L'infirmière Magazine n° 409 du 01/11/2019

 

AFFAIRE DU MEDIATOR

ACTUALITÉS

FOCUS

HÉLOÏSE RAMBERT  

Dans l’affaire du Mediator, la France fait figure d’exception. Le médicament n’a pas été à l’origine de désastres sanitaires dans d’autres pays européens. Chez nos voisins, il n’a jamais été autorisé ou a été retiré du marché, et ce bien avant que la France ne l’interdise.

Novembre 2009. C’est la date à laquelle le benfluorex (Mediator) a été retiré du marché par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps, aujourd’hui ANSM). Soit dix ans après le premier signalement de valvulopathie aux autorités de pharmacovigilance, qui l’ont ignoré. Le 11 octobre dernier, la revue Prescrire(1) recevait à Paris l’assemblée générale de l’International Society of Drug Bulletins (ISDB), un réseau mondial de revues sur les médicaments et les thérapies indépendantes. L’occasion d’évoquer devant la presse l’expérience d’autres pays européens avec le benfluorex. Car l’« affaire du Mediator » n’est pas franco-française, même si aucun autre pays n’a vécu un scandale sanitaire comme le nôtre.

Inquiétudes italiennes

Le benfluorex est mis sur le marché en 1976 en France, en Suisse, au Luxembourg, en Italie, en Espagne, au Portugal et en Grèce. L’alerte vient très tôt d’Italie. « Le centre de recherche pharmacologique indépendant Mario-Negri, à Milan, a joué un rôle très important, explique Rita Banzi, une des responsables du centre. Les chercheurs de l’institut ont été parmi les premiers à comprendre que le benfluorex posait de graves problèmes. Le directeur, à la fin des années 1990, était aussi le représentant de l’Italie à l’Agence européenne du médicament. Il a écrit une lettre, dès 1998, pour faire part des inquiétudes sur les effets secondaires de la molécule. Mais cette dernière n’a pas été rapidement prise en considération, et le médicament est resté sur le marché jusqu’en 2003. » Officiellement, les laboratoires Servier retirent leur produit du marché en Italie car les ventes sont insuffisantes, mais dans un contexte de pressions et de fortes menaces de retrait officiel par les autorités de santé. Revers qui aurait envoyé un signal désastreux à son marché principal : la France.

Refus d’AMM néerlandaise

Probablement pour les mêmes raisons, Servier renonce aux marchés suisse et espagnol, où ses ventes de benfluorex sont aussi très basses, en 1997 et 2003. Certains pays n’ont jamais accepté de donner l’autorisation de mise sur le marché (AMM) au benfluorex. C’est le cas, par exemple, des Pays-Bas. « Servier a essayé d’obtenir une autorisation pour la perte de poids chez les patients atteints de diabète. Le Conseil néerlandais d’évaluation des médicaments (CBG) n’était pas convaincu que le benfluorex avait un effet statistiquement significatif sur le poids chez ces patients. Servier n’a pas été en mesure de montrer d’études qui faisaient état d’un effet positif sur le diabète. Il a donc refusé », indique Dick Bijkl, médecin, épidémiologiste et président de l’ISDB. Par ailleurs, d’après Kees van Grootheest, directeur du centre néerlandais de pharmacovigilance, « la surveillance de la sécurité des médicaments aux Pays-Bas est mieux réglementée qu’en France ».

1 - Pour aller plus loin, lire le dossier « Autour du procès Médiator », sur le site de la revue Prescrire, bit.ly/2kCQFme

REPÈRES

Chronologie d’un scandale

→ 1976 : Servier commence à commercialiser, en France, sous le nom de Mediator, le benfluorex, un anti-diabétique largement prescrit comme coupe-faim (anorexigène).

→ 1997 : Isoméride et Pondéral, autres fenfluramines anorexigènes des laboratoires Servier, sont retirés du marché mondial car ils sont responsables de valvulopathies et d’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP).

→ 1999 : premier signalement à la pharmacovigilance d’un cas de valvulopathie cardiaque par le cardiologue Georges Chiche. Révélation ensuite d’un cas de HTAP.

→ 2009 : La pneumologue Irène Frachon alerte les autorités sanitaires de risques cardiaques liés directement à la prise du Mediator, sur la base d’une étude de cas-témoins au CHU de Brest. Retrait, en France, du Mediator. Il a été prescrit à cinq millions de personnes en trente-trois ans.

→ 2010 : selon l’Afssaps (Agence française de sécurité sanitaire de santé), le Mediator a causé au moins 500 morts.

→ 2014 : la responsabilité de l’État est reconnue par les tribunaux puis par le Conseil d’État en 2017.

→ 2015 : la responsabilité civile de la firme Servier est reconnue par les tribunaux, confirmée par la Cour de cassation en 2017.

→ 2019 : ouverture du procès pénal. L’Agence française du médicament doit répondre de « blessures et homicides involontaires par négligence » ; Servier est accusé de faits de « tromperie aggravée avec mise en danger de l’homme » et de « blessures et homicides involontaires par violations manifestement délibérées ».