De l’urgence absolue à la récupération - L'Infirmière Magazine n° 410 du 01/12/2019 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 410 du 01/12/2019

 

FORMATION

PRISE EN CHARGE

C.M.  

Tout tableau clinique pouvant évoquer un AVC relève de l’urgence absolue. La rapidité de la prise en charge conditionne le pronostic et donc, de fait, l’accès à des traitements performants – thrombolyse et/ou thrombectomie en cas d’infarctus cérébral.

L’AVC est une urgence absolue en raison des dommages irréversibles qu’il peut causer sur le cerveau. De plus, la rapidité et l’efficacité de la prise en charge initiale influent considérablement sur le pronostic et les chances de récupération. En effet, dans le cas d’un AVC ischémique, l’accès à des thérapies performantes telles que la thrombolyse et la thrombectomie est possible dans un temps limité (voir ci-après). Selon le rapport AVC de la HAS, le délai médian « arrivée imagerie en première intention » est d’une heure et quarante-neuf minutes : 56 % des patients ont une imagerie dans l’heure suivant leur admission et seul un tiers des patients faisant un AVC sont pris en charge dans les quatre heures suivant les premiers symptômes(1). Or, deux millions de neurones meurent par minute et toutes les trente minutes perdues, c’est 20 % de séquelles (mortalité et handicap) supplémentaires à trois mois(2). D’où la nécessité d’améliorer l’information du grand public sur les signes de l’AVC et de renforcer les filières de soin dédiées à cette pathologie.

1. UNE FILIÈRE DE PRISE EN CHARGE

Devant l’enjeu du délai dans la prise en charge de l’infarctus cérébral (AVC ischémique), il est fondamental, d’une part, d’améliorer la reconnaissance des symptômes par les soignants et par les patients euxmêmes et, d’autre part, d’orienter le patient vers les structures adéquates, les unités neurovasculaires, capables de réaliser rapidement une IRM (imagerie par résonance magnétique) et de proposer thrombolyse et thrombectomie. Or, seul un tiers des victimes d’un AVC est aujourd’hui pris en charge par ce type de structures(3). On évalue à 75 % la part de la population française adulte pouvant y accéder en quarante-cinq minutes ou moins. Le maillage pour la prise en charge précoce de l’AVC reste à consolider. Il s’appuie aussi sur des outils de télémédecine.

Les unités neurovasculaires (UNV)

Historiquement, les AVC étaient pris en charge dans les services de médecine interne ou de neurologie. En raison de l’augmentation de l’incidence de l’AVC parmi les moins de 65 ans, un plan national d’action AVC 2010-2014 avait été lancé. Il entendait mettre en œuvre des filières de prise en charge adaptées et déployer notamment des UNV présentes un peu partout en France. L’objectif étant que les Français soient à moins d’une heure trente de ces structures spécialisées. Les UNV sont donc des unités accessibles vingt-quatre heures sur vingt-quatre et comprenant des équipes pluridisciplinaires. Le personnel est formé et encadré par un cadre soignant au mieux titulaire du DIU paramédical neurovasculaire. Elles disposent de lits de soins intensifs et de lits pour les suites thérapeutiques ou pour les patients non admis en soins intensifs. Les UNV étaient 33 en 2007, 143 en 2017 (1) et probablement 150 aujourd’hui. On distingue les « UNV de territoire » et les « UNV de recours », qui ont un rôle pivot dans un territoire et qui disposent de l’appui de services de neurochirurgie et de centres de neuroradiologie interventionnelle (NRI) agréés dans le cadre de schémas interrégionaux d’organisation sanitaire. Toutes les UNV pratiquent la thrombolyse, seules les UNV de recours sont susceptibles d’effectuer une thrombectomie.

Les services d’urgence via la télé-expertise AVC

Certains centres hospitaliers qui ne disposent pas d’UNV développent la « télé-AVC ». Pour cela, les médecins urgentistes se mettent en relation avec les neurologues de l’UNV la plus proche et échangent par visioconférence. Le pré-requis pour mettre ces télé-expertises en place est de garantir la transmission rapide d’images de haute qualité, interprétables à distance, et d’avoir formé les équipes de radiologie. De plus, les médecins urgentistes et équipes soignantes sont formés à la prise en charge de l’AVC et à la thrombolyse.

Coordination et régulation

Le centre de régulation du Samu joue un rôle clé dans la prise en charge des AVC, en lien direct avec les différentes structures, et met en œuvre les différentes situations de transfert, qui ont fait l’objet de protocoles entre établissements :

– transport d’un patient du domicile (ou d’un hôpital de proximité) vers l’UNV de territoire ou l’UNV de recours ;

– transport de l’UNV de territoire vers l’UNV de recours d’un patient thrombolysé pour thrombectomie éventuelle ;

– transport d’un service d’urgence développant la télé-AVC d’un patient thrombolysé vers une UNV.

Le centre de régulation choisit le moyen de transport le plus rapide pour assurer l’acheminement du patient, souvent les ambulanciers ou les sapeurspompiers qui sont déjà sur place. Il s’agit de ne pas retarder la prise en charge d’un patient suspect d’AVC avec l’envoi d’une équipe médicale du Smur, sauf en cas de troubles de la vigilance, de détresse respiratoire ou d’instabilité hémodynamique.

2. L’ACCUEIL DU PATIENT

Recueil d’informations et première évaluation

Si le patient est régulé par le Samu, il arrive sur un brancard (il est éventuellement médicalisé) et est pris en charge en grande priorité dès son arrivée par une équipe pluridisciplinaire médicale et paramédicale. Si le patient arrive de lui-même aux urgences, l’IAO (voir encadré p. 41), au vu du tableau clinique (déformation de la bouche, membre inerte et trouble de la parole), l’installe sur un lit (la position en décubitus dorsal est impérative) et avertit aussitôt le médecin. Celui-ci ausculte le patient, lui pose des questions ainsi qu’à son entourage, vérifie son état de vigilance, de conscience. Il procède à l’aide de l’échelle NIHSS (National Institute of Health Stroke Scale, voir p. 44) à une évaluation de la sévérité de l’AVC suspecté. Il cherche à connaître l’heure des débuts des symptômes, s’il s’agit d’un AVC du réveil, l’heure de découverte, et le dernier moment où le patient a été vu asymptomatique. Enfin, il s’informe sur les circonstances, les antécédents, les traitements en cours, en particulier les antivitamines K et les anticoagulants oraux directs (AOD) – Pradaxa, Xarelto, Eliquis – et l’heure de la dernière prise.

Premiers gestes infirmiers

L’infirmière doit :

– rassurer le patient et son entourage ;

– demander et noter son poids (en vue de l’éventuelle thrombolyse) ;

– procéder au déshabillage du malade et veiller à sa bonne installation sur un lit ou brancard. Le malade doit être positionné de manière à prévenir toute complication : surélever la tête pour prévenir les troubles de la déglutition et les encombrements très souvent causes de pneumopathies. Laisser le patient en décubitus dorsal strict (en cas de sténose ou occlusion) jusqu’à ce que soit réalisé l’examen d’imagerie. Le membre supérieur concerné par une hémiplégie est surélevé à l’aide d’un coussin ;

– placer le patient sous monitoring afin de mesurer la fréquence cardiaque, la pression artérielle, la saturation en oxygène à intervalles réguliers ;

– poser un cathéter veineux ;

– prélèver un bilan biologique complet : numération formule sanguine, plaquettes, ionogramme, glycémie, bilan des lipides, créatinémie, protéine C-réactive, troponine, groupe sanguin, rhésus et recherche d’agglutinines irrégulières, INR (si patient sous AVK) et taux de prothrombine (TP), temps de céphaline activée (TCA) (si patient sous AOD) ;

– brancher une solution de NaCl 0,9 % ;

– prendre la température et la glycémie capillaire ;

– réaliser un ECG.

En fonction de la situation, le médecin pourra prescrire la pose d’une sonde gastrique (en cas de vomissements), la pose d’une sonde urinaire (si rétention urinaire), un traitement antihypertenseur par voie veineuse ou une oxygénothérapie. Le patient sera conduit le plus vite possible en service d’imagerie.

3. DIAGNOSTIC À L’IRM

L’IRM est à réaliser en urgence, elle est indispensable pour confirmer le diagnostic d’AVC. Sa sensibilité est bien supérieure à celle du scanner (indiqué seulement dans les cas où le recours à l’IRM est impossible ou contre-indiqué).

L’imagerie du cerveau permet d’identifier le type d’AVC (ischémique ou hémorragique), d’évaluer le caractère récent ou ancien, l’étendue ou la sévérité des lésions. Elle révèle les zones du tissu hypoperfusé mais encore viable (zone de pénombre ischémique). Elle permet de poser l’indication du traitement fibrinolytique et celle de la thrombectomie.

4. LES TRAITEMENTS

AVC hémorragique

En cas d’AVC hémorragique, la prise en charge consiste en un contrôle strict de la tension artérielle. En effet, l’hypertension artérielle peut entraîner un nouveau saignement, provoquant l’extension de l’hématome intracérébral. Si la pression systolique est supérieure à 180mmHg et la pression diastolique inférieure à 120 mmHg, un traitement en IV visant à diminuer la tension artérielle est administré. Si l’AVC est survenu chez un patient sous anticoagulant, un traitement spécifique pourra être mis en place. L’intervention neurochirurgicale en urgence est indiquée dans certains cas pour évacuer l’hématome. Une rééducation est débutée le plus vite possible (kinésithérapie, orthophonie, etc.). L’AVC hémorragique est généralement de moins bon pronostic que l’AVC ischémique.

AVC ischémique

Les traitements de revascularisation

Les AVC ischémiques bénéficient d’innovations régulières avec l’apparition en 2002 de la thrombolyse, puis de la thrombectomie en 2015. Ces traitements de revascularisation pratiqués en urgence sont une opportunité pour limiter les séquelles de ce type d’AVC. Ils font l’objet d’une décision collégiale à partir d’un examen précis de la gravité de l’AVC et des zones du cerveau touchées, de la balance bénéfices/risques. Quand cela est possible, la thrombectomie (retrait du caillot) est associée à la thrombolyse (dissolution du caillot). C’est le traitement de référence des AVC ishémiques carotidiens provoqués par l’occlusion d’une artère proximale.

→ La thrombolyse est le traitement de référence de l’AVC ischémique à la phase aiguë visant à dissoudre le caillot sanguin obstruant l’artère. L’altéplase, commercialisé à l’hôpital sous le nom d’Actilyse, doit être administré impérativement dans les quatre heures trente qui suivent le début des symptômes chez les patients de plus de 18 ans, par l’infirmière, en perfusion intraveineuse d’une heure sous haute surveillance (voir p. 45). La fenêtre thérapeutique a été étendue jusqu’à neuf heures chez des patients sélectionnés par une imagerie cérébrale multimodale. La thrombolyse permet la revascularisation de l’artère intracrânienne occluse et restaure la circulation artérielle dans le territoire touché par l’AVC. Lorsqu’elle est utilisée dans les quatre-vingt-dix premières minutes, dans des conditions optimales, elle est associée à une réduction du handicap d’environ 50 %. La principale complication de la thrombolyse est l’hémorragie. Compte tenu de la petite fenêtre théra peutique et des nombreuses contre-indications, un nombre restreint de personnes admises en UNV peuvent en bénéficier (le taux de thrombolyse était de 14,1 % en 2017). Par ailleurs, ce traitement est utilisé dans le cadre de la télé-thrombolyse.

→ La thrombectomie permet de déboucher l’artère cérébrale obstruée, à condition qu’il s’agisse d’un gros vaisseau : artère carotide interne, artère cérébrale moyenne (dans sa partie proximale) ou tronc basilaire. Elle peut être d’emblée en cas de contre-indications à la thrombolyse IV.

Elle se pratique jusqu’à six heures (un allongement de ce délai est possible, jusqu’à vingt-quatre heures après le début des symptômes chez des patients sélectionnés) après le début des symptômes dans un bloc de neuroradiologie interventionnelle, sous artériographie. Réalisée sous anesthésie locale ou générale, elle consiste à introduire un cathéter au niveau de l’aine dans l’artère fémorale jusque dans l’artère occluse. Il guide un instrument dans lequel le caillot va être piégé, l’ensemble est ensuite retiré. À l’issue de l’intervention, le patient est soumis à une surveillance infirmière stricte de même ordre que pour la thrombolyse : pression artérielle, monitoring cardiaque, Saturation O2, glycémie, repérage de signes de défaillance circulatoire, d’hémorragie internes/externes, observation de l’évolution de l’AVC, via la grille de cotation NIHSS :

– toutes les quinze minutes durant les deux heures suivantes ;

– toutes les trente minutes durant les six heures après la thrombectomie ; -puis toutes les heures jusqu’à vingt-quatre heures après.

Une attention particulière sera portée au point de ponction et les pouls pédieux et fémoraux seront contrôlés. La chaleur, la coloration, la motricité et la sensibilité (si possible) de la jambe ponctionnée sont surveillés.

Les principales complications de la thrombectomie sont l’hémorragie du point de ponction, les effets indésirables liés à l’anesthésie et à l’injection de médicaments anesthésiques et de produits de contraste et les risques liés à la désobstruction artérielle (hémorragie cérébrale, réocclusion artérielle, œdème cérébral malin).

Chirurgie

Dans certains cas d’AVC ischémiques dits malins (étendus) entraînant un œdème du cerveau, chez les patients de moins de 65 ans, selon leurs antécédents, une craniectomie peut être proposée. Il s’agit d’un geste chirurgical consistant à découper la boîte crânienne afin de créer des volets de décompression.

1-« Résultats des indicateurs pour l’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins. Prise en charge initiale de l’accident vasculaire cérébral » campagne 2017, données 2016. À voir sur : bit.ly/2NpGbCb

2- Dossier de presse de la Fondation A. de Rothschild, 2019.

3- « Parcours des soins des personnes hospitalisées pour un accident vasculaire cérébral », Questions d’économie de la santé, Irdes, n° 234, juillet/août 2018. À lire sur : bit.ly/2Oa8ZxU

AUX URGENCES

Le rôle de l’infirmier organisateur de l’accueil (IOA)

Avec l’augmentation des flux aux urgences, la plupart des établissements ont pris conscience de l’obligation de trier les patients afin de proposer une prise en charge immédiate aux patients en détresse vitale ou en situation instable nécessitant un traitement en urgence, notamment dans le cas d’un AVC ischémique pouvant bénéficier d’une thrombolyse ou d’une thrombectomie dans les heures suivant l’accident. Ainsi, l’infirmier organisateur de l’accueil (IOA) accueille chaque patient dès son arrivée aux urgences et réalise un examen rapide en dix minutes : recueil de données concis et précis, examen physique et mesure des paramètres vitaux. Il repérera les patients dont le tableau clinique évoque la constitution d’un AVC : les symptômes classiques (troubles de la parole, faiblesse ou paralysie) mais aussi des signes moins courants (vertiges, céphalées, troubles de l’équilibre, cécité monoculaire…). De nombreux centres d’enseignement des soins d’urgence (Cesu) proposent aux infirmières une formation IOA leur permettant d’améliorer leur expertise en termes d’évaluation du degré de l’urgence. Pour exercer correctement son rôle, l’IOA doit exercer sa mission de façon exclusive dès que le nombre de patients par heure se situe entre cinq et huit. Au-delà de dix patients par heure, un renfort est nécessaire.