L'infirmière Magazine n° 410 du 01/12/2019

 

HÔPITAL DE LONGUÉ-JUMELLES

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ADRIEN RENAUD  

La privatisation de l’hôpital de Longué-Jumelles n’aura pas lieu. Ainsi en a décidé Agnès Buzyn, qui évite ainsi que, pour la première fois, un hôpital public passe dans le giron du privé.

Il s’en est fallu d’un cheveu pour que la France assiste à la première privatisation d’un hôpital public. Celui de Longué-Jumelles, dans le Maine-et-Loire, faisait en effet l’objet d’un appel à repreneurs qui devait se clore le 15 novembre dernier, et pour lequel deux projets se faisaient face : l’un public, et l’autre privé. Mais une semaine avant la date prévue, la ministre de la Santé a décidé que l’établissement resterait public. L’hôpital de Longué-Jumelles est un petit hôpital local qui dispose de 30 lits de soins de suite et de réadaptation (SSR), de 35 lits d’unité de soins de longue durée (USLD) et de 85 places d’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Problème : sa récente reconstruction avait fortement dégradé sa situation financière, si bien qu’en 2018, la Cour des comptes jugeait l’établissement en « survie artificielle ».

Une gestion inimaginable

« L’ancienne direction avait essayé de construire un nouveau bâtiment sans argent, et sans accord des banques, se souvient Nathalie Harrault, déléguée syndicale CGT de l’établissement. C’est inimaginable, et pourtant, ça s’est réellement passé. » Face à l’état catastrophique des comptes de l’hôpital, l’agence régionale de santé (ARS) et le conseil départemental ont dû demander à des re preneurs de venir à son chevet. Deux offres ont émergé, comme l’a dévoilé un article du Monde début octobre. La première était publique : un partenariat entre le CHU d’Angers, la Mutualité française et des médecins libéraux. Le second, en revanche, émanait de LNA (pour Le Noble Âge), un groupe privé qui rassemble 57 Ehpad ou structures de SSR. Détail non négligeable : la deuxième option avait le soutien du maire de Longué-Jumelles Frédéric Mortier, ainsi que du président du conseil départemental Christian Gillet.

Pour Nathalie Harrault, céder l’établissement au privé était inacceptable. « Nous avions fait énormément d’efforts, il y a eu des restrictions budgétaires, nous avons externalisé le ménage, des CDD sont restés sur le carreau… et on nous annonçait que nous allions passer dans le privé ? Nous n’étions évidemment pas d’accord, lâche-t-elle. Nous sommes allés voir les députés, les maires, les familles, et la presse s’y est intéressée, ce qui a fait beaucoup de bruit. »

Des fonctionnaires dans le privé ?

Les inquiétudes de la représentante du personnel portaient sur plusieurs points. Le statut du personnel tout d’abord. « On nous disait qu’on allait garder tout le monde, mais on ne comprenait pas comment des

fonctionnaires pouvaient être gardés dans un établissement privé, explique Nathalie Harrault. Nous n’étions pas dupes et nous savions qu’au bout d’un moment, les gens auraient été mutés ailleurs. »

Autre sujet de préoccupation : le prix payé par les résidents de l’Ehpad. « Nous sommes à 62 €, mais dans le cadre de la privatisation, le prix serait d’abord passé à 67,50 €, puis on aurait rapidement atteint les 3 000 € par mois », estime Nathalie Harrault.

Bien sûr, la décision de la ministre n’a pas fait que des heureux. « Sur le fond, l’offre publique n’est pas viable, c’est la faillite inéluctable », estime Christian Gillet, cité par l’agence APMNews. Le président du conseil départemental du Maineet-Loire dénonce « une décision politique dogmatique prise dans la précipitation ou l’affolement, à l’approche de la mobilisation dans l’hôpital public du 14 novembre ».

Toujours vigilants

Nathalie Harrault, au contraire, se dit soulagée. « Dans le cadre du projet, nous allons fusionner avec l’hôpital de Saumur avec lequel nous étions déjà en direction commune, mais nous restons vigilants », indique la syndicaliste. Car celle-ci sait bien que si aucun hôpital public n’a encore été cédé au privé, la situation des Ehpad est tout autre. Le phénomène a notamment été mis en lumière par une enquête de Mediapart parue mi-novembre. « II y a une vague de privatisations larvées d’Ehpad publics, déclarait à nos confrères Serge Malacchina, délégué régional de la Fédération hospitalière de France (FHF) en Auvergne-Rhône-Alpes. Ce sont des établissements vétustes, dans des impasses financières pour financer leur reconstruction. Ce problème est national. » Et contrairement à l’hôpital de Longué, ces Ehpad ne bénéficient pas de l’attention des médias.