L'infirmière Magazine n° 409 du 01/11/2019

 

CARRIÈRE

GUIDE

GILLES DEVERS  

AVOCAT À LYON

Procédure disciplinaire pour un infirmier, patient suicidaire… Coup de projecteur sur quelques décisions de jurisprudence(1) rendues ces derniers mois par les tribunaux.

Les décisions analysées ci-après permettent de se pencher sur la notion de faute dans les soins et de sanction disciplinaire en établissement de santé.

Agression d’un patient par un autre

Dans un service de médecine générale, l’agression d’un patient par un autre, qui était désorienté mais pas agressif, avec un personnel attentif et réactif, ne révèle pas une faute dans le fonctionnement du service.

• Faits. Un patient atteint depuis 1999 d’une maladie neuro-dégénérative a été hospitalisé dans un CHU le 3 octobre 2012, à l’âge de 63 ans, en raison d’une suspicion de coliques néphrétiques. Dans la nuit du 4 au 5 octobre 2012, il a été victime d’une agression commise par un autre patient, âgé de 79 ans, occupant une chambre voisine. Il a présenté une fracture ouverte du 5e doigt de la main gauche, nécessitant une intervention chirurgicale d’ostéosynthèse, réalisée le 5 octobre 2012. Le 8 octobre suivant, il a pu regagner son domicile.

• Analyse. Le patient ayant agressé la victime le 4 octobre 2012 avait été admis la veille en vue de la réalisation d’un bilan organique en raison de troubles du comportement. Son agressivité à l’égard des soignants avait initialement nécessité la mise en œuvre d’une contention qui a été levée, conformément aux règles de bonnes pratiques, dans la matinée du 4 octobre, en association avec un traitement pharmacologique.

Ce patient n’a ensuite présenté aucun signe d’agitation particulier jusqu’en début de nuit. Il a été retrouvé dans la chambre de la victime vers 23 h et a été raccompagné à son lit par les aides-soignants. Il y est cependant retourné peu de temps après et a agressé à cette occasion la victime. La circonstance que ce patient n’ait pas fait à nouveau l’objet d’une mesure de coercition, notamment de contention, ni même d’une mesure de surveillance constante dès son premier retour dans sa chambre, ne peut constituer une faute alors que son état ne pouvait laisser suspecter un risque d’agression à l’égard d’un autre malade au sein d’un service d’hospitalisation de courte durée non spécialisé.

• Cour administrative d’appel de Bordeaux, 25 juin 2019, n° 17BX02338

Surveillance d’un patient en chambre d’isolement

Le suicide d’un patient en chambre d’isolement, par étouffement, ne laisse pas apparaître de faute, analysée à travers la relation, la surveillance et la fouille.

• Faits. Un patient né le 25 juin 1954, souffrant de troubles psychiatriques ayant nécessité plusieurs hospitalisations depuis 1981, a été hospitalisé dans un CHS à la demande d’un tiers le 4 octobre 2012 après avoir fugué de son domicile. Par ordonnance du 16 octobre 2012, le juge des libertés et de la détention a ordonné le maintien de soins sous contrainte en hospitalisation complète. Il avait, du fait d’un comportement agressif, été placé en chambre d’isolement depuis le 7 novembre 2012. Le patient a été retrouvé sans vie, la bouche remplie de papier hygiénique, le 16 novembre 2012, aux environs de 4 h 45.

• Analyse

→ Doléances et craintes exprimées par le patient. Avant son suicide le 16 novembre 2012, le patient n’avait jamais effectué de tentative de suicide. S’il avait pu se montrer violent à l’encontre de tiers dans le cadre de délire de la persécution, il ne s’était jamais montré violent envers lui-même. Son hospitalisation sans son consentement n’était pas liée à un risque d’autolyse mais à la volonté de l’astreindre à suivre un traitement médicamenteux.

Au cours de cette hospitalisation, le patient avait pris régulièrement ses traitements, lesquels ont été adaptés à sa pathologie via notamment une augmentation des doses de Haldol et de Loxapac. S’il avait évoqué auprès des soignants les jours précédant son suicide une angoisse très forte et la conviction qu’il allait mourir avant ses 59 ans, un tel anniversaire ne devait intervenir que dans plus de six mois, et le patient n’avait pas montré lors de telles discussions avec le personnel soignant de signes de violence envers lui-même ou de volonté de se suicider avant son anniversaire. Par suite, rien dans ses antécédents ni dans le comportement de l’intéressé ne révélait une urgence suicidaire nécessitant une surveillance constante.

→ Surveillance. Le patient ayant exprimé la crainte d’être tué par deux autres patients, il avait été à cette occasion placé en chambre d’isolement et bénéficiait ainsi, du fait d’un tel placement, d’un protocole de surveillance spécifique sous forme de ronde de surveillance par les infirmiers toutes les heures.

Le 15 novembre 2012, les infirmiers ont décrit à 21 h le patient comme très délirant, mais calme, se couchant et s’endormant vers 22 h. Les feuilles de surveillance et les transmissions ciblées confirment la réalisation de telles rondes chaque heure pendant toute la nuit, soit directement dans la chambre, soit via un contrôle par l’oculus de celle-ci, et ce, jusqu’à la découverte de son suicide.

Ainsi, cette surveillance, régulière et attentive, était adaptée à son état de santé.

→ Fouille. Une fouille avait eu lieu deux jours auparavant et avait permis de retrouver une brosse à dent cachée sous le matelas par le patient. Alors qu’aucun signe d’urgence suicidaire n’était visible, l’équipe soignante n’avait pas à procéder à une fouille de la chambre d’isolement la veille du suicide ou au cours de la nuit pour vérifier si le patient n’aurait pas dissimulé du papier hygiénique.

• Cour administrative d’appel de Lyon, 4 juillet 2019, n° 17LY02427.

Changement d’affectation et procédure disciplinaire

Un changement d’affectation, pris dans le cadre de l’organisation du service, et même s’il inclut la réponse à un comportement personnel, est une mesure d’ordre intérieur, non susceptible de recours. En revanche, un manque de compétence et d’attention est une faute disciplinaire.

• Faits. Un infirmier, titulaire depuis 1994 au sein d’un établissement public médico-social, exerçait ses fonctions au sein d’un foyer d’accueil médicalisé. En février 2013, à la suite d’un incident survenu avec une patiente atteinte d’épilepsie, il s’était vu infliger un avertissement. Il avait ensuite été affecté dans un autre service, à compter du 1er juin 2013. Puis, par un conseil de discipline du 20 mai 2014, il avait été sanctionné d’une mise à la retraite d’office par une décision du 20 mai 2014.

• Le changement de service

→ En droit. Les mesures prises à l’égard d’agents publics qui, compte tenu de leurs effets, ne peuvent être regardées comme leur faisant grief, constituent des mesures d’ordre intérieur, insusceptibles de recours. Il en va ainsi des mesures qui, tout en modifiant leur affectation ou les tâches qu’ils ont à accomplir, ne portent pas atteinte aux droits et prérogatives qu’ils tiennent de leur statut ou à l’exercice de leurs droits et libertés fondamentaux, ni n’emportent perte de responsabilités ou de rémunération. Le recours contre de telles mesures, à moins qu’elles ne traduisent une discrimination ou qu’elles revêtent le caractère d’une sanction disciplinaire, est irrecevable.

→ Analyse. L’infirmier avait été transféré du foyer d’accueil médicalisé où il était affecté vers une autre unité de l’établissement. Ses tâches avaient évolué en raison de cette mutation, dès lors qu’elles n’étaient plus d’ordre psychiatrique, mais ses nouvelles missions relevaient des fonctions dévolues aux infirmiers. Les deux emplois concernés correspondaient au même grade, au même positionnement hiérarchique et donnaient lieu à la même rémunération, et les responsabilités étaient restées du même ordre.

Le changement d’affectation était, également, motivé par la volonté de faire aborder à l’intéressé des fonctions nouvelles et celle de pourvoir à un poste devenu vacant dans l’unité d’accueil. Cette décision d’affectation n’avait donc pas porté atteinte aux droits et prérogatives statutaires de l’infirmier. Certes, le changement d’affectation avait été pris pour des motifs tenant au comportement, mais il restait une mesure d’ordre intérieur, ne faisant pas grief et ne pouvant être contesté en justice.

• La sanction disciplinaire

→ En droit. Selon l’article 29 du statut général (loi du 13 juillet 1983), toute faute commise par un fonctionnaire dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions l’expose à une sanction disciplinaire.

→ Analyse. Il était reproché à l’infirmier d’avoir démontré pendant la dernière période une réelle insuffisance professionnelle ainsi qu’un manque de rigueur dans l’accomplissement de ses tâches au quotidien. La liste était sérieuse : prélèvement de sang insuffisant dans un tube ensuite complété à nouveau, carences graves dans les transmissions écrites et orales, défaut de communication d’informations essentielles concernant l’état de santé des résidents et le fonctionnement du service, manque de réactivité dans l’exécution des prescriptions des médicaments, erreurs récurrentes médicamenteuses, oublis ayant des conséquences sur le bien-être des résidents, fautes d’asepsie, notamment concernant le soin à un résident porteur du VIH, difficultés à retenir l’identité des résidents… L’infirmier soutenait que la sanction était fondée sur des faits non avérés ou sur des faits dont il convenait de réduire les effets et la portée, en raison notamment de la responsabilité pesant sur certains de ses collègues de travail. Toutefois, l’établissement versait au dossier un rapport rédigé par l’équipe des infirmiers qui faisait état, de façon précise et circonstanciée, des manquements répétés commis par leur collègue en matière de transmissions et de communication d’informations de nature médicale, d’une méconnaissance des règles en matière d’asepsie après l’emploi d’un ustensile utilisé sur un patient atteint du VIH ou encore de la manipulation inappropriée d’un échantillon comportant du sang prélevé sur un patient. L’examen des cahiers de transmission confirmait l’existence de ces manquements.

L’infirmier reconnaissait certains de ces manquements, mais il les attribuait à un défaut de formation lors de son changement de service en mars 2013. Toutefois, cet agent, qui bénéficiait d’une ancienneté de plus de 20 ans, avait effectué deux stages de formation à la pratique des soins infirmiers sur les derniers temps, et malgré l’accompagnement par un collègue, il avait commis d’autres erreurs. Ainsi, ces omissions et les négligences répétées étaient de nature à justifier le prononcé d’une sanction disciplinaire. Eu égard à la gravité des faits reprochés, susceptibles de perturber le bon fonctionnement du service et de mettre en danger des patients particulièrement vulnérables, et en l’absence de remise en cause par l’infirmier des modalités de son exercice professionnel, la sanction de la mise à la retraite d’office était proportionnée à la gravité de ces fautes.

• Cour administrative d’appel de Nantes, 12 avril 2019, n° 17NT02009.

1- Extrait d’un article paru dans la revue Objectif Soins & management, n° 271.

SAVOIR PLUS

→ Claude Rambaud, Georges Holleaux, La responsabilité juridique de l’infirmière, Éd. Lamarre, 2014.

→ Gilles Devers, Droit et pratique du soin infirmier, Éd. Lamarre, 2013.