L’INVITÉ
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D’abord, la gêne s’était installée dans mon cou. Puis, lentement, elle avait gagné le dos. Comme des fourmillements. Légers mais obsédants, comme une alarme discrète, un appel à la vigilance alors qu’on ne voit aucun danger. L’instant d’avant, je souhaitais bonne nuit à M. G. que je connaissais bien. Ce patient, souffrant d’un trouble de la personnalité limite, venait souvent aux urgences psychiatriques, après des tentatives de suicide récurrentes. Rassuré d’être pris en charge à l’hôpital, il semblait ce soir-là aller mieux, plaisantait allègrement et s’apprêtait à passer la nuit dans le service avant son transfert le lendemain dans un établissement spécialisé. Non, aucun danger, tout allait bien. La nuit recouvrait lentement la ville de son voile orangé, et sa relative fraîcheur apportait enfin un doux répit à nos corps usés par la canicule de juillet. Le service était calme et la télévision chantait Bénabar devant quelques patients détendus. Tout allait bien. Et pourtant, la gêne allait maintenant jusqu’au creux de mes reins, de plus en plus oppressante, comme une sirène hurlante. Je connaissais cette sensation. C’était celle qui d’abord chuchote : « Attention, quelque chose ne va pas… », avant de le crier. Celle qui fait battre le cœur dans une rue sombre et étroite la nuit, qui fait lever les yeux quand approche l’orage, crispe les muscles avant que ne claque le tonnerre puis fait fuir bien trop tard, quand la pluie tombe déjà. Puis soudain, la panique, les jambes tremblantes, la chair de poule, les frissons. Pas d’orage ni de rue sombre mais désormais le visage de M. G. qui s’imposait à moi, trop souriant, trop rassurant, trop inhabituel. L’évidence était là devant moi, il allait au plus mal malgré ses sourires et la gêne, c’était lui. J’avais alors couru et trouvé mon patient passant un lien autour de son cou, dans le silence orangé d’une douce nuit d’été.
« Christophe, c’est parce que tu connais parfaitement M. G. que tu as été alerté par un signe indéfinissable et a priori imperceptible. C’était ton intuition… Seuls ceux qui sont proches de leurs patients sont sensibles à l’imperceptible », m’avait expliqué Germaine. « Accompagne-les au plus près, crée du lien, et tu verras l’invisible… » Germaine avait raison. N’est-ce finalement pas là le cœur du métier de soignant, avant que tombe la pluie : créer du lien pour voir l’invisible ?