L’INVITÉ
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L’heure était à la défiance, au doigt pointé, aux adolescents derrière lui et lui contre moi. Pourtant, tout était si calme l’instant d’avant. Jules, un adolescent hospitalisé dans le service de pédopsychiatrie, était dans une grande souffrance autodestructrice. Les nombreuses scarifications sur ses avant-bras en étaient le signe évident. Méfiant, il construisait des murs contre lesquels nous nous heurtions, et derrière lesquels nous percevions un vide sans fond. Chaque jour, nous tentions de tisser un début de lien avec lui, en vain. C’était seulement avec les autres adolescents qu’il semblait à son aise. Mais, était-ce le début de cette nouvelle année ? Les jours qui s’éclaircissent enfin ? Cet après-midi-là, Jules avait soudain ouvert une brèche dans sa muraille et s’était confié à moi, à l’occasion d’une simple partie de ping-pong. Sans prévenir, il avait évoqué son père en prison depuis des années, sa mère peu présente, la violence de la vie et son désespoir.
Ainsi, pendant près d’une heure, suspendue dans le temps, nous avions parlé tous les deux. Puis, sa poignée de main avait été appuyée, confiante et reconnaissante, et ses derniers mots facétieux et bienveillants pour le pathétique pongiste que je suis. Enfin, nous étions liés. Du moins, je le croyais.
Car subitement vint le chaos. Le soir même, Jules, en meneur de troupe, guidait la mutinerie.
« Y en a marre de toi ! » hurlait-il.
Comment le sympathique jeune homme du ping-pong était-il devenu celui qui me menaçait ? Comment devais-je réagir ? Comment regagner calme et respect sans attiser les tensions ? Je me noyais dans une mer de questions dans mon esprit perdu quand Germaine, ma vieille collègue, venait à ma rescousse.
« Laisse-le faire, Christophe, ne réponds pas. Jules est un adolescent qui cherche encore qui il est. Il n’est pas le même seul avec toi ou au sein du groupe. Laisse-le trouver sa place auprès des siens sans réagir à ton tour au risque de l’humilier devant eux. Tu es le soignant, il est le patient. Tu ne dois ni le juger ni l’éduquer, ton devoir est de l’accompagner dans cette difficile période. Pour cela, aujourd’hui, absorbe son agressivité et efface-toi pour l’aider… » Ainsi, j’avais laissé faire, pour que résiste notre lien, pour qu’encore il puisse se confier, plus tard, seul avec moi et loin des autres. Germaine avait encore une fois raison, car le mur souple que j’avais construit à mon tour pour absorber ses attaques nous avait protégés lui et moi, en attendant la prochaine partie de ping-pong.