L'infirmière Magazine n° 412 du 01/02/2020

 

INFIRMIÈRE ANESTHÉSISTE

CARRIÈRE

PARCOURS

Lisette Gries  

Appétence pour les soins critiques, autonomie et réflexion sont les atouts des Iade. Chevilles ouvrières du bloc, ces IDE anesthésistes sont de véritables expertes en leur domaine et assurent une prise en charge continue du patient.

Dans leur grande majorité, les Iade partagent avec les Ibode le lieu d’exercice un peu particulier que constitue le bloc opératoire. Sans fenêtre ni lumière naturelle, coupé du reste de l’hôpital par des sas et des vestiaires, cet univers où les professionnels travaillent masqués peut rebuter. « Quand j’ai découvert le bloc, j’ai été au contraire attiré par l’ambiance un peu fermée, dans laquelle on travaille en équipe autour de soins assez techniques », se rappelle Erwan Guillouet, Iade au CHU de Caen (14). De fait, dans la fourmilière que constitue le bloc opératoire, l’infirmière anesthésiste réalise ses gestes à la fois en grande autonomie, mais aussi en articulation avec les soins apportés par les autres professionnels, notamment l’équipe chirurgicale. « L’une des spécificités du bloc, c’est d’avoir plusieurs équipes qui s’affairent autour du patient en même temps », insiste le Pr Paul-Michel Mertes, anesthésiste au CHRU de Strasbourg (67).

ENTRE AUTONOMIE ET COOPÉRATION

À la différence des IDE des services d’hospitalisation, l’Iade ne s’occupe que d’un patient à la fois. « En arrivant le matin, on ouvre la salle d’intervention, on vérifie la présence et la fonctionnalité des différents appareils, comme le respirateur et le scope, et du matériel nécessaire à l’anesthésie, détaille Adrien Jaloux, Iade à Paris. Ensuite, il faut préparer les agents d’anesthésie selon la stratégie déterminée par l’équipe médicale, avant d’accueillir le patient et de l’installer en salle d’intervention. » L’Iade procède alors à l’induction de l’anesthésie, puis pendant l’intervention chirurgicale, surveille les paramètres vitaux et les saignements, tout en assurant l’entretien de l’anesthésie. À l’issue de l’intervention, en fonction de l’anesthésie, le patient est réveillé ou non, puis l’Iade le transfère en salle de réveil et réalise les transmissions auprès de l’équipe.

Si l’intervention est longue, l’Iade peut avoir un seul patient dans la journée. Pour des chirurgies plus courtes, la procédure recommence avec le patient suivant. « Les Iade sont garantes de la continuité de la prise en charge anesthésique, apprécie Nico Decock, Iade et conseiller national du Syndicat national des infirmières anesthésistes (Snia). Ce fonctionnement, qui n’existe pas partout à l’étranger, est un vrai bénéfice pour la sécurité du patient. » Pour autant, l’Iade ne travaille pas seule : elle reste sous la responsabilité du médecin anesthésiste. « La relation de travail s’apparente à une coopération, mais dans le cadre d’une délégation », explique le Dr Ségolène Arzalier, médecin anesthésiste au CHU de Caen. Dans les faits, le médecin est responsable de la mise en oeuvre d’une stratégie d’anesthésie, déterminée lors du rendez-vous pré-opératoire par un membre de l’équipe d’anesthésie-réanimation – il est rare que l’anesthésiste qui reçoit le patient en consultation soit aussi celui qui exerce au bloc. L’Iade a accès à cette stratégie, ainsi qu’aux résultats des bilans pré-opératoires. « Les Iade prennent ainsi connaissance des risques potentiels, précise le Dr Arzalier. Elles ont un rôle d’alerte primordial pendant l’intervention. »

En effet, les médecins anesthésistes ont la responsabilité simultanée de plusieurs salles. S’ils sont présents lors de l’induction, ils n’assistent pas ensuite à toute la chirurgie. Quand une complication survient, c’est donc à l’Iade de prévenir le médecin et d’effectuer les gestes d’urgence. En salle de naissance, par exemple, lorsqu’une césarienne doit être pratiquée en urgence, la réactivité de l’Iade est essentielle pour que l’intervention se déroule dans les meilleures conditions possibles. « Nous sommes toujours responsables, mais parfois, nous ne sommes qu’en lien téléphonique avec l’Iade, le temps que nous puissions nous libérer. La relation de confiance entre les médecins et les infirmières anesthésistes est essentielle au bon fonctionnement des blocs », ajoute Ségolène Arzalier.

UN MASTER EXIGEANT

Cette confiance entre médecin et Iade repose sur les compétences professionnelles de ces dernières, acquises au cours des deux années de leur master. « Le programme est très dense : il y a des cours de pharmacologie et de physiologie, mais il faut aussi découvrir tous les terrains de chirurgie, les pathologies et leurs co-morbidités, afin de comprendre tous les risques liés à l’anesthésie », détaille Adrien Jaloux. Ce socle théorique solide permet aux Iade d’acquérir l’autonomie et la technique nécessaires à l’exercice de leur métier.

« La formation est exigeante, remarque Nico Decock, également responsable pédagogique à l’école d’Iade du CHRU de Lille (59). Elle nécessite un investissement à 200 %. » Car les deux ans d’étude, dans l’une des vingthuit écoles françaises, représentent plus de trois mille deux cents heures de formation. Aux cours théoriques s’ajoutent du travail personnel, des stages et la rédaction d’un mémoire. « Au moment de passer leur diplôme, les étudiantes Iade doivent être capables de poser des hypothèses et d’agir en conséquence, de façon réfléchie mais rapide », résume-t-il. De plus, retourner sur les bancs de l’école alors qu’on a déjà une expérience professionnelle demande une certaine souplesse d’esprit. « Les étudiantes Iade quittent leur zone de confort pour se remettre en position d’apprenante : en cours ou en stage, elles sont supervisées et évaluées, note le Pr Paul-Michel Mertes, ancien président du Collège français des anesthésistes et réanimateurs (CFAR). Il faut être préparé à ce changement. »

De façon générale, les candidats au concours d’entrée des écoles d’Iade ne s’inscrivent pas au hasard. « Nos étudiantes sont motivées, elles sont dans une démarche d’approfondissement de leurs connaissances et d’ouverture d’esprit. En tant qu’enseignant, c’est une situation idéale », sourit le Pr Mertes. La plupart des postulantes ont déjà des notions du métier d’Iade et sont passées par la réanimation, le Smur, les urgences, la salle de surveillance post-interventionnelle (SSPI)…

« Il faut aimer les situations de crise et la variété », commente Erwan Guillouet. L’aptitude à gérer l’urgence ou les situations difficiles est d’ailleurs l’une des compétences recherchées lors des oraux de sélection à l’entrée des écoles. Elle sera par la suite nécessaire sur le terrain, que ce soit au bloc ou en pré-hospitalier (urgences, Smur) où une petite partie des Iade exerce. L’expertise des Iade pour la prise en charge des urgences préhospitalières est d’ailleurs régulièrement mise en avant par le Snia dans ses revendications.

EFFICACITÉ ET BIENVEILLANCE

Pour autant, le métier d’Iade ne se limite pas aux soins techniques. Le volet relationnel est également primordial, même s’il ne ressemble pas à ce qu’on peut trouver dans des services de médecine ou de soins de suite et de réadaptation (SSR). « On discute avec le patient pendant un temps très court, quand on l’accueille au bloc avant de l’endormir, mais c’est un moment important », souligne Erwan Gillouet. Dans les minutes qui précèdent leur opération chirurgicale, les patients sont souvent stressés. L’Iade se présente en précisant qu’elle sera là tout au long de l’intervention, près de leur tête : elle endosse donc aux yeux du patient un rôle de confiance. De plus, les conditions d’endormissement ont souvent des répercussions sur les conditions de réveil, mais aussi sur les doses et les produits injectés pendant l’anesthésie. L’Iade a donc la lourde tâche de canaliser les angoisses du patient, en quelques phrases seulement. « On voit de plus en plus d’Iade se former à l’hypnose conversationnelle », apprécie le Dr Arzalier.

Le soin relationnel n’est pas le seul champ dans lequel les Iade sont amenées à faire preuve de leur aptitude à communiquer efficacement. « Il faut également instaurer un dialogue avec l’équipe chirurgicale : l’Iade fait le lien entre l’équipe d’anesthésie et ce qui se passe de l’autre côté du champ opératoire », explique Ségolène Arzalier. Selon les blocs, cette communication est plus ou moins bien établie. « On travaille tous dans l’intérêt du patient, mais avec des objectifs directs différents », note Adrien Jaloux. De même, en cas d’urgence, entre l’Iade et le médecin anesthésiste, la partition est bien réglée et ne nécessite pas d’en discuter. Avec l’équipe de chirurgie, en revanche, il faut que les informations circulent. « Cette coordination a parfois besoin d’être renforcée, mais sa mise en place est toujours bénéfique pour la prise en charge du patient », précise Adrien Jaloux.

Autre particularité : les Iade ne travaillent pas ensemble, chacune étant dans une salle d’opération différente. Des temps de discussion sont rarement prévus dans les plannings. Même avec les médecins, les échanges professionnels sont informels, ou ont lieu pendant l’intervention, aux côtés du patient. Pourtant, l’esprit collectif reste primordial, notamment pour faire face à des situations de crise. Pour l’alimenter, les équipes s’appuient notamment sur des moments conviviaux, organisés pendant leur temps personnel.

Porte ouverte vers la recherche

Afin de renforcer la communication intra et interprofessionnelle, des formations en simulation voient le jour. Erwan Gillouet, qui a mis au point plusieurs formations en simulation en santé (dont un DU en néphrologie), vante les mérites de cette technique. « Dans la simulation de très haute fidélité, on fait appel à des acteurs pour incarner des patients standardisés. Les équipes peuvent alors travailler sur leurs outils de communication. Au bloc opératoire, des catégories professionnelles très différentes se croisent, du brancardier au professeur de chirurgie. À Caen, plusieurs formations en simulation se sont faites en pluriprofessionnalité, avec des équipes motivées et globalement satisfaites du résultat », relate-t-il.

La simulation n’est qu’une des portes qu’ouvre le métier d’Iade. « Après le master, les Iade ont souvent envie de continuer à s’investir », remarque Nico Decock. Certaines vont se spécialiser dans un terrain chirurgical précis, ou en pédiatrie. D’autres se tournent vers des missions plus transversales, comme la prise en charge de la douleur ou la pose de Midlines et de Picclines. « Le métier est en évolution permanente, souligne le Pr Paul-Michel Mertes. Au bout de trois ou quatre ans, près de la moitié des connaissances ne sont plus d’actualité. En plus des évolutions dans le domaine de l’anesthésie, les Iade doivent se tenir au courant des évolutions dans les différentes chirurgies. Il est donc nécessaire de continuer à se former tout le temps. »

Poussées par l’avant-goût donné par le mémoire de master ou par la lecture régulière d’articles scientifiques, les Iade s’impliquent aussi dans la recherche. « Aujourd’hui, nous n’avons ni le temps ni le budget dédiés pour être référents sur un sujet de recherche, regrette Nico Decock. Mais il est possible de participer à des études en collaboration avec des médecins. » Le CFAR et la Société française d’anesthésie-réanimation (Sfar) s’ouvrent également aux Iade. Cette dernière, qui dispose d’une commission Iade, leur attribue notamment une bourse de recherche. Au sein du CFAR, les Iade sont invitées à participer aux travaux sur la qualité de vie au travail. « La recherche en soins infirmiers est présente, mais il faut que nous la développions davantage », trépigne Erwan Gillouet. Les Iade de demain auront sûrement un rôle déterminant à y jouer.

MÉTIER

Qui peut devenir Iade ?

→ L’arrêté du 23 juillet 2012 relatif à la formation conduisant au diplôme d’état d’infirmière anesthésiste, précise qu’il faut avoir exercé comme ide pendant vingt-quatre mois équivalents temps plein au 1er janvier de l’année du concours. Dans les faits, les candidats attendent parfois d’avoir acquis un peu plus d’expérience professionnelle pour se présenter.

→ Le concours d’entrée se divise en deux épreuves : une épreuve écrite d’admissibilité, puis un oral. Une liste complémentaire peut être établie. Les personnes y figurant pourront être appelées en cas de désistement d’un candidat admis. « Avant de tenter le concours, je conseille aux candidats de se rendre au bloc, de discuter avec des Iade, puis de se préparer sérieusement car les épreuves sont sélectives », suggère adrien Jaloux, iade à Paris. Certaines écoles proposent d’ailleurs une année de préparation.

→ Les effectifs de la profession sont en constante évolution, d’après l’enquête iade 2018(1) menée par le syndicat national des infirmières anesthésistes (snia). Si on comptait, au début de l’année 2001, un peu moins de 6 000 professionnelles en France, elles étaient 10 600 début 2018. Les femmes constituent 69 % de ce contingent.

1- enquête dont les résultats sont à lire sur : bit.ly/2Ovgdeh

CE QUE DIT LA LOI

Ressources réglementaires

→ Le champ d’activité des Iade est défini par l’article R. 4311-12 du code de la santé publique, qui stipule : « L’infirmier anesthésiste diplômé d’état est seul habilité, à condition qu’un médecin anesthésiste-réanimateur puisse intervenir à tout moment (…), à appliquer les techniques suivantes : anesthésie générale ; anesthésie locorégionale et réinjections dans le cas où un dispositif a été mis en place par un meédecin anesthésiste-réanimateur ; réanimation per-opératoire. » des référentiels de compétences et d’activité ont été publiés par le ministère des affaires sociales et de la santé en 2012.

→ À l’hôpital public, les Iade sont rémunérées selon une grille indiciaire, modifiée par le décret du 21 décembre 2017. Une prime Iade mensuelle de 180 € bruts s’ajoute à la rétribution salariale. La fédération hospitalière privée applique sa propre grille. Les deux sont disponibles sur le site du Snia.

Site du Snia : www.snia.net/ salaires-et-traitements.html

AU QUOTIDIEN

Bloc opératoire : des efforts sur l’ambiance de travail

→ Le bloc opératoire a mauvaise réputation : milieu masculin, il serait régi par des rapports de force, où il faut faire preuve d’abnégation pour faire sa place. « C’est une image datée, rassure nico decock, iade et conseiller national du syndicat national des infirmières anesthésistes (snia). Non seulement, il y a de plus en plus de femmes, que ce soit parmi les chirurgiens, les médecins anesthésistesréanimateurs ou dans les équipes infirmières, mais en plus, de gros efforts ont été fournis concernant l’ambiance de travail. »

→ Le collège français des anesthésistes et réanimateurs (CFAR) a, de son côté, mis au point une commission chargée de travailler spécifiquement sur la qualité de vie au travail, la commission smart (santé des médecins anesthésistes réanimateurs au travail). Les travaux de cette commission sont ouverts aux iade.

→ Plusieurs campagnes ont été menées pour limiter les risques psycho-sociaux, dont la plus récente, « 1patient 1équipe », a vocation à impliquer tous les professionnels dans la prévention des conflits aigus.

Plus d’informations sur : https://cfar.org/1patient1equipe