L'infirmière Magazine n° 412 du 01/02/2020

 

DOULEURS CHRONIQUES

SUR LE TERRAIN

REPORTAGE

MARIE-CAPUCINE DISS  

À l’hôpital Joseph-Ducuing de Toulouse, une consultation spécialisée prend en charge les patients souffrant de douleurs chroniques. L’équipe pluriprofessionnelle aborde un phénomène complexe et multidimensionnel par une approche personnalisée, offrant une place de choix aux thérapies complémentaires.

C’est un endroit où l’on se rend quand on pense avoir tout essayé. Un bâtiment bordant l’enceinte de l’hôpital. Dans le salon d’accueil du rez-de-chaussée, Cathy Mayor attend avec impatience sa séance de magnétothérapie. Angèle Marcerou, infirmière de la consultation douleur, ne tarde pas à apparaître. La conversation débute, la patiente évoque les événements marquants de la semaine. Puis elle s’allonge sur un lit surmonté d’un matelas relié à un moniteur et créant un champ magnétique. La polyarthrite rhumatoïde est entrée dans la vie de Cathy Mayor il y a une dizaine d’années. « J’avais parfois tellement mal que je croyais que j’allais mourir. C’était une période très difficile. J’ai continué à travailler mais les crises étaient tellement répétées que le soir, je n’avais qu’une envie : me coucher dans un fauteuil et attendre le sommeil. » Il y a un an et demi, elle décide de prendre rendez-vous à l’hôpital Joseph-Ducuing, à Toulouse. Claire Chauffour, la médecin qui dirige la consultation, lui prescrit une séance hebdomadaire de magnétothérapie. « Au début, les séances n’avaient pas vraiment d’effet, raconte la patiente. Et puis, au bout d’un mois, un matin, je me suis sentie beaucoup mieux. D’habitude, la première heure après le réveil est particulièrement éprouvante, après l’immobilité de la nuit. Là, je me suis levée, je suis allée faire mon café, et ma douleur avait considérablement diminué. Elle était devenue supportable. C’était fabuleux. »

Solliciter les ressources personnelles des patients

Les champs magnétiques accélèrent le flux sanguin, améliorent l’oxygénation des tissus et favorisent les échanges entre cellules. Le dispositif employé offre des programmes adaptés à différents types de douleur. À chaque nouvelle rencontre, Cathy Mayor décide avec l’infirmière de la tonalité de la séance. Il peut s’agir de coupler magnétothérapie et musicothérapie. La musique diffusée par des oreillettes via le dispositif Music Care emploie des fréquences et des rythmes spécifiques, ayant un effet relaxant. Ou elle peut initier d’elle-même une séance de relaxation, pendant la demi-heure durant laquelle elle est allongée.

L’équipe thérapeutique de la consultation douleur de l’hôpital Joseph-Ducuing s’appuie sur les ressources personnelles de ses patients. Un principe fondamental exposé par Claire Chauffour : « Avec la douleur, on devient un inconnu pour soi-même. La douleur peut persécuter les individus et leur donner le sentiment qu’ils ne contrôlent plus rien. Nous faisons tout pour éviter la dépersonnalisation des patients. Nous les enjoignons à laisser plus de place à ce qui va bien en eux, à mettre en avant ce qu’ils savent faire et peuvent faire. Quand les gens regagnent le contrôle sur eux-mêmes ou qu’ils ont le sentiment qu’ils peuvent contrôler ce qui va se passer, ils peuvent changer leur rapport à la douleur. »

Dans cette perspective, les exercices respiratoires peuvent se révéler de précieux alliés. Les patients qui les réalisent, sur prescription médicale, apprennent à contrôler leur respiration. Transformer un phénomène naturel en action volontaire est une autre manière de reprendre le contrôle de sa vie.

Depuis qu’elle fréquente la consultation douleur, Cathy Mayor a beaucoup baissé sa consommation de cortisone. Elle a bien sûr conservé le traitement de fond que nécessite sa maladie, et elle a développé une autre attitude face à la douleur. « Cela fait du bien quand on parle. On prend du recul par rapport à sa maladie et son quotidien. On n’est jamais plus fort que cette maladie. C’est comme une compagne que l’on n’aime pas mais avec laquelle on doit vivre. Ici, on vous apprend à faire avec, à apprivoiser la douleur. » Vivant mieux avec une douleur qui la fait moins souffrir, Cathy Mayor a pu retrouver une vie sociale et s’offrir des sorties qui ne lui paraissaient plus accessibles depuis des années.

La première étape de la prise en charge des patients de la consultation douleur consiste à s’assurer qu’aucune possibilité de diagnostic n’a été négligée. Des examens complémentaires peuvent être réalisés, ou des avis sur dossier demandés au service de médecine interne de l’hôpital, avec lequel les médecins de la consultation travaillent en lien étroit. Cela permet de détecter des pathologies spécifiques qui n’auraient pas été mises en évidence auparavant et qui nécessitent un traitement adapté. Si le patient relève bien du champ de la douleur chronique, l’équipe soignante avance ensuite pas à pas avec lui pour comprendre ce dont il souffre. « Nous repartons des fondamentaux, explique Claire Chauffour.

Description de la douleur, des signes associés, des facteurs d’aggravation ou de soulagement, des traitements, des procédures qui ont pu améliorer la situation du patient… » Le temps est ici un allié. C’est lui qui permettra de nouer une relation de confiance solide, d’écouter le patient et d’éviter de se prononcer sur des scénarios trop hâtifs.

Une modulation affective de la douleur à prendre en compte

L’ensemble des thérapies complémentaires proposées à l’hôpital Joseph-Ducuing vise à atténuer des situations douloureuses complexes et uniques. À côté de la relation d’aide, l’hypnose, l’électrothérapie, la magnétothérapie, la relaxation, la respiration, les techniques manuelles, l’activité physique ou l’aromathérapie sont autant de moyens thérapeutiques permettant d’aborder le phénomène de la douleur dans sa globalité et sa complexité. Les médecins et infirmières de la consultation se sont formés à ces différentes techniques.

Au foyer de l’hôpital de jour, au deuxième étage du bâtiment, un petit groupe réuni autour d’une nutritionniste met la touche finale au repas préparé en commun. Une fois par semaine, des thérapies complémentaires comme le massage, le yoga ou la réflexologie, sont proposées aux patients des soins de support. S’y ajoute le plaisir de cuisiner ensemble, de se retrouver autour d’une table, de plaisanter. Autant d’occasions de se “défocaliser” de sa douleur.

Au même étage, Angèle Marcerou accueille un nouveau patient. Le regard observateur de l’infirmière et son sourire énigmatique laissent imaginer que ses mains fréquemment enfouies dans ses poches se préparent à un tour de magie. Et en effet, aujourd’hui, elle a du nouveau à lui présenter : le Neuromodyn, dernier-né des appareils de thérapie par neurostimulation électrique transcutanée. Cette dernière génération de TENS offre une option de neurostimulation interactive et peut agir directement sur les récepteurs de la douleur. Comme à l’apparition de chaque nouveau dispositif thérapeutique, l’infirmière s’est rendue à la bibliothèque universitaire pour se livrer à une lecture exhaustive de la littérature scientifique sur le sujet. Elle a également expérimenté le nouvel appareil. Le patient le prend en main, après une première démonstration de la soignante. Les effets semblent immédiats. Le patient se sent prêt à utiliser l’appareil à domicile.

À côté de l’électrothérapie et de la magnétothérapie, l’infirmière pratique l’hypnothérapie. Elle s’appuie sur son expérience et son intuition pour combiner les différentes techniques. « Pour l’hypnose, nous commençons toujours par une anamnèse assez précise de l’histoire de la personne, de sa maladie et, surtout, de ses ressources, de ses valeurs et de ses aspirations, précise la soignante. Ensuite, chaque séance se construit en fonction de ce qui se passe au moment de la rencontre avec le patient et des objectifs visés : action sur l’intensité de la douleur, sur la fatigue, sur la qualité du sommeil ou sur le vécu du patient. »

L’art de l’écoute

L’écoute de l’histoire des patients et de leurs problématiques est centrale dans la prise en charge, et partagée par l’ensemble des professionnels de la consultation. Claire Chauffour porte une attention particulière à la dimension existentielle de la douleur et à l’approche thérapeutique qu’elle nécessite. La douleur a des répercussions psychologiques et retentit sur la vie affective, sociale et professionnelle de la personne. Les progrès de la science, en particulier grâce à l’imagerie médicale, ont permis de dépasser le paradigme d’une plainte dont l’intensité dépendrait de la stimulation douloureuse qui l’a provoquée. « Avec la découverte de la neuromodulation et de la plasticité cérébrale, explique Claire Chauffour, on sait actuellement que tout ce qui se passe sur le plan affectif et environnemental chez une personne peut modifier une sensation. Un patient peut se plaindre de très grandes douleurs sans avoir de pathologie très spectaculaire. Comme il peut se plaindre de peu de douleur en ayant une maladie grave, évoluée ou évolutive. C’est une histoire personnelle. C’est le patient qui fait sa douleur. » Angèle Marcerou prend beaucoup de temps pour écouter les personnes qu’elle suit en consultation. « Je m’aperçois que la douleur est souvent intriquée avec une souffrance existentielle ou psychique. J’essaie de leur faire comprendre qu’il y a aussi des choses dans leur histoire de vie qui peuvent interférer, mettre du poids dans leur douleur. Je détricote les choses avec eux et peux leur proposer de parler à une personne spécialisée des choses qu’ils évoquent avec moi. » Là encore, il s’agit d’attendre le bon moment, que la relation de confiance soit consolidée. La soignante peut alors les adresser aux psychologues ou aux assistantes sociales de l’unité. Le suivi social permet de travailler avec le patient sur son projet de vie, de renforcer son estime de soi et son sentiment d’utilité sociale. Le travail psychologique porte sur l’acceptation de la douleur et une réconciliation avec son parcours de vie. Une voie complémentaire pour s’adapter à sa nouvelle vie de douloureux chronique.

ZOOM

Une équipe de consultation tournée vers la recherche

En relation avec le service de médecine interne, l’équipe de la consultation douleur a débuté une étude portant sur l’évaluation standardisée de patients sous stimulation vagale ayant une spondylarthrite ankylosante. Cette étude, portant sur douze mois, avec participation des patients pendant quatre mois, a pour but de montrer les bénéfices complémentaires de la stimulation électrique du nerf vague pour les douleurs liées à cette pathologie.