Parmi les mesures annoncées par Agnès Buzyn le 9 septembre, dans le cadre de son « pacte de refondation des urgences », figure la création d’infirmières de pratique avancée (IPA) aux urgences. Une initiative qui divise la profession.
« Montrer que la vision infirmière de la prise en soin du patient a une réelle plus-value »
Elles ont toute leur place aux urgences et ce, de plusieurs façons. Tout d’abord, les IPA telles qu’elles sont formées aujourd’hui, notamment celles qui interviennent en libéral, peuvent prendre en charge des soins non programmés. Elles peuvent donc intervenir dans le circuit du patient, en amont du passage aux urgences, et contribuer au désengorgement des services. Quant aux IPA urgentistes proprement dit, il s’agit d’un nouveau domaine d’intervention, et tout dépendra des contours qui lui seront donnés.
Dans le format annoncé, il s’agirait d’un rôle interventionnel. On peut notamment imaginer reconnaître l’expertise de l’infirmière d’accueil et d’orientation et augmenter cette expertise pour aller vers de vraies consultations de première ligne. Mais il s’agit de réflexions, qui devront être affinées lors de la rédaction des décrets qui encadreront l’exercice de ces professionnelles.
Il s’agit de deux choses différentes. Réaliser un acte du champ de compétence médical dans le cadre d’un protocole de coopération n’implique pas forcément d’avoir une réflexion scientifique telle qu’elle est exigée de l’IPA. Ensuite, l’IDE qui agit dans le cadre d’un protocole de coopération le fait sous la responsabilité d’un médecin, c’est une délégation d’acte. L’IPA, elle, assume seule la responsabilité de ses actes.
Évidemment, cela nous permet de monter en compétence. Il s’agit de saisir l’opportunité de montrer que la vision infirmière de la prise en soin du patient a une véritable plus-value. C’est aussi la possibilité de s’orienter vers une carrière plus clinique. L’IPA apportera une connaissance transversale du parcours patient, ce qui facilitera les suites de prise en soin.
Oui, et c’est pour cela que nous insistons sur la fonction transversale de l’IPA : une fonction de première ligne possible, ce qui peut avoir des avantages, mais sans oublier l’approche populationnelle. On a tendance à associer les urgences aux soins aigus et situations d’urgence vitale, alors qu’une IPA peut avoir un regard plus général sur les différentes situations.
Les étudiantes en pratique avancée qui ont commencé leur année de tronc commun à cette rentrée pourront se spécialiser dans les urgences à la rentrée prochaine, si le calendrier législatif le permet. Les premières IPA urgentistes sortiraient donc à l’été 2021. D’ici là, nous allons tout faire pour participer à la réflexion sur la définition de leur activité.
« Une coquille vide uniquement destinée à faire baisser la pression aux urgences »
En rien, du moins si l’on s’en tient à la manière dont les choses sont annoncées par Agnès Buzyn. Dans la présentation de la ministre, quand on compare la mesure qui concerne les IPA et celle qui concerne les nouvelles pratiques avec les protocoles de coopération, on réalise que c’est du copié-collé : dans les deux cas, il s’agit de faire des sutures, des plâtres et réorienter les patients à l’accueil. Les IPA sont donc à notre sens une coquille vide uniquement destinée à faire baisser la pression aux urgences.
Dans la vision proposée, ce que nous pouvons imaginer, c’est une infirmière qui suit un arbre de diagnostic. Il n’y a pas besoin de faire deux ans d’études supplémentaires pour cela. Une semaine de formation pourrait presque suffire : on reste dans le cas d’une infirmière soumise à la férule du corps médical. Je trouve d’ailleurs aberrant qu’en 2019, que les médecins jugent encore des programmes de formation que nous suivons. Par ailleurs, il me semble inenvisageable de limiter une IDE aux urgences pour toute la durée de sa carrière : dans les conditions actuelles, ce n’est pas tenable.
Aux urgences, nous ne manquons pas de compétences. Nous souffrons de la désorganisation globale du système. Bien sûr que nous pouvons faire des gestes en plus : nous sommes meilleurs que les médecins dès qu’il s’agit de mettre une aiguille quelque part, par exemple. Mais ce n’est pas possible de le faire à effectif constant : faire des gestes à responsabilité quand on est sous pression, c’est dangereux. Nous en avons l’illustration avec les protocoles de coopération : quand nous faisons des sutures pour 80 € de plus et que le médecin nous les laisse toutes, nous surchargeons des équipes infirmières déjà en surchauffe.
Nous ne sommes pas contre les IPA aux urgences : nous savons qu’il faut libérer du temps de médecin urgentiste, qui est du temps précieux. Et nous voulons aller vers l’universitarisation des métiers : il serait intéressant d’instaurer une continuité entre les métiers d’aide-soignante, d’infirmière et d’IPA, par exemple. Mais la manière dont les choses sont présentées ne va pas dans le bon sens. Nous proposons un modèle qui repose davantage sur le modèle canadien, où l’IDE urgentiste fait des plâtres, des sutures, de la réorientation, mais intervient aussi en ville avec de la prescription d’antibiotiques ou d’antalgiques, de la coordination de parcours complexes, de l’éducation à la santé… Un peu comme les actuelles IPA spécialisées dans les pathologies chroniques, mais avec en sus la possibilité d’intervenir sur l’aigu et le premier accès aux soins. Cela désengorgerait les urgences tout en s’attaquant au problème des déserts médicaux.
PRÉSIDENTE DE L’UNION NATIONALE DES INFIRMIÈRES EN PRATIQUE AVANCÉE (UNIPA)
→ 1997 : obtient son diplôme d’infirmière
→ 2003 : s’installe en libéral
→ 2017 : présidente du Regroupement associatif pour la promotion de la santé ouest des Yvelines (Rapsody)
→ 2019 : participe à la création de l’Unipa, premier syndicat des IPA, dont elle prend la présidence
PRÉSIDENT DU COLLECTIF INTER-URGENCES
→ 2013 : obtient son diplôme d’infirmier après des études à Tours
→ 2014 : travaille à La Chesnaie, célèbre clinique de psychothérapie institutionnelle près de Blois (41)
→ 2014 : devient infirmier aux urgences de l’hôpital Lariboisière à Paris
→ 2019 : co-fonde le collectif Inter-urgences dont il devient président
→ Depuis le mois de mars, une grève sans précédent s’est déclarée dans les services d’urgence dans l’ensemble du territoire.
→ D’après le collectif Inter-urgences, qui coordonne les mobilisations, pas moins de 255 établissements étaient touchés mi-septembre.
→ Face à cette mobilisation, la ministre de la santé a d’abord proposé fin juin une prime de 100 € mensuels nets pour le personnel des urgences, ce qui n’a pas éteint la contestation.
→ Elle a ensuite proposé début septembre un « pacte de refondation des urgences », décliné en douze mesures.
→ Parmi ces mesures, on trouve notamment la création d’un service d’accès aux soins (sas), censé « répondre à toute heure à la demande de soins des français », ou encore la possibilité pour les kinés d’effectuer certains actes en accès direct.
→ Deux mesures concernent plus particulièrement les IDE travaillant aux urgences : le renforcement des protocoles de coopération permettant de leur déléguer des tâches d’une part, et la création du métier d’ipa urgentiste, dont les contours sont encore flous.