Nous poursuivons notre décryptage des décisions de justice parues ces derniers mois. Au programme : la sanction disciplininaire, un licienciement pour faute grave, l’information du patient dans les règles de l’art.
Sanction disciplinaire, violence envers des patients et information du patient sont au menu de cette sélection de décisions.
Des actes manquant d’attention et le non-respect des consignes par une aide-soignante constituent des fautes disciplinaires, mais la sanction doit être proportionnée à ces faits et tenir compte du comportement professionnel général.
• Faits. Une AS a été re crutée en 2004 par un établissement public et promue titulaire en 2010. Elle était affectée dans un service prenant en charge des personnes âgées. Après des plaintes de certaines de ses collègues, elle a été sus pendue de ses fonctions le 19 novembre 2015.
Le directeur d’établissement, par décision du 1er février 2016, suivant l’avis unanime du conseil de discipline réuni le 29 janvier 2016, l’a sanctionnée d’une exclusion temporaire de fonction d’une durée de douze mois. Pour prendre la sanction contestée, le directeur a retenu trois griefs : le non-respect des consignes de soins relatives à la prise en charge de la douleur, des refus de soins et des fausses déclarations lors de la traçabilité des températures des repas.
• Analyse
→ La matérialité des fautes reprochées était prouvée par les pièces du dossier. En 2015, l’AS avait notamment omis à plusieurs reprises de réaliser certains soins, en particulier des soins de bouche, auprès des patients dont elle avait la charge, et de contrôler la température de leurs repas. Elle avait également, les 24 et 25 octobre 2015, assuré à deux reprises la toilette d’un patient sans attendre qu’une infirmière lui administre le médicament antalgique prescrit, alors même que cette consigne lui avait été rappelée. Ce même week-end, avant de réaliser la toilette d’une patiente en fin de vie, elle s’était abstenue de lui administrer un suppositoire de Doliprane, comme elle en avait pourtant l’obligation. Ces manquements constituent des fautes justifiant une sanction disciplinaire.
→ La sanction : alors que les fautes étaient survenues en 2015, au moins pour les plus graves d’entre elles, l’AS n’avait jamais été sanctionnée depuis son recrutement en 2004, et sa manière de servir avait fait l’objet d’appréciations positives de la part de ses supérieurs, y compris d’ailleurs dans son évaluation pour l’année 2015, intervenue quelques jours avant le week-end des 24 et 25 octobre 2015. Les faits reprochés étaient limités et ne révélaient pas, ainsi que l’a d’ailleurs reconnu l’IDE de service dans un témoignage recueilli le 9 décembre 2015, une volonté de nuire à ses patients, mais plutôt une confiance excessive, voire infondée, dans sa capacité à juger de l’état de souffrance de ceux-ci. En outre, ces actes n’avaient pas mis en danger la santé de ses patients. Dès lors, la sanction de l’exclusion temporaire de fonction d’une durée de douze mois sans sursis n’était pas proportionnée.
• Cour administrative d’appel de Nantes, 21 juin 2019, n° 17NT02247.
Tout acte de violence commis par un professionnel constitue une faute grave, justifiant un licenciement à effet immédiat, privatif de l’indemnité de licenciement, quels que soient les excellents états antérieurs de l’agent.
• Faits et procédure. Une éducatrice spécialisée était salariée depuis 1982 dans un établissement associatif prenant en charge une dizaine d’adultes présentant un handicap lourd. Dans ses dernières fonctions, occupées depuis plusieurs années, elle était cadre et adjointe de direction. Cette salariée a été mise à pied, puis licenciée pour faute grave le 28 juin 2012. Elle a contesté son licenciement, et par arrêt du 24 octobre 2017, la cour d’appel de Rouen a dit le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse. Mais par arrêt du 3 avril 2019, la Cour de cassation a cassé cet arrêt, validant le licenciement pour faute grave.
• Arrêt de la cour d’appel
→ Point de vue de l’employeur : il faisait grief à la salariée d’avoir fait subir à une personne hébergée, de façon répétée, des coups de pied, claques, cheveux tirés, insultes et cris. Il exposait que la tutrice de cette personne avait déposé plainte pour maltraitance le 11 juin 2012, que des faits de maltraitance avaient également été dénoncés par d’autres résidents et confirmés par un certain nombre de salariés et que, a minima, la salariée reconnaissait avoir donné un coup de pied aux fesses de la résidente.
→ Point de vue de la salariée : celle-ci niait avoir commis la moindre violence à l’égard de cette résidente. Elle contestait le témoignage, recueilli hors la présence du tuteur, attribué à la résidente (laquelle n’avait d’autre langage que trois mots, le regard et les gestes, et n’avait donc pas pu formaliser de plainte), de même que les autres témoignages figurant au dossier. Elle faisait remarquer que la plainte déposée à ce propos avait été classée sans suite par le parquet.
→ Analyse des faits par la cour d’appel. Au soutien de ses allégations, l’employeur versait aux débats des attestations d’une éducatrice qui relatait l’entretien qu’elle avait eu à l’aide de pictogrammes avec la résidente, qui n’avait effectivement pas l’usage de la parole, d’où il ressortait que la résidente s’était plainte de violences répétées à son encontre (quatre coups de pied, cheveux tirés et une gifle). L’employeur avait déposé plainte, et lorsqu’elle avait été entendue par la police, l’éducatrice avait déclaré émettre des doutes sur la sincérité des dénonciations de la résidente. De la même manière, un autre éducateur et une aide médico-psychologique avaient indiqué aux services de police avoir été témoins d’un seul coup de pied aux fesses ad ministré par la salariée à la résidente, précisant toutefois que, si ce geste leur était apparu « dérangeant » et avait d’ailleurs été discuté en réunion d’équipe, il n’était empreint d’aucune violence et s’expliquait par le comportement difficile de la résidente et par la fatigue excessive de la directrice. La sœur et tutrice de la résidente – qui au moment du départ de la salariée avaient manifesté par un cadeau et un mot de remerciement la gratitude qu’elle éprouvait à l’égard de cette dernière – avait ensuite écrit qu’elle avait constaté un changement dans le comportement de sa sœur, marqué par du mutisme et de la distance, mais qu’il lui était « difficile de l’associer à la réalité d’une maltraitance ». Lors de son audition devant les services de police, elle avait déclaré qu’elle était informée du coup de pied reçu par sa sœur en 2011, qu’à l’époque elle n’avait pas jugé nécessaire de déposer plainte, faisant part enfin de ce que cette si tuation lui paraissait « incroyable ».
En synthèse, selon la cour d’appel, l’ensemble des personnes entendues n’avait constaté ou simplement entendu parler d’aucune violence envers les résidents de la part de l’éducatrice, même si cette dernière avait pu, notamment envers cette résidente, hausser le ton, voire tenir des propos insultants, ce que les témoins mettaient sur le compte de son caractère entier, de son surmenage et du comportement insupportable de la résidente envers le personnel et les autres résidents.
• Approche générale. La salariée produisait de très nombreuses attestations émanant de tuteurs institutionnels, de salariés ou d’ex-salariés (éducateurs, agents de service, stagiaires…), professionnels de santé, partenaires de l’institution, famille de résidents et anciens résidents, en lien avec elle parfois depuis vingt ans, qui donnaient l’image d’une professionnelle investie et passionnée par son travail, toujours soucieuse du bienêtre des personnes handicapées et incapable de la moindre violence ou maltraitance à leur égard.
La cour d’appel avait souligné que la salariée avait fait preuve d’un dévouement exceptionnel au service des résidents et de leur famille et que, si ses méthodes de travail étaient jugées dépassées, il n’était pas démontré l’existence des maltraitances ou dysfonctionnements institutionnels. Dans de telles circonstances, au regard des états de service de la salariée et de la solitude dans laquelle elle a été laissée jusqu’en avril 2012, le seul fait qu’elle ait donné un léger coup de pied à une résidente difficile et tenu des propos crus et humiliants ne suffisait pas à caractériser une faute grave, ni même à justifier un licenciement pour cause réelle et sérieuse.
• Arrêt de la Cour de cassation. Le fait d’avoir administré un coup de pied aux fesses d’une personne âgée particulièrement vulnérable n’ayant pas l’usage de la parole, et d’avoir usé d’un langage cru et humiliant envers les résidents, suffisait à constater l’existence d’une faute grave, justifiant le licenciement à effet immédiat.
• Cour de cassation, chambre sociale, 3 avril 2019, n° 17-28829.
S’agissant de l’information préalable aux soins, la signature d’un document par le patient n’est ni nécessaire ni suffisante, mais les praticiens doivent établir qu’un entretien préalable a eu lieu, mettant le patient à même de donner en connaissance de cause un consentement éclairé.
• En droit. Selon l’article L. 1 111-2 du code de la santé publique (CSP), « toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent, ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. Cette information est délivrée au cours d’un entretien individuel. » La production d’un document écrit signé par le patient n’est ni nécessaire ni suffisante pour que puisse être considérée comme rapportée la preuve, qui incombe aux professionnels de santé, de la délivrance de l’information. Il leur appartient d’établir qu’un entretien préalable, nécessaire à la délivrance d’une information conforme à ces dispositions, a bien eu lieu, et de démontrer par tout moyen que le destinataire de l’information a été mis à même de donner en connaissance de cause un consentement éclairé à l’acte de soins auquel il s’est ainsi volontairement soumis.
• Analyse. Après un amaigrissement majeur à la suite d’une chirurgie bariatrique intervenue le 4 janvier 2012, une dermolipectomie abdominale a été pratiquée sur la patiente le 31 juillet 2013 dans un CHU. Selon l’expert qui a examiné le dossier et entendu les parties, une information satisfaisante avait été donnée à la patiente lors du rendez-vous du 13 juin 2013. Cet entretien était certes une visite de contrôle de gastroplastie pratiquée l’année précédente par le même chirurgien, mais la plastie abdominale, qui est la suite logique d’une chirurgie bariatrique, avait été évoquée par le chirurgien. Par ailleurs, la patiente avait signé le document de consentement à l’issue d’un délai de réflexion de plus d’un mois, lors de son admission dans le service la veille de l’opération. Dans ces conditions, le défaut d’information n’est pas établi.
• Cour administrative d’appel de Marseille, 11 juillet 2019, n° 18MA04661.
→ Article L. 1 111-2 du code de la santé publique (CSP) relatif au droit à l’information sur son état de santé.
→ Gilles Devers, Droit et pratique du soin infirmier, Éd. Lamarre, 2013.