L'infirmière Magazine n° 409 du 01/11/2019

 

PUÉRICULTRICES

SUR LE TERRAIN

REPORTAGE

CÉCILE BONTRON  

L’école d’infirmières puéricultrices de Mayotte diplôme sa deuxième promotion cette année. Dans un département où plus de la moitié de la population a moins de 18 ans, la formation permet d’aborder les spécificités locales et de fidéliser les soignantes.

Nathalie arrive en avance dans la salle de soin, le temps de récupérer un peu. Le CH de Mayotte (CHM) est situé dans les hauteurs de Mamoudzou, la plus grande ville du dernier département français. Et si tout le monde vient en voiture ou en taxi collectif, les bâtiments de l’hôpital se succèdent sur une pente raide.

Dans la salle de soin, un nouveau-né dort dans son berceau translucide. « C’est le 37 milieu », lui explique Amélie, l’une des deux infirmières titulaires de la maternité. Il y a deux jours, la chambre 37, comme toutes les autres, en était encore aux portes et fenêtres, c’est-à-dire avec deux bébés maximum par pièce, un de chaque côté. Mais hier, vingt-quatre nouveaux pensionnaires sont arrivés et il a fallu pousser un peu les murs. La routine à Mayotte, qui, avec 10 000 naissances par an, décroche le titre de « première maternité de France ».

Le choix de la néonat’

Nathalie est ici en stage. Elle fait partie de la deuxième promotion de l’école d’infirmières puéricultrices de Mayotte. Un métier qui n’avait rien, pour elle, d’une vocation. À l’origine, la jeune femme était partie en métropole décrocher une licence en biologie moléculaire et cellulaire, afin de travailler dans la conception de médicaments. « Sauf que j’ai réalisé que je ne voulais pas rester en métropole, se rappelle-t-elle. Mais ici, il n’y a pas de débouchés. » Alors elle a tenté l’institut de formation en soins infirmiers du CHM, dont elle est sortie diplômée en 2016.

Rien ne la prédestinait cependant aux enfants : Nathalie espérait travailler dans le service de réanimation adulte. Mais faute de place, et sans aucune préparation initiale, elle se retrouve propulsée en néonatalogie. « On avait des 700 g, des 600 g… J’avais peur de mal toucher, de déplacer un muscle ou une articulation tellement ils sont petits », raconte-t-elle. La jeune IDE est rapidement formée par ses collègues mais elle estime que cela ne suffit pas. Elle réalise ses propres recherches. « J’avais beaucoup de choses à apprendre, dit-elle. Et puis, c’est un service où il y a beaucoup de turnover. Beaucoup de mes collègues étaient récemment diplômées. » Après quelques mois, sa décision est prise : elle veut rester en néonatalogie, car « elle est tombée en amour avec ces petits bébés », mais elle veut améliorer sa prise en charge et intègre la formation infirmière puéricultrice.

La longue histoire de la formation IDE

L’école d’infirmières puéricultrices a été créée en septembre 2016, c’est la dernière étape d’une longue histoire dans la formation des IDE mahoraises. Lancée en 1977, la première école locale d’infirmières formait des élèves qui n’avaient aucun diplôme car le système scolaire était lui aussi balbutiant : il n’allait pas plus loin que le CM2. « Il y avait beaucoup d’autodidactes. Nous avons créé un programme adapté à la situation de l’île, où il y avait encore du tétanos, de la malnutrition et beaucoup de parasitose intestinale car il n’y avait pas d’hygiène. Nous formions des infirmières aux pieds nus », se rappelle Josiane Henry, directrice des soins, chargée de l’Institut des études en santé du CHM.

Dans les années 1990, le développement de l’île s’accélère, l’hôpital ouvre des services aux normes. En 2001, l’école locale ferme et laisse place à un véritable Ifsi. La formation d’IDE puéricultrices arrive en 2016. « Près de 70 % de la population a moins de 20 ans, rapporte Josiane Henry. Nous avons beaucoup de mal à trouver du personnel qualifié pour les services de pédiatrie et néonatalogie, les urgences pédiatriques et la chirurgie. » Mais monter une formation dans cet archipel isolé demande de l’inventivité. Grâce à la visio-conférence, Roselyne Souard, formatrice puéricultrice, a tout de même pu faire intervenir des experts reconnus, comme Maela Paul, chercheuse de l’université de Nantes, qui travaille notamment sur l’accompagnement du patient.

Un système en équilibre

Dans la salle de soin, les transmissions des sages-femmes de nuit se succèdent. Nathalie et Amélie vérifient les différents fichiers, prennent des notes. « 42 porte doit recevoir le BCG ; 42 fenêtre, bébé en néo-nat ; 43 fenêtre transfert possible. » Ce moment-clé des transmissions est particulièrement crucial ici, où les mouvements de patients sont constants. Le CHM se trouve en effet au centre d’un réseau de soin, mis en place pour organiser rapidement les transferts des mères et bébés et délester l’hôpital. Le développement accéléré de Mayotte a créé un écart important avec ses voisins de l’archipel des Comores, si proche. Conséquence : le CHM doit officiellement couvrir une population de 270 000 personnes, mais en couvre peut-être le double. Sans oublier qu’à Mayotte, peu de grossesses sont suivies : dans les bidonvilles qui poussent comme des champignons, les femmes ne s’inscrivent pas à la maternité, les naissances ne peuvent pas être anticipées. Les femmes accouchent donc à l’hôpital de Mamoudzou, mais si leur état et celui de leur bébé le permettent, elles sont transférées dans une maternité périphérique.

Manque de place et spécificités locales

Dans la salle de soin, la liste des transmissions s’égraine au rythme des histoires médicales du jour. Mais une sage-femme prévient : « Il n’y a plus de place en transfert, on essaie de faire sortir au maximum. Elles viendront au dispensaire (aujourd’hui appelé le centre de consultation, NDLR) faire la pesée et le test de Guthrie. » Pour l’instant, il y a trente-trois bébés dans le service. Des lits ont été ajoutés dans quelques chambres. « Nous avons déjà eu des problèmes de place, raconte Amélie. On a dû mettre les patients en gynéco, dans le couloir et même au tri. Là, ça va. » Mais l’IDE, à Mayotte depuis deux ans et demi, s’étonne quand même : « Ce bébé à J2 va sortir ? » Sa collègue répond : « Ils font sortir des J1 ! »

Cet après-midi, il n’y aura pas d’infirmière dans le service. Zaïna Boinali, l’autre IDE titulaire de la maternité, doit assurer une mission dans un autre service. Amélie décide de faire les urgences : prises de sang, OEA (oto-émissions acoustiques), BCG, test de Guthrie. De toute façon, les infirmières ont rarement le temps de faire les soins de nursing. « Dans mes stages en métropole, on n’avait pas autant de soucis d’effectifs, se rappelle Nathalie. Ici, on a une telle charge de travail que nous ne pouvons par exemple pas réaliser les soins à quatre mains, comme les aspirations, qui sont très intrusives. C’est difficile pour le bébé, mais on n’a pas le choix. »

Pendant que l’auxiliaire de puériculture baigne les bébés les uns après les autres, un cas particulier mobilise les soignantes. Une maman ayant la lèpre a accouché dans la nuit. Les équipes de la maternité ne s’y attendaient pas. Le bébé a été maintenu éloigné de la salle de soin avant l’avis du pédiatre, l’un des médecins qui ont pris racine sur « l’île aux parfums ». « Il faut savoir si la mère est traitée, affirme-t-il, ce n’est pas si contagieux que ça ! » Parmi les soignantes, beaucoup viennent de métropole et n’ont jamais été confrontées à ce type de situation. Le contexte sanitaire mahorais est en effet très différent de celui de la métropole, la formation en puériculture met donc l’accent sur des pathologies plus répandues dans l’archipel, notamment la drépanocytose, la malnutrition ou le diabète. Au bout de quelques minutes, le pédiatre revient, rassurant.

Stop aux IDE « sac-à-dos » !

Le CH de Mayotte a du mal à recruter des soignants sur le long terme. L’un des buts de l’école d’infirmières puéricultrices est de réduire le recours aux « infirmières sac-à-dos », ces IDE qui ne viennent qu’un an et repartent immédiatement. Les candidates à la spécialisation bénéficient donc d’un financement total de leur formation ainsi qu’un maintien de la rémunération, mais doivent s’engager à travailler durant trois ans à l’hôpital. Car les allers-retours des soignants métropolitains a une incidence sur l’ambiance dans les services. « Au début, on essaie de créer des liens, et puis les gens partent, explique Amélie, C’est dur émotionnellement. Au bout d’un moment, on se protège. »

Dans la salle de classe des derniers cours de l’année, six élèves sur quatorze sont mahoraises. Les élèves « métro » sont toutefois à Mayotte depuis plusieurs années, comme Caroline Edmond-Cœur, IDE depuis 2010 et travaillant dans l’archipel depuis sept ans, ou Mylène Dumay, IDE depuis 2013 et à Mayotte depuis cinq ans. « Il y a des infirmières qui pensent partir faire de l’humanitaire en venant à Mayotte, elles ne restent qu’un an », souligne Charline Chartrain, étudiante de la formation. Mais les infirmières sont loin d’avoir les plus petits engagements : chez les médecins, les contrats peuvent ne durer qu’un mois. « Les aides-soignantes parlent mahorais et peuvent nous aider. Nous sommes beaucoup de “mzoungous” (« blancs » en mahorais) ! Nous arrivons toujours à nous faire comprendre. »

Pendant qu’Amélie enchaîne prises de sang, vaccins ou tests de Guthrie, Nathalie se charge d’une visite chez le pédiatre. Elle va chercher la maman pour l’emmener avec son bébé dans le cabinet, au bout du couloir. La jeune femme ne décoche pas un mot. « Vous le déshabillez ? », demande poliment Nathalie. « Non, faites-le », répond la mère. Figée, en retrait, la nouvelle maman attend que les médecins prennent soin de son petit, car dans les cultures mahoraises ou comoriennes, tout soignant est un sage à respecter. Nathalie mobilise alors ses cours sur la relation mère-enfant et tente d’expliquer le lien que la jeune femme a déjà développé avec son bébé. C’est tout l’intérêt de la formation, estime Zaïna Boinali : donner aux IDE une meilleure compréhension de la relation mère-enfant et favoriser l’autonomie des mères. L’infirmière puéricultrice, qui prend les gardes de 10 h à 17 h, a fait partie de la première promotion de l’île. « Aujourd’hui, mes camarades et moi avons une vision rapide des situations car nous avons acquis de nouvelles connaissances, rapporte-t-elle. Nous travaillons avec les mamans. Elles ne sont pas très demandeuses, mais c’est à nous de proposer. » La quadragénaire commence à organiser des réunions d’information pour les femmes. « Nous y parlons de contraception, nous répondons à leurs questions et elles osent s’exprimer », assure-t-elle. Une façon pour les IDE puéricultrices de faire bouger les lignes, doucement, en respectant la culture mahoraise.

HISTORIQUE

Un développement très tardif

Comme beaucoup d’îles, Mayotte connaît une histoire mouvementée. En 1841, le sultan d’origine malgache Andriantsouli cède l'île de Mayotte à la France. Mayotte devient dès lors protectorat français, qui s’élargit ensuite aux trois autres îles de l’archipel des Comores. Un référendum d’auto-détermination est organisé en 1974. Si les autres îles choisissent l’indépendance, Mayotte veut rester française. Après un nouveau référendum uniquement mahorais, le petit archipel devient une collectivité territoriale de la République en 1976. L’école d’infirmières est créée dès 1977, quand tout le système de soin reste à inventer. C’est une école d’abord locale, qui devient un Ifsi national en 2001. Et en 2011, après un nouveau référendum, Mayotte devient le 101e département français.