patient possède un smarphone. Nous pouvons aider ceux qui ont des difficultés pour démarrer, pour connecter un lecteur de glycémie, par exemple », explique-t-elle. Pierre Guérin, Idel à Paris, utilise un iPad pour montrer, par exemple, au médecin les chevilles d’un patient, uniquement pour des personnes âgées. « J’avais des craintes sur leur représentation de ce genre de consultation mais l’outil iPad ne les gêne pas. Ils sont tellement rassurés d’être en contact avec le médecin qu’ils connaissent », souligne l’infirmier. Pour le Pr Pierre Simon, néphrologue à Saint-Brieuc (22) : « Il ne faut pas de smartphone pour la télé-consultation. Il faut soit une tablette soit un ordinateur, pour disposer d’une surface suffisante et de meilleure qualité. »

REPÈRES LÉGISLATIFS

De la télémédecine au télésoin

→ En 2009, l’article 78 de la loi n° 2009-879 dite HPST (hôpital, patients, santé et territoires) a donné pour la première fois une définition légale à la télémédecine. le décret n° 2010-1229 du 19 octobre 2010 définit cinq actes :

- la téléconsultation offre la possibilité à un professionnel médical de donner une consultation à distance. le patient et le médecin, accompagnés ou non par un professionnel de santé, échangent. la téléconsultation vise à réaliser une évaluation globale et à établir un diagnostic pour définir la conduite à tenir par la suite. Depuis le 15 septembre 2018, elle peut être prise en charge par l’assurance maladie.

- la télé-expertise permet à un professionnel médical de solliciter l’avis d’un ou plusieurs autres professionnels avec l’assistance d’outils technologiques comme les partages de fichiers ou d’examens radiologiques, pendant ou à distance de la consultation initiale. le patient n’est pas nécessairement présent et s’il l’est, il n’interagit pas. la télé-expertise fait l’objet d’un remboursement depuis février 2019.

- La télésurveillance a pour objet de permettre à un professionnel médical d’interpréter à distance des données recueillies sur le lieu de vie du patient. Dans le cadre des expérimentations tarifaires étapes, elle concerne les patients en alD, qu’ils soient en établissement de santé, en structure médico-sociale ou à leur domicile.

- la télé-assistance médicale permet à un professionnel médical d’assister à distance un autre professionnel de santé au cours de la réalisation d’un acte.

- la régulation est la réponse médicale apportée dans le cadre de l’activité des centres d’urgence (centres 15).

→ La loi Ma Santé 2022 introduit le terme « télésoin », défini comme « pratique de soins à distance utilisant les technologies de l’information et de communication et qui met en rapport un patient avec un ou plusieurs pharmaciens ou auxiliaires médicaux ». Pour être remboursés, les actes de télésoin sont effectués par vidéotransmission, sous condition que le patient ait déjà réalisé un soin par un auxiliaire médical de la même profession que celui réalisant le télésoin. le mode de rémunération et les tarifs sont fixés par conventions. Concernant les Idel, l’avenant 6 permettra dès janvier 2020 de valoriser leur intervention dans le cadre d’une téléconsultation avec un médecin.

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