L'infirmière Magazine n° 412 du 01/02/2020

 

EXPRESSION LIBRE

Stéphane Moiroux  

Infirmier en établissement médico-social, dans le canton de Genève, membre du comité de rédaction de L’Infirmière magazine

Une meilleure reconnaissance de la formation, un nombre maximum de personnes soignées, la possibilité de réaliser des actes sans prescription médicale, des conditions d’exercice plus respectueuses des lois du travail, permettant de maintenir l’attractivité de la profession… Ces revendications si actuelles pour nous autres infirmiers français n’émanent pourtant pas de notre sol hexagonal. Elles sont scandées depuis un petit pays limitrophe que nous sommes loin d’imaginer comme le cœur d’une révolte soignante : la Suisse.

La Suisse est perçue comme un véritable “Eldorado” par les IDE d’Europe. Pourtant, l’autonomie et la reconnaissance attribuées à ce métier n’y sont pourtant pas si grandes. Les capacités de prise de décision et de liberté d’action restent centrées sur le corps médical, soutenu par le milieu des assurances maladie privées, grand décideur de la prise en charge des actes de soins et d’accompagnement dans ce pays ultra-libéral. Ainsi, il n’est par exemple pas possible, pour une infirmière, de proposer sans accord signé par le médecin des actes de soins corporels à ses patients à domicile.

C’est pourquoi, unies sous le slogan « une initiative pour des soins infirmiers forts », les IDE de l’Association suisse des infirmières (ASI) ont proposé une initiative populaire visant à améliorer les conditions de formation, de travail et d’autonomie de la profession. L’initiative populaire est l’un des piliers du système démocratique suisse. Chaque citoyen disposant du droit de vote peut déposer une initiative visant à modifier la constitution fédérale du pays. Ce projet doit récolter 100 000 signatures en moins de dix-huit mois pour être validé et proposé au Conseil fédéral. Dès lors, le gouvernement doit soumettre l’initiative, accompagnée ou non d’un contre-projet (contre-proposition reprenant une partie des revendications), au vote direct de la population.

Avec « une initiative pour des soins infirmiers forts », l’ASI a obtenu, en à peine dix mois, plus de 120 000 signatures. Cette performance notable pour une proposition du genre signifie clairement le soutien de la population à cette cause. Le 17 décembre dernier, le Conseil fédéral, tout d’abord opposé aux revendications portées par cette initiative, a déposé un contre-projet (une proposition de modification de la loi). Celui-ci reprend une partie des demandes de l’initiative de l’ASI, notamment celle de prescrire des actes de soins, renforçant ainsi le rôle propre infirmier, inexistant en Suisse à ce jour. Bien que la lutte pour la reconnaissance du métier et des infirmières ne soit pas terminée, cette décision est considérée par l’ASI comme un grand pas en avant pour des « soins infirmiers forts ».

Fermons les yeux. Imaginons un instant un mouvement infirmier tel qu’il existe aujourd’hui en France. Imaginons la possibilité d’amener une proposition de loi soutenue par la population. Imaginons un gouvernement tenu par la constitution de porter cette proposition au vote populaire. Imaginons un instant…