L'infirmière Magazine n° 408 du 01/10/2019

 

ONCOLOGIE

SUR LE TERRAIN

INITIATIVE

HÉLÈNE COLAU  

Une Maison rose, lieu d’échange et de bien-être destiné aux femmes atteintes d’un cancer, vient d’ouvrir à Paris, trois ans après la pionnière bordelaise.

Jambes, tronc, bras, bras, tronc, jambes : il faut prendre le temps de bien faire les mouvements, sinon ça ne sert à rien ! » Au centre de la pièce dont la baie vitrée s’ouvre sur un jardin, Jocelyne Rolland prend le temps de corriger la position des quatre élèves, en caleçon de lycra, qui s’affairent sur leurs avirons. Ou plutôt leurs « aviroses », du nom d’une discipline créée par la kinésithérapeute. Ce sport en salle proche du rameur permet de remuscler en douceur les membres inférieurs et supérieurs… tout en ménageant les points faibles des femmes opérées du sein et du creux de l’aisselle, voire reconstruites.

Car, hormis leurs tenues moulantes et flashy, voilà l’unique point commun entre la quinzaine de femmes de tous les âges présentes cet après-midi-là : toutes ont connu le cancer et souhaitent à présent reprendre le cours de leur vie. Bien sûr, elles se posent encore des questions, d’ordre médical, professionnel ou relationnel. Mais elles n’ont pas trouvé les réponses entre les murs des hôpitaux, qu’elles n’ont par ailleurs pas envie de fréquenter plus que nécessaire. Cela tombe bien, rien ne rappelle ici leur univers aseptisé : les 230 m2 de cet espace niché derrière le Viaduc des arts, à Paris (XIIe), ressemble davantage à un appartement cosy, voire à un spa chic. Petits fauteuils roses et gris, cactus en pot, papier peint aux motifs d’oiseaux et miroirs baroques disposés un peu partout, du salon de beauté à la salle de bain, l’effet cocon est réussi.

Pas de jugement

→ Assise à une table, Céline fait des mots croisés en sirotant le thé qu’elle vient de se préparer dans la cuisine, ouverte sur le salon. Elle est arrivée de Cachan (Val-de-Marne), où elle réside, plusieurs heures avant le début de son cours de pilates. « Je viens ici depuis juillet, une période où j’étais au plus bas, explique-t-elle. Après mon traitement, le second en un an et demi, j’avais vraiment besoin de m’occuper l’esprit. Ici, je me sens apaisée et comprise : il n’y a aucun jugement. »

Apporter aide et réconfort aux femmes touchées par le cancer, tel est l’objectif de cette Maison rose, la deuxième ouverte en France par l’association RoseUp, après celle de Bordeaux il y a trois ans. « Nous voulions avant tout libérer la parole, explique Aurélie Benoit-Grange, la directrice. Ici, les femmes peuvent s’exprimer sans tabou, dire “Je suis fatiguée” sans craindre une réaction maladroite de l’entourage, qui tiendrait par exemple à les faire asseoir au moindre aveu de faiblesse. Elles se sentent comprises car elles ont vécu la même chose. »

Une stratégie en trois axes

→ L’offre de la Maison rose se répartit selon trois axes. D’abord, l’information sur des questions de santé. Des conférences sur des sujets médicaux, comme « Peuton choisir sa chirurgie ? », et des réunions d’information sur des questions plus pratiques - par exemple sur les prothèses mammaires - sont régulièrement organisées. « Les femmes peuvent obtenir des réponses à des questions qu’elles jugent bêtes, comme “puis-je aller à la mer avec ma prothèse ?”, explique Aurélie Benoit-Grange. Après avoir obtenu ces informations toutes simples, elles repartent apaisées. » Ne serait-ce pas aux soignants de calmer ces inquiétudes d’ordre médical ? « Hélas, leur temps est de plus en plus compté et contraint », soupire le Pr Ivan Krakowski, oncologue et président de l’Association francophone des soins oncologiques de support (Afsos), membre du comité de soutien de la Maison rose. « On ne peut pas non plus tout demander aux soignants et, dans les soins oncologiques de support, la société civile a un rôle qui doit être amplifié. »

Le deuxième axe est l’aide au retour à l’emploi, avec des explications sur le fonctionnement de la médecine du travail, les mi-temps thérapeutiques… et aussi les reconversions, tant la maladie induit chez les patientes une quête de sens. Nombreuses sont celles qui choisissent, par exemple, de se tourner vers une activité plus artistique. Enfin, le dernier axe, et non le moindre, concerne les soins de support, avec des ateliers onco-esthétiques, de la sophrologie, de la réflexologie plantaire ou encore des ateliers nutrition… De nombreux cours collectifs de sport (danse, gym douce…) qui respectent le rythme de la personne en évitant les mouvements non adaptés à son type de maladie, sont proposés. Des pratiques plus que conseillées lors de l’après-cancer : « Il est prouvé, notamment dans le cancer du sein, que la reprise du sport diminue le nombre et la gravité des rechutes », assure le Pr Ivan Krakowski. À la Maison rose, le choix est large, de la barre au sol ludique au tango argentin. « J’ai choisi ces activités en complémentarité avec les autres sites de soins de support de la région, afin de proposer des choses qui n’existent pas ailleurs », souligne la directrice.

Des ateliers multiples

→ Au catalogue des ateliers, on trouve par ailleurs du nail art mère-fille, des apéros sexo et même, prochainement, des cafés ménopause. C’est cette originalité qui a séduit Carine, jeune Parisienne venue dès l’ouverture de la Maison rose, qu’elle a apprise sur les réseaux sociaux. « J’adore la tricothérapie, sourit-elle. On ne pense à rien et c’est comme un livre, on a le plaisir de voir l’ouvrage avancer ! Ce que j’aime surtout, ici, c’est que je suis loin de l’hôpital… Rien n’est associé à la maladie. » Une détente aux effets précieux pour la guérison. « Le bien-être psychologique est fondamental pour accepter la maladie et recevoir les traitements dans les meilleures conditions, analyse le Pr Ivan Krakowski. Or, une meilleure observance induit une meilleure tolérance aux traitements et un meilleur taux de guérison. »

Une musique rythmée s’échappe du salon de danse, aux murs tapissés de miroirs, tandis qu’au milieu du salon, des tapis de sol rose fuchsia ont pris la place des rameurs. Un peu plus loin, une femme s’allonge sur la table de massage, dans une pièce à la lumière tamisée. Loin de l’agitation des sportives, c’est parti pour une demi-heure de modelage avec Amélie Cosneau, la socio-esthéticienne. « L’esthétique peut paraître annexe quand on affronte un cancer, mais les traitements induisent une perte de féminité très difficile à vivre, explique-t-elle. Le plus dur, c’est ce qui touche au visage : quand on a perdu ses cils, le regard des autres peut être gênant. Mon but, c’est de montrer qu’on peut se retrouver dans le miroir. » Amélie Cosneau propose pour cela des ateliers de maquillage correcteur des effets indésirables de la maladie (sourcils, ongles) et donne des conseils sur la façon d’hydrater sa peau, desséchée par les traitements, ou sur les vernis fortifiants permettant de limiter la chute des ongles.

Pendant que sa patiente se détend après son massage, au salon, le cours de pilates a commencé. La prof brandit deux petits coussins : « Une patiente me les a cousus, c’est très pratique pour se caler pendant les exercices, donc si vous avez des chutes de tissu rose, n’hésitez pas », plaisante-t-elle. La boutade amorce une discussion sur les coussins post-intervention, destinés à reposer le bras : attention au positionnement du lien qui sert à l’attacher, il risque de créer des contractures, prévient l’intervenante. Au détour d’une activité, quand la question de la maladie surgit, c’est sans gravité aucune que la discussion s’amorce. L’échange de bons plans fonctionne à plein. « C’est intéressant d’avoir des conseils pratiques, approuve Simone, une des élèves. Car même si, en tant qu’ancienne infirmière, je pensais avoir des connaissances, comme patiente, j’ai encore beaucoup à apprendre ! »

HISTORIQUE

Un accompagnement adapté

→ Les Maisons roses sont la prolongation, sous forme de lieu de vie, de Rose magazine, lancé en 2011 par deux Bordelaises dans le but de fournir aux femmes touchées par la maladie une information gratuite et de qualité. Il est aujourd’hui distribué dans 1 100 services de cancérologie en France.

→ Ouverte le 3 juin, la Maison rose parisienne a déjà enregistré 132 adhésions et 850 passages. Pour bénéficier de ses activités, il suffit de pousser la porte et d’adhérer à RoseUp (25 € par an). Ensuite, un entretien avec l’équipe permet de mesurer les attentes de la personne et de l’accompagner au mieux, en lui conseillant les activités les plus adaptées. « Je me souviens d’une femme qui souhaitait faire du sport alors qu’elle allait bientôt subir une intervention et qu’elle était visiblement stressée, raconte la directrice. Je lui ai conseillé de commencer par la sophrologie, pour se détendre, et de ne reprendre le sport qu’après. »

→ Le planning des ateliers est disponible en ligne : 30 à 40, individuels ou collectifs, sont proposés chaque semaine. La priorité est donnée aux femmes en traitement mais la maison reste accessible un an après celui-ci.

Maison rose de Paris, au 27, rue de Rambouillet, Paris XIIe. Ouvert du lundi au vendredi, de 10 h à 17 h. Renseignements sur : https://paris.maisonsrose.fr