À l’occasion des cinquièmes Rencontres soignantes en psychiatrie, une équipe suisse a présenté le plan de crise conjoint (PCC), un nouvel outil de décision partagée.
Comment élaborer un cadre de soin avec les usagers ? Cette question était l’un des thèmes de réflexion des cinquièmes Rencontres soignantes en psychiatrie, qui se sont tenues à l’Institut Pasteur à Paris, jeudi 17 octobre. Une équipe suisse, venue du centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), est venue présenter le plan de crise conjoint (PCC), un nouvel outil de décision partagée, reconnu au niveau international, mais encore peu connu et diffusé.
L’équipe vaudoise en est pionnière en Europe, et était représentée à Paris par un binôme composé d’une soignante et d’une patiente experte. Pascale Ferrari est infirmière spécialiste clinique au département de psychiatrie du CHUV et maître d’enseignement au Laboratoire d’enseignement et de recherche en santé mentale et psychiatrie. À ses côtés, se tenait Caroline Sutter, paire en santé mentale et assistante de recherche dans ce même laboratoire.
« Ne comptez pas sur la patiente que je suis pour rejeter toute forme de cadre, a débuté Caroline Sutter. Je suis en effet bien placée pour savoir qu’il est utile, indispensable même parfois. Il peut constituer le dernier socle sur lequel s’appuyer. » Ce cadre l’a protégée des projets suicidaires, assure-t-elle. Mais elle s’est « rarement sentie responsable, libre ou actrice du processus. Au mieux, j’étais une figurante. » Ce cadre est plutôt semblable, selon elle, à des « couches de protection accumulées, jusqu’à provoquer l’étouffement ».
Avec ses « vingt ans de recul », l’IDE clinicienne Pascale Ferrari constate aujourd’hui « une perte de sens clinique, au détriment de la relation humaine et des soins individualisés. Le résultat est sans appel : c’est l’augmentation de la contrainte et de la violence. » Elle raconte aussi son expérience, « une dizaine d’années dans un service de psychiatrie communautaire, en milieu ouvert : il n’y avait que des patients indisciplinés, ne suivant aucune prescription, la vraie vie quoi. Une redéfinition du cadre s’imposait. Mais on est obligé de réinterroger le rapport au risque, et de revoir les enjeux de pouvoir. J’ai aussi découvert des patients pleins de compétence et d’astuces au quotidien. Le cadre reste incarné par le soignant, mais plus possible de décider pour les patients ! »
Le PCC est un des outils pour faire évaluer le cadre. Il vient d’Angleterre mais le CHUV l’a adapté dans le canton de Lausanne et l’a étudié pendant un an. Concrètement, un plan de crise conjoint doit tenir sur une feuille A4. Il tente de donner quelques clés pour gérer au mieux une crise. Le patient y indique les soins qu’il souhaite recevoir, ceux qu’il souhaite éviter, les alternatives possibles. En Suisse, c’est l’infirmière clinicienne qui accompagne le patient dans sa rédaction, sous la supervision d’un médecin. En tant que patiente experte, Caroline Sutter a participé à l’évaluation du PCC. « Il permet à la personne soignée d’avoir un meilleur contrôle d’elle-même, de ses troubles, estime-t-elle. Il permet de renforcer l’alliance thérapeutique et diminue les coûts de prise en charge. Et il a un impact significatif sur les hospitalisations sans consentement. » Pour l’infirmière Pascale Ferrari, le PCC « incite à la décision partagée. Il oblige à discuter des soins, du traitement, du cadre thérapeutique, en donnant une information objective. » Et il incite à revoir le cadre, dans un plus grand respect des « principes déontologiques et éthiques de la profession : le respect de l’autonomie, la bienfaisance, la justice et le respect des droits fondamentaux ».
En guise d’illustration, Caroline Sutter a confié sa propre histoire, sa « négociation » conduite avec l’équipe soignante et qui aurait pu faire partie d’un PCC. « Ils insistaient pour que j’accepte un placement en foyer. J’ai refusé, je me suis battue avec la force du désespoir. Pour de mauvaises raisons, pour mener à bien mon projet suicidaire. » L’équipe a appris qu’elle conservait une boîte dans laquelle elle accumulait des médicaments, lui a confisquée, sans la détruire. « J’ai défendu, mordicus, que je ne rentrerais pas chez moi sans cette boîte, car elle a des vertus apaisantes. Les négociations ont été ardues, mais l’institution a capitulé. Un contrat de confiance a été conclu, dans une compréhension réciproque des risques et des bénéfices. J’ai gagné la confiance de professionnels que j’estime. Un déclic s’est opéré, et je suis bien vivante pour vous en parler, aujourd’hui dans une position de paire praticienne. »