INTERVIEW : Julie DEVICTOR, Infirmière de pratique avancée, Doctorante et enseignante à l’université de Paris
DOSSIER
Julie Devictor est l’une des 63 premières infirmières de pratique avancée (IPA) diplômées en 2019. Aujourd’hui en doctorat, elle développe des activités de recherche et d’enseignement. Et attend toujours la reconnaissance réelle du rôle infirmier.
L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Comment en êtes-vous venue à la pratique avancée ?
JULIE DEVICTOR : Je suis infirmière en hépatologie à l’hôpital Beaujon (AP-HP) depuis 2005. À partir de 2012, j’ai occupé un poste d’IDE de coordination auprès de patients atteints de carcinome hépatocellulaire, un cancer primitif du foie. Je réalisais déjà des entretiens, je gérais les effets secondaires des traitements, les sorties d’hôpital, je coordonnais le parcours de soin. En 2017, j’ai obtenu le master de sciences cliniques infirmières de Marseille. J’ai alors obtenu de mon service de consacrer 30 % de mon temps à des projets de recherche. En 2018, j’ai complété ma formation à Paris, avec un diplôme de pratique avancée, spécialisé en oncologie. Je fais partie des 63 premières IPA diplômées.
L’I.M. : La pratique avancée ouvre aussi à la recherche. C’est à elle que vous souhaitez vous consacrer ?
J.D. : En 2018, j’ai obtenu d’être détachée de mon service pour faire une thèse de santé publique sur la coordination infirmière des soins, grâce à une bourse de l’AP-HP, qui permet de me consacrer trois ans à la recherche, tout en percevant mon salaire. J’étudie les pratiques de coordination infirmière, qui sont mal définies, mal connues. Permettent-elles de diminuer les passages aux urgences, le temps d’hospitalisation, de favoriser le maintien à domicile ? J’ai élargi mon sujet à l’articulation entre les IDE de coordination et les IPA. Un quart des infirmières inscrites aux masters IPA sont coordinatrices. Beaucoup ont d’ailleurs une appétence pour la recherche et souhaitent appuyer les pratiques sur des données probantes, sur l’Evidence based nursing. Mon parcours va se démocratiser.
L’I.M. : Tout juste diplômée, vous êtes déjà enseignante…
J.D. : Je co-coordonne l’unité d’enseignement clinique du diplôme d’État d’infirmière en pratique avancée à l’université de Paris(1). Les étudiants bénéficient d’apports en physiopathologie, en sémiologie ou en pharmacologie, mais nous proposons également d’éclairer la pratique clinique par des théories de soins infirmiers, basées sur la recherche infirmière. Ces théories viennent souvent des États-Unis ou du Canada. Par exemple, une IDE doctorante canadienne qui réalise une thèse sur la prise en charge des patients atteints d’Alzheimer est intervenue. Ses connaissances biomédicales sont impressionnantes, mais elle appuie aussi sa pratique sur des théories de soins. Elle a par exemple évoqué le moment de la toilette, durant lequel le binôme IDE/AS peut tourner le patient pour le laver : ceux avec un Alzheimer à un stade avancé peuvent s’agripper aux soignants, dans un geste qui peut paraître agressif. En réalité, ces patients se raccrochent car ils ont la sensation de tomber. Pour ce soin, cette IDE s’est appuyée sur les théories des besoins compromis (Algase) ou du système comportemental (Johnson). On était tous interloqués par la richesse et la qualité de son enseignement.
L’I.M. : Votre doctorat en poche, quelles perspectives s’offrent à vous ?
J.D. : Je pourrais poursuivre dans la recherche et l’enseignement, qui me passionnent, ou retrouver l’exercice clinique, en tant qu’IPA dans ma spécialité : le carcinome hépatocellulaire. Je travaillerai différemment, en me concentrant sur les consultations infirmières. Dans mon service, la file active de patients est énorme, leur accès aux consultations médicales est difficile. Je pourrais proposer aux médecins de suivre ceux qui sont stables. Les médecins pourraient ainsi recevoir plus rapidement les nouveaux ou ceux qui s’aggravent. Une consultation IPA accorde plus de temps, une heure d’entretien pour évoquer l’environnement, ce que le patient sait de sa maladie, son vécu, les effets des traitements, à renouveler ou à adapter…
L’I.M. : Pourquoi s’être engagée dans un syndicat dédié aux IPA ?
J.D. : Nous sommes quelques IDE à avoir créé l’Unipa(2), pour défendre nous-mêmes ce nouveau métier. Pour l’instant, nous ne sommes pas représentatifs, car nous n’avons pas deux années d’existence. Nous ne sommes donc pas consultées, par exemple pour les négociations conventionnelles sur la valorisation financière des IPA libérales. Pourtant, quelle autre structure peut se prévaloir d’avoir 290 IPA diplômées ou étudiantes adhérentes ?
1 - Nouvelle appellation des universités Diderot et Descartes qui ont fusionné.
2 - Union nationale des infirmières en pratique avancée.