Depuis le printemps, la réforme de la formation des AS est au cœur d’intenses discussions. En jeu : l’attribution de nouveaux actes à cette profession en mal de reconnaissance. Mais les évolutions à venir ne sont pas sans susciter quelque inquiétude côté infirmier.
C’est un chantier qui était à l’arrêt depuis 2017, et que certaines IDE auraient bien aimé ne jamais voir redémarrer. Il va pourtant falloir se faire une raison : les travaux sur la réingénierie des formations aides-soignantes, entamés en 2015, ont bel et bien repris en mai dernier. Un groupe de travail s’est réuni à plusieurs reprises au ministère de la Santé, avec au programme deux questions qui fâchent : quels sont les nouveaux actes que l’on pourrait confier aux aides-soignantes, et comment adapter leur cursus en conséquence ?
Côté AS, les choses sont assez claires. « L’enjeu pour nous est de légaliser certaines pratiques qui se font déjà sur le terrain », explique Arlette Schuhler, secrétaire de la Fédération nationale des associations d’aides-soignantes (Fnaas). Nous parlons avant tout d’actes effectués au quotidien par les aides-soignantes, mais pour lesquels elles peuvent se retrouver devant les tribunaux en cas de problème. »
Mais de quels actes parle-t-on ? Une liste de 27 actes a beaucoup circulé sur les réseaux sociaux depuis mai. Rien n’est pourtant définitivement arrêté, affirme Arlette Schuhler, qui peut tout de même citer les actes qui sont à ses yeux les plus importants : l’application de crème et de pommade, l’aspiration endotrachéale, le recueil de la glycémie par captation capillaire, l’alimentation entérale, la pose de suppositoire, l’instillation de collyre…
Pour tous ces actes, la secrétaire de la Fnaas reconnaît qu’il serait nécessaire d’allonger la formation des aides-soignantes, qui a aujourd’hui une durée de dix mois. « Mais il ne s’agit pas qu’elle dure dix-huit mois », prévient Arlette Schuhler. Elle ajoute qu’il sera nécessaire de se pencher sur la question de la formation des professionnelles déjà en exercice, encore non abordée par le groupe de travail à l’heure où nous écrivons ces lignes.
Mais du côté infirmier, on n’entend pas tout à fait les choses de cette oreille. Tout d’abord, certains représentants de la profession estiment qu’ils ont été insuffisamment impliqués dans les discussions sur la réingénierie des formations aides-soignantes. « Nous n’avons été associés qu’au dernier moment, regrette Patrick Chamboredon, président de l’Ordre national des infirmiers (ONI). Cette méthode est assez difficile à comprendre, surtout à une période où on parle de plus en plus de prise en charge pluridisciplinaire. »
Au-delà des critiques sur la forme, le patron de l’Ordre émet aussi des réserves sur le fond. « Nous avons vu arriver une liste à la Prévert », s’indigne-t-il à propos de la fameuse liste originelle de 27 actes qui pourraient être confiés aux aides-soignantes. « Quid de la sécurité du patient, du cadre réglementaire, de la prise en charge globale ?, demande Patrick Chamboredon. Je ne suis pas contre voir évoluer le métier d’aide-soignant, mais tous les métiers doivent évoluer en même temps. Or, notre décret d’actes est encore plus ancien que celui des AS. »
Côté infirmier toujours, des critiques encore plus vives ont été formulées par les syndicats de libérales. Et c’est Convergence infirmière qui semble le plus remonté. « Si nous avons fait trois ans d’études, ce n’est pas pour que nos actes soient dévalorisés, et qu’ils puissent être effectués par une profession qui n’a pas besoin du niveau bac », s’indigne Ghislaine Sicre, sa présidente.
Pour cette dernière, il s’agit d’une question de santé publique. L’Idel pointe notamment la question du médicament. « Un médicament, qu’il soit sous forme de pilule, de pommade ou de collyre, reste un médicament, insiste-t-elle. Il demande une surveillance particulière, et je ne suis pas sûre que les aides-soignantes soient capables de l’assurer. » Pour Ghislaine Sicre, on peut envisager certaines évolutions en établissements, « mais pas à domicile, cela revient à mettre en danger les patients ».
Reste qu’on peut se demander si les motivations de l’opposition des libérales ne sont pas aussi économiques. « Les Idel craignent pour le domicile, car on parle d’actes qu’elles effectuent au quotidien et qui sont rémunérateurs », souligne Arlette Schuhler. Ghislaine Sicre est d’ailleurs très transparente sur ce sujet. « Bien sûr que je défends le bifteck des infirmières, un syndicat est là pour défendre les intérêts de ses mandants », lance-t-elle.
Il est vrai que les services d’hospitalisation à domicile (HAD) ou les services de soins infirmiers à domicile (Ssiad) pourraient, pour effectuer les nouveaux actes confiés aux aides-soignantes, avoir intérêt à utiliser ces dernières plutôt que de passer par de coûteuses conventions avec des Idel. Et la question peut s’étendre aux Ehpad, qui pourraient être tentés d’embaucher davantage d’aides-soignantes, et moins d’infirmières. « S’ils veulent des gens pour faire des actes infirmiers, ils n’ont qu’à faire appel à des infirmières », tonne Ghislaine Sicre.
Mais si l’on se tourne vers les directeurs de ces établissements, on se rend compte que la question dépasse à leurs yeux le simple enjeu économique : face aux difficultés de recrutement auxquelles ils sont confrontés, le sujet principal est pour eux celui de l’attractivité de la profession d’aide-soignante.
« Les AS constituent le plus important contingent de professionnels qui travaillent auprès des personnes âgées », remarque Jean-Pierre Riso, président de la Fédération nationale des associations de directeurs d’établissement pour personnes âgées (Fnadepa). Alors que les besoins des populations prises en charge évoluent, il faut selon lui que les compétences des aides-soignantes fassent de même.
Mais pour le représentant des directeurs, on ne pourra « remplir les Ifas » (Instituts de formation d’aides-soignantes, NDLR) en se contentant de faire entrer dans la loi les glissements de tâches observés sur le terrain. « Bien sûr que ces situations existent, nous n’allons pas le nier, reconnaît-il. Ajouter des compétences est donc une bonne chose, mais ce n’est pas suffisant : il faut réformer ce métier qui n’a que peu évolué depuis trente ans. » Jean-Pierre Riso en appelle notamment à intégrer dans la formation des aides-soignantes, en plus de la dimension du soin, ce qu’il appelle « une dimension de lien social ». « Il faut davantage de personnel, il faut mieux le payer, mais il faut aussi dégager des temps où les soignants ne seraient plus en position de soignant, mais en position d’animation », plaide-t-il.
Jean-Pierre Riso admet que les discussions en cours sur la réingénierie de la formation d’aide-soignant ne vont pas jusque-là, ce qui ne l’empêche pas de voir encore plus loin : pour lui, ce sont les référentiels de compétence de toutes les professions, infirmières comprises, qui devraient être réécrits pour intégrer la dimension du lien social. « Si on prend les choses par le petit bout de la lorgnette, on risque d’attiser les tensions entre infirmières et aides-soignantes », avertit-il.
Tensions que tous cherchent à apaiser, les aides-soignantes les premières. « Nous voulons travailler en bonne intelligence avec les infirmières, plaide Arlette Schuhler. Nous avons besoins d’elles, elles ont besoin de nous, il ne faut pas entretenir une guéguerre entre les professions qui est artificielle et qu’on ne perçoit pas dans les services de soins. » Ces paroles de paix seront-elles entendues côté infirmier ? Réponse fin novembre, avec la fin attendue des travaux sur la réingénierie de la formation d’aide-soignante, pour une entrée en vigueur prévue à la rentrée 2020.
À l’heure actuelle, tous les actes effectués par les aides-soignantes le sont sous la responsabilité des infirmières. « Mais nous réclamons depuis des années un rôle propre pour notre profession », rappelle Arlette Schuhler. Bien sûr, ajoute-t-elle, il ne s’agirait pas de faire passer les actes discutés à l’occasion de la réingénierie de la formation dans ce rôle propre qu’elle appelle de ses vœux. « Mais dans certaines situations, l’aide-soignante peut prendre des décisions de manière responsable », explique-t-elle, citant par exemple le cas d’un patient pour lequel une douche aurait été prévue, mais qui serait fiévreux ou fatigué. « Dans un cas pareil, l’aide-soignante a les compétences pour décider par elle-même de ne pas faire une douche, mais d’adapter la toilette », argumente Arlette Schuhler.