L’Assemblée nationale a voté des mesures restrictives sur la couverture santé des migrants, objet de polémique et d’instrumentalisation politique. Un délai de carence de trois mois est notamment prévu pour les demandeurs d’asile.
« Chaque euro d’argent public doit être dépensé de manière juste »
Non, ces mesures ne m’étonnent pas. Elles sont évidemment en lien avec la politique migratoire plus contraignante que souhaite le gouvernement. Le délai de carence pour les personnes qui déposent une demande d’asile ou qui arrivent sur le territoire français sont logiques et cohérentes. Mais les annonces (les coups de rabot budgétaire, le renforcement des contrôles, les délais de carence…) ne se traduisent pas, en pratique, dans le projet de loi de finances et dans les crédits de l’Aide médicale dÉtat (AME) pour l’année 2020. Le gouvernement va peut-être y travailler dans les mois à venir.
L’argent dédié à la Protection maladie universelle (Puma) et à l’AME est de l’argent public. Chaque euro dépensé doit l’être de manière juste et dans le respect du droit. Il n’y a pas de fraude massive en ce qui concerne la couverture maladie des étrangers. C’est plutôt une fraude à la marge, difficile à objectiver. Même avec le dernier rapport de l’Igas(1) sur l’AME, on a du mal à être précis sur son coût réel. Mais il y a des “bidouillages”, qui peuvent être choquants pour l’opinion publique et contribuer à faire monter le populisme. Comme par exemple ce qui se passe avec les “multi-hébergeurs” des bénéficiaires de l’AME, qui leur fournissent des adresses pour leurs dossiers. Le délai de carence de trois mois ou la nécessité de demander des accords préalables à l’Assurance maladie n’ont rien de choquant. Ces mesures sont de nature à poser des règles claires. Cela permet d’éviter les polémiques inutiles et je pense que c’est une très bonne chose. Autre bonne mesure : le renforcement des moyens de contrôle par les caisses primaires d’Assurance maladie, qui vont gérer l’instruction des dossiers d’AME. Elles vont pouvoir avoir recours à Visabio - le traitement informatisé de données personnelles biométriques des demandeurs de visas. Il y a encore quelques années, les gouvernements n’y étaient pas favorables.
On peut penser qu’il va y avoir des dégradations d’états de santé pendant ces trois mois. Et qu’une fois que les personnes “cocheront les cases” et que leurs droits seront ouverts, les soins à leur apporter seront plus chers.
C’est un risque en effet : il n’y a pas de vérité en la matière. Mais en même temps, il ne s’agit pas de laisser les gens mourir devant l’hôpital. Si une infirmière est confrontée à quelqu’un qui a besoin de soins, elle va évidemment s’en occuper, quelle que soit sa situation.
Je ne serais pas étonnée qu’il y ait un retour en arrière, pour certaines annonces, parce que des difficultés pourraient survenir.
Par exemple, je pense qu’une distinction doit peut-être être faite entre les demandeurs d’asile, qui ont quitté leur pays parce qu’ils s’y trouvent en danger, et les « migrants économiques ».
À mon avis, il y aura un traitement privilégié pour les réfugiés. J’attends de voir comment ces annonces vont se concrétiser en termes de texte.
« Les gens vont disparaître des radars sociaux et renoncer aux soins »
Nous nous y attendions malheureusement. Mais jamais aucun gouvernement n’est allé aussi loin dans les atteintes à l’AME et à la Puma. Nous qui faisons de la médecine médicosociale, nous sommes extrêmement inquiets et choqués de ces atteintes à l’universalité et à l’inconditionnalité à la santé. Notamment par la carence de trois mois pour l’accès aux soins des demandeurs d’asile.
Pour ces personnes, déjà, il y a une première atteinte symbolique. Le système par essence solidaire est restreint parce qu’il y a cette idée, stigmatisante, que les demandeurs de l’AME ou de la Puma sont potentiellement des fraudeurs. Mais cette fraude et ce “tourisme médical” tant fantasmés, nous ne les constatons jamais dans notre pratique quotidienne. Plus concrètement, nous sommes aussi très inquiets parce qu’avec l’introduction de ce délai de ca rence, les gens, et en particulier les plus vulnérables, vont disparaître des radars sociaux et renoncer aux soins. Des médecins vont aussi refuser de les soigner, parce qu’ils n’ont pas de droits ouverts. Et ces refus de soins vont à leur tour en gendrer du non-recours… Résultat : des gens qui auraient besoin de se soigner vont laisser leur santé se dégrader.
En ce qui concerne l’AME, on parle de réduire le panier de soin et de mettre sous accord préalable des soins jugés non essentiels, comme une chirurgie de la cataracte ou une pose de prothèse de hanche…Autour du « non essentiel », la liste ne semble pas clairement périmétrée. Encore une fois, c’est une mesure déconnectée des réalités de terrain, qui prouve la méconnaissance du travail que nous faisons avec ces populations fragiles. Parce que demander ces accords préalables, c’est ajouter des complications administratives à de la précarité sociale. C’est énormément de “paperasserie”, que les médecins libéraux vont refuser de faire. Et quand la demande est faite, le temps de réponse est très long. Là encore, les patients vont disparaître “dans la nature”. Avec, toujours, le même résultat contre-productif : du non-recours. Tout cela relève de l’absurdité humaine, mais aussi financière.
L’argument financier ne tient pas. Si les personnes accèdent aux soins plus tardivement, les pathologies seront plus complexes et plus coûteuses à prendre en charge. Ce sont des gens qui vont accéder au soin en dernier recours, à des stades très avancés, en se présentant aux urgences. Et quand on voit ce qu’il s’y passe en ce moment, ce n’est certainement pas ce qu’il y avait de plus pertinent à prévoir. Sans compter que les conséquences ne vont pas concerner que les bénéficiaires visés, mais que c’est la santé pu blique au sens large qui va en pâtir. La santé pu blique est un bien commun fragile qui repose sur un équilibre. Si on la fragilise à un endroit, c’est l’ensemble qui est déséquilibré. Et tout cela pour quoi faire ? Pour servir la politique migratoire du gouvernement. Comme l’a rappelé le défenseur des droits lui-même, il est intolérable d’instrumentaliser un objet de santé publique à des fins politiques.
1- Inspection générale des affaires sociales.
SÉNATRICE LR DE CHARENTE-MARITIME, RAPPORTEUR POUR LA MISSION DE SANTÉ DU PROJET DE LOI DE FINANCES
→ 1984 : obtient son titre de docteur en pharmacie
→ 2014 : élue sénatrice de Charente-Maritime
→ 2015-2017 : devient première vice-présidente du conseil départemental de Charente-Maritime, en charge de l’action sociale
→ 2019 : nommée rapporteur du projet de loi relatif à la bioéthique
CARDIOLOGUE EN CENTRE DE SANTÉ, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL ADJOINT DE MÉDECINS DU MONDE
→ 1993 : obtient son titre de docteur en médecine à l’université de Bordeaux
→ 1995-2005 : collabore à des missions humanitaires avec La Chaîne de l’espoir
→ 2005 : se rapproche des missions France de Médecins du monde
→ 2014 : participe à la mission de veille sanitaire auprès des migrants
→ L’Aide médicale d’État (AME) est un dispositif qui ne relève pas du budget de la Sécurité sociale et permet aux étrangers sans titre de séjour d’accéder aux soins. La Protection universelle maladie (Puma) concerne les demandeurs d’asile.
→ La nécessité d’un accord préalable de l’Assurance maladie pour certains actes non urgents dans le cadre de l’AME va être instaurée. Sont exclus les soins vitaux, les maladies infectieuses, les soins délivrés aux femmes enceintes et nouveau-nés.
→ Un délai de carence de trois mois, hors soins urgents, est prévu pour les demandeurs d’asile avant ouverture des droits à la Puma. Pour les immigrés arrivés sur le territoire français avec un visa touristique, un délai de trois mois de résidence en France après expiration du visa va également être instauré.
→ La couverture maladie est réduite à six mois (au lieu de douze) après l’expiration du titre de séjour ou le rejet de la demande d’asile. Cet accès aux soins sera aussi interrompu dès qu’une obligation de quitter le territoire sera définitive.