Les blouses blanches ont manifesté par milliers partout en France le 14 novembre afin d’exiger plus de moyens pour l’hôpital public. une fois n’est pas coutume, ils ont obtenu une réponse venue d’emmanuel Macron le jour même, qui annonçait un plan d’action.
Infirmières, médecins, pharmaciens, aides-soignants, personnel administratif… Les hospitaliers se sont livrés à une véritable dé monstration de force le jeudi 14 novembre, à l’appel du collectif Interhôpitaux, du collectif Inter-urgences et d’une multitude de syndicats. Au menu des revendications : un plan d’urgence pour l’hôpital public, avec plus de lits, des ouvertures de postes et des augmentations salariales. Et si bien des participants savaient que le gouvernement préparait des annonces sur le sujet, peu s’attendaient à une réponse venue du sommet de l’État avant la fin des manifestations.
C’est bien sûr Paris qui a rassemblé le cortège le plus important, avec 7 500 personnes selon la préfecture et 23 000 à 25 000 personnes selon la CGT, indique l’agence APMNews. À l’Assistance publique - hôpitaux de Paris (AP-HP), le taux de mobilisation était, toujours selon APMNews, de 57 % chez les médecins et de 21 % chez le personnel non médical. Mais dans d’autres villes, des rassemblements ont eu lieu dans les rues ou devant les établissements hospitaliers. Au niveau national, le taux de mobilisation a atteint 14 %. Du côté des organisateurs, on salue donc une « mobilisation massive » ayant atteint une « ampleur jamais égalée », selon les mots du collectif Inter-hôpitaux.
Dans le cortège parisien, plus que l’ampleur de la mobilisation, c’est l’unanimité des manifestants qui marquait les esprits. Tous les participants exprimaient en effet le même ras-le-bol face à la dégradation de leurs conditions de travail, et tous alertaient sur la possible fin de l’hôpital public tel que nous le connaissons. C’est ainsi que les slogans inscrits sur les pancartes se faisaient volontiers alarmistes. « Tuer l’hôpital, c’est du suicide », pouvait-on lire sur l’une d’entre elles. « Hôpitaux = Tombeaux », proclamait une autre, tandis qu’une troisième prévenait : « Si l’hôpital meurt, vous mourez aussi. »
Les manifestants, blouse blanche sur le dos, n’en finissaient pas d’énumérer les sujets de mécontentement. En première position venait le manque de personnel. « Avec nos salaires de misère, on n’arrive pas à recruter », déplorait Béatrice, qui exerce en urologie à l’hôpital Saint-Louis. « Quand j’ai commencé dans mon service il y a quinze ans, nous étions quatorze infirmières, et maintenant nous sommes sept. Avec les congés et les a rêts maladie, nous sommes en sous-effectif permanent. » Un autre sujet récurrent chez les IDE mobilisées : le sentiment d’être déconnectées de leurs directions. « On a l’impression d’une coupure totale avec l’administration, de n’être plus que des numéros », déplorait ainsi Alice, infirmière en diabétologie-endocrinologie à l’hôpital Cochin. Isabelle, cadre supérieure à Versailles, abondait dans ce sens. « Nous, les cadres, sommes tiraillées en permanence, expliquait-elle. Nous avons des objectifs, on nous demande de faire toujours plus, et nous voyons bien que les équipes sont épuisées. »
Mais les infirmières n’étaient pas les seules à manifester, loin de là. L’une des caractéristiques de la manifestation était justement son aspect bigarré. « Nous sommes là pour défendre un hôpital public menacé par une politique qui consiste à le dépouiller », expliquait par exemple Raphaël, un médecin de l’hôpital Cochin. « Les repos de garde ne sont pas respectés, les services ne sont pas en mesure de nous encadrer, et tout cela est dangereux pour les patients », dénonçait de son côté Hélène, interne en médecine générale à l’AP-HP. Fait assez rare pour être souligné : même les PU-PH et autres chefs de service participaient à la mobilisation. Le Syndicat des professeurs hospitalo-universitaires avait en effet appelé à la grève, et de nombreux PU ont été aperçus dans le cortège. Certains ont même directement envoyé le personnel de leur service battre le pavé. « Ce sont nos chefs qui nous ont dit qu’il fallait venir à la manifestation », témoignaient ainsi Manon et Éloïse, deux internes franciliennes.
Cette union de tous les soignants était saluée par bien des manifestants. « On a vraiment l’impression qu’il y a plus d’énergie que lors des mobilisations précédentes, le ras-le-bol est véritablement généralisé », estimait Yvette, infirmière à la maternité de Port-Royal. Bien sûr, certains anciens se remémoraient des mouvements plus importants. « Les mobilisations infirmières de 1988, c’était autre chose », se souvenait Béatrice, l’infirmière de Saint-Louis citée plus haut. Mais le sentiment général était bien celui de se mobiliser pour une cause plus grande que soi-même. « On est là pour les patients », résumait Cécilia, infirmière de l’équipe de suppléance à Cochin.
Car les manifestants du 14 novembre n’étaient pas là pour se plaindre, mais pour obtenir des mesures financières de la part du gouvernement. « On espère qu’Agnès Buzyn va trouver des idées, et pas des idées réchauffées comme elle nous en a déjà servi », résumait Alice, du service de diabétologie à Cochin. Ce n’est pourtant pas la ministre de la Santé, mais Emmanuel Macron en personne qui a pris la parole en fin de manifestation. En marge d’un déplacement qu’il effectuait ce jour-là à Épernay, dans la Marne, le président de la République a en effet répondu aux manifestants. S’adressant directement à eux, il a affirmé avoir « entendu leur colère et leur indignation face à des conditions de travail qui sont parfois devenues impossibles ».
Mieux, il a confirmé qu’un effort financier serait fait en direction des hospitaliers, expliquant qu’il avait demandé au gouvernement « de travailler avec vigueur pour un plan d’action renforcé et des décisions fortes », et affirmant qu’il fallait « assumer d’investir plus fortement que nous n’avions envisagé de le faire ». Résultat : six jours plus tard, le 20 novembre, le Premier ministre Édouard Philippe et la ministre de la Santé Agnès Buzyn présentaient un plan en faveur de l’hôpital (voir encadré).
Il est bien sûr trop tôt pour évaluer les effets concrets de ce plan, et nous ignorons à l’heure où nous écrivons ces lignes s’il a convaincu les hospitaliers de cesser leur mobilisation. Sur ce sujet, des divisions commençaient à poindre dès le soir de la manifestation entre ceux qui voulaient opérer une « convergence des luttes » et rejoindre le mouvement de grève du 5 décembre contre la réforme des retraites d’une part, et ceux qui entendaient conserver l’autonomie de la mobilisation hospitalière d’autre part. Ces derniers appelaient à une nouvelle journée d’action le 30 novembre. Mais quelle que soit l’issue, il est indéniable qu’en obligeant le président de la République à prendre la parole le jour même de leur manifestation, les hospitaliers ont déjà réussi à marquer un point.
Après « Ma Santé 2022 » (septembre 2018), après le « Pacte de refondation des urgences » (septembre 2019), voici « Investir pour l’hôpital » : le nouveau plan gouvernemental en faveur des établissements publics, présenté le 20 novembre par Édouard Philippe et agnès Buzyn après les manifestations. Celui-ci se traduit par un effort financier d’1,5 milliard d’euros sur trois ans en faveur des hôpitaux. Cela se concrétisera dès la nouvelle lecture à l’assemblée du PLFSS pour 2020 par un rehaussement de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam). Celui-ci augmentera donc de 300 millions d’euros par rapport à ce qui était prévu. La hausse de l’Ondam hospitalier entre 2019 et 2020 sera donc de 2,4 %, et non de 2,1 %. Pour 2021 et 2022, agnès Buzyn et Édouard Philippe envisagent un effort plus important : respectivement + 500 et + 700 millions d’euros par rapport à 2019. Le gouvernement a par ailleurs annoncé que l’État allait, au cours des trois prochaines années, reprendre une partie de la dette des hôpitaux : dix milliards d’euros, sur un total de trente, seront remboursés par Bercy et non par les établissements. Un allègement significatif, destiné à redonner aux structures asphyxiées des marges de manœuvre. Des mesures en faveur de l’attractivité des carrières à l’hôpital sont aussi prévues, comme une prime annuelle de 800 € pour les IDE et AS exerçant à Paris, dans le 92, le 94 ou le 93. des annonces jugées éloignées des attentes des personnels, qui n’ont pas convaincu les collectifs et syndicats, appelant à se mobiliser les 30 novembre et 17 décembre.