L’IDE en oncogériatrie allie les deux approches du cancer et du vieillissement pour optimiser la prise en charge des patients, selon leurs fragilités. Ses missions vont de l’évaluation gériatrique et du suivi entre les cures à la formation et la recherche…
La cancérologie du sujet âgé est un sujet de santé publique de premier plan. L’incidence du cancer augmente régulièrement au cours de la vie. Ainsi, les cancers chez les 65 ans et plus représentaient 62,4 % des cancers diagnostiqués, tous âges confondus, en 2017(1). Et, pour les personnes âgées de 85 ans et plus, on estime à 45993 le nombre de nouveaux cas chaque année, soit 11,5 % de l’ensemble des cas. Pour répondre au mieux à cette problématique majeure, l’oncogériatrie entend prendre en charge le cancer en tenant compte des phénomènes du vieillissement, que celui-ci soit sain ou pathologique. Une approche qui a ouvert des possibilités nouvelles d’exercice pour les infirmières.
« L’oncogériatrie n’est pas une spécialité en soi, annonce d’emblée Angélique Roveri, IDE coordonnatrice en oncogériatrie au CHU de Rennes (35). Mais plutôt une approche globale, qui met en rapport les spécialistes du cancer (oncologues, radiothérapeutes, chirurgiens…) et les gériatres. » L’oncogériatrie est née sous l’impulsion du Plan cancer 2003-2007 et le souhait de l’Institut national du cancer (Inca) de voir émerger des unités pilotes en oncogériatrie (Upog) qui sont, par la suite, devenues des unités de coordination en oncogériatrie (Ucog). « Les unités de coordination en oncogériatrie sont vraiment opérationnelles depuis dix ans, indique Isabelle Loisel, cadre de santé à l’Ucog de Bretagne. Et le métier d’infirmière en oncogériatrie a aussi une petite dizaine d’années. »
Ces IDE viennent traditionnellement de l’une ou l’autre des deux spécialités et ont acquis des savoirs transversaux. « En pratique, ce sont des infirmières en gériatrie qui ont dû se former à l’oncologie, aux traitements du cancer et à leurs effets secondaires. Ou, à l’inverse, des professionnels de l’oncologie qui se sont posé la question des spécificités de la personne âgée », indique Caroline Berbon, infirmière au gérontopôle de Toulouse (31). Il existe des diplômes universitaires (DU) d’oncogériatrie, qui sont conseillés mais ne sont pas obligatoires pour exercer, et ne permettent pas de revalorisation salariale : les infirmières en oncogériatrie sont donc rémunérées comme les autres IDE.
Si le phénomène du vieillissement n’est pas une maladie et que les individus sont extrêmement inégaux face à lui, l’âge peut influencer un traitement contre le cancer, en termes d’efficacité et de tolérance, et fragiliser le patient. Même si l’âge n’est pas un critère absolu et qu’il n’y a pas d’âge officiel déterminé à partir duquel on parle de « personne âgée ». Tout patient de plus de 70 ans n’a pas nécessairement besoin d’une prise en charge gériatrique en tant que telle. Mais, dans tous les cas, il nécessite une attention particulière et une évaluation globale de sa situation médicale et sociale. « Dans notre travail, on ne s’attache plus à l’âge civil, qui, en tant que tel, n’a pas vraiment de valeur. Certains patients sont très bien à 90 ans : ils ont peu d’antécédents, peu de comorbidités, peu de traitements, peu de fragilités liées à la mémoire ou à l’autonomie, explique Angélique Roveri. D’autres, beaucoup plus jeunes, sont aussi beaucoup plus fragiles. » Le but est d’évaluer ces éventuelles fragilités, qui risqueraient de mettre en échec le traitement ou d’altérer la qualité de vie du patient après la mise en place du protocole de soin.
L’idéal est d’effectuer, juste après le diagnostic de cancer, un « test de dépistage du recours au gériatre chez un patient âgé atteint de cancer », aussi appelé « questionnaire G8 »(2). « Ce dépistage doit être réalisé en amont de la rencontre avec l’infirmière en oncogériatrie, avertit Isabelle Loisel. N’importe quel professionnel – infirmière, interne ou médecin – peut faire le G8. » Le test est validé à partir de 70 ans. Si la personne obtient un score inférieur à 14 – ce qui est le cas pour 75 % des personnes âgées à qui l’on décèle un cancer-, elle doit être considérée comme potentiellement fragile. Il est alors recommandé de lui faire une évaluation gériatrique approfondie.
C’est souvent lors de la demande d’évaluation gériatrique qu’interviennent les infirmières en oncogériatrie. En règle générale, elles exercent au sein d’équipes mobiles entre plusieurs établissements, car peu de services identifiés « oncogériatrie » existent en France. Elles travaillent en binôme avec un médecin oncogériatre. Ce binôme est la règle mais il peut s’organiser de différentes manières, avec plus ou moins de temps infirmier. Les IDE peuvent avoir un rôle de recueil de l’information en amont de la consultation avec le médecin oncogériatre.
« En fait, je suis un peu Sherlock Holmes, s’amuse Angélique Roveri. Je recherche toutes les informations concernant le patient. » Elle peut commencer le recueil de renseignements directement auprès de lui, mais elle ne s’arrête pas là. « Je peux être amenée à appeler les enfants, l’infirmière libérale, l’Ehpad ou les équipes médicales s’il a été précédemment hospitalisé, continue l’infirmière. Par exemple, s’il a subi une chirurgie et a manifesté un état de confusion en post-opératoire, cela peut avoir un impact sur le traitement du cancer. » L’objectif de l’IDE est ici d’optimiser la consultation gériatrique, qui peut durer jusqu’à une heure et demi. « Avec le gériatre, on est complémentaire », insiste Angélique Roveri. L’infirmière et le médecin utilisent aussi des grilles d’évaluation des fragilités gériatriques. « Nous avons recours à des tests d’évaluation pour différents aspects comme la nutrition, l’isolement social, l’autonomie ou encore la mémoire, détaille Alexandrine Tranier, infirmière en oncogériatrie au CHU de Toulouse. Ces échelles, nous les faisons souvent en binôme avec le médecin. »
La cohésion entre les deux professionnels est cruciale. « Ces évaluation restent souvent subjectives, mais il faut tout de même que nous arrivions à un consensus sur l’état du patient. Pour cela, il faut une vraie relation de confiance », ajoute Alexandrine Tranier. « En pratique, on va s’interroger, rapporte Angélique Roveri. Est-ce que le patient est en capacité de recevoir une chimiothérapie ? Peut-il supporter une résection de vessie ou les sondes d’urétérostomie ? Ne vaut-il pas mieux faire une radiothérapie plutôt qu’une chirurgie ? La balance bénéfices/risques ne sera-t-elle pas meilleure si on s’abstient de faire tout traitement ? »
Une fois le bilan complété par une évaluation médicale, le médecin gériatre émet une synthèse et des recommandations utiles à la prise de décision concernant le protocole thérapeutique à adopter. « L’idéal, c’est que ces recommandations soient envoyées très vite au médecin, au chirurgien ou au spécialiste d’organes qui les a demandées. Si possible avant la réunion de concertation pluridisciplinaire, explique Isabelle Loisel. Ainsi, la décision thérapeutique peut être éclairée par cet avis. Le risque, c’est que les patients âgés soient surtraités. Il ne faut pas qu’on commence un traitement et qu’on soit obligé de l’arrêter en cours de route parce qu’ils ne le supportent pas. Il faut aussi éviter le sous-traitement. En bref, trouver la juste mesure. »
Après la mise en place du protocole de soin, l’IDE en oncogériatrie a un rôle à jouer dans le suivi de la personne âgée dans son parcours oncologique. « Le gériatre peut recommander un suivi téléphonique que l’infirmière peut effectuer une ou plusieurs semaines après la première évaluation, pour voir si les problèmes décelés ont été résolus », détaille Isabelle Loisel. Le CHU de Toulouse, qui dispose d’un service dédié à l’oncogériatrie, a mis en place une plateforme téléphonique innovante pour le suivi de ses patients (voir encadré p. 55), dans un cadre organisationnel très spécifique.
« Le choix a été fait de créer une unité d’hospitalisation d’oncogériatrie, avec des infirmières d’annonce. Mais c’est un cas rare en France. Ce projet a pu se développer parce qu’il y a de vrais liens entre oncologues et gériatres dans notre CHU, qui ne sont pas évidents à formaliser partout », explique Caroline Berbon. Le service est orienté hématologie, en raison de l’incidence de cette dernière dans les cancers de la personne âgée. Les IDE en oncogériatrie assurent, parmi d’autres missions, le suivi téléphonique des patients entre deux cures. « L’objectif est de repérer une perte de poids ou l’apparition d’effets secondaires qui risquent de compromettre le prochain cycle de chimiothérapie, et représentent donc une perte de chances, explique Gilles Bourgade, IDE en oncogériatrie au CHU de Toulouse. Le but est également de réagir immédiatement pour soulager le patient, si cela est possible, pour que son état ne se dégrade pas. Si la première semaine, par exemple, il nous décrit des symptômes de mycose buccale, de fièvre ou de nausées, on peut éventuellement faire une évaluation téléphonique et une ordonnance. »
Mais dans le service, le nombre de patients à suivre au téléphone est devenu si important que les équipes ont été obligées d’innover. « Pour un infirmier à temps plein, le nombre de patients à suivre est passé de vingt à cinquante par semaine, ce qui devenait très compliqué pour continuer à travailler avec sérieux », constate Gille Bourgade. En collaboration avec une entreprise privée, le service a créé un chatbot – un logiciel de conversation – qui permet aux infirmières de trier les patients à appeler en priorité.
Parmi les missions attribuées par l’Inca aux infirmières en oncogériatrie figurent la formation et l’information auprès des équipes hospitalières, des Ehpad, des instituts de formation, ou encore du grand public. « C’est ce qu’on appelle l’acculturation », souligne Angélique Roveri. La transmission peut porter sur les signes cliniques qui doivent alerter, sur l’outil de dépistage des fragilités gériatriques qu’est le G8, ou sur le parcours de soins en cancérologie.
Elle peut également être le moment de s’attaquer aux idées reçues sur l’oncogériatrie, qui ont la vie dure. « Les patients, les familles, et même les infirmières, ont des préjugés erronés sur le cancer et le sujet âgé, rapporte Isabelle Loisel. Il n’est pas rare que nous entendions des choses comme “Ça ne sert à rien de le traiter, vous avez vu l’âge qu’il a ?”, “Le cancer évolue très lentement à cet âge-là”, ou encore “Les traitements sont forcément trop agressifs”. Tout cela n’est pas forcément vrai. »
Les infirmières en oncogériatrie sont aussi appelées à jouer un rôle dans la recherche. Si ce n’est pas leur première tâche au quotidien, cette implication n’en est pas moins importante. Alors qu’ils constituent une fraction non négligeable des patients atteints de cancer, jusqu’à ces dernières années, les plus de 70 ans étaient peu représentés dans les essais thérapeutiques. Ce qui n’est pas sans conséquences : un manque notoire de références validées pour cette population spécifique demeure et les référentiels de traitement qui leur sont administrés sont élaborés à partir d’études où ils sont sous-représentés. « Il y a très peu de protocoles de recherche sur les sujets âgés, qu’ils soient observationnels ou médicamenteux », regrette Angélique Roveri. L’Inca souhaite donc développer cette recherche et le rôle infirmier dans ce domaine. Notons cependant qu’il existe tout de même des études en oncogériatrie qui impliquent des infirmières. « Nous avons travaillé, avec des infirmières et des gériatres, sur une étude qui s’appelle Perceval. Elle a porté sur la perception de l’évaluation oncogériatrique, par le patient lui-même et par les aidants », conclut Isabelle Loisel.
1- Source : bit.ly/33f098e
2- Le questionnaire g8 est un outil de dépistage gériatrique qui permet aux oncologues d’identifier, parmi les patients âgés atteints de cancer, ceux qui devraient bénéficier d’une évaluation gériatrique approfondie. Exemple de questionnaire g8 sur le site réseau Espace santé-cancer rhône-alpes : bit.ly/335Z6as
→ Pour déterminer quels patients doivent être appelés en priorité pour un suivi, les infirmières en oncogériatrie du cHU de toulouse (31) travaillent avec un outil qui leur envoie un questionnaire. Le patient le reçoit sur son ordinateur ou son smartphone. Les questions portent sur l’indice de masse corporelle (IMc) afin de repérer un éventuel amaigrissement, sur le bilan sanguin, ou encore sur de possibles effets secondaires (fièvre, bilan sanguin, nausée…) « C’est le patient lui-même ou son aidant principal qui répond, explique gilles Bourgade, IDE en oncogériatrie. Les données qui sont échangées sont sécurisées. On reçoit les réponses sur un tableau de bord au bureau : en fonction de ces réponses, nous pouvons trier les patients et voir ceux qui sont à appeler en priorité. »
→ Contrairement aux idées reçues, les personnes âgées ne sont pas forcément désarçonnées par la numérisation des échanges avec les infirmières. « La première personne que nous avons inclue dans la phase de test avait 88 ans, et elle était ravie de participer à quelque chose, se souvient gilles Bourgade. Le projet est concluant, nous sommes maintenant en phase d’inclusion de patients. »
→ Prochain projet en phase de création : un service de messagerie instantanée. « Il servira, par exemple, si l’aidant principal de mon patient est sa fille qui travaille tard. Si, après 18h, elle a une question qui n’est pas trop urgente, elle va pouvoir m’écrire le soir un message que je trouverai et auquel je pourrai répondre le matin en arrivant au travail », explique l’IDE. Une possibilité d’échange direct et sécurisé avec les infirmières libérales est aussi prévue par le service d’oncogériatrie, pour qu’elles puissent avoir un accès aux informations et documents nécessaires à leur exercice auprès du patient.
→ Pour se spécialiser en oncogériatrie, certaines qualités professionnelles sont requises : esprit d’équipe, autonomie, aptitudes à l’exercice multidisciplinaire ; capacités d’analyse des situations, de communication et d’adaptation ; rigueur organisationnelle et maîtrise des outils informatiques.
Une expérience en gériatrie et/ou en cancérologie est recommandée, de même qu’un DU.
→ La formation vise à amener les étudiants à convenir d’une stratégie commune de prise en charge de la personne âgée atteinte de cancer aux différentes étapes de sa maladie.
→ Les possibilités de formation en France sont multiples : DU cancérologie du sujet âgé (nantes) ; DIU gériatrie appliquée à la cancérologie (Dijon, Limoges, Montpellier) ; DIU oncogériatrie (Bordeaux, Lyon, Saint-étienne) ; DIU oncogériatrie (Paris-V et VI) ; DIU oncologie clinique et thérapeutique (nice, Marseille) ; DU personne âgée et cancer (Paris-XIII) ; DIU oncogériatrie thérapeutique (Nice, Marseille).