L'infirmière Magazine n° 412 du 01/02/2020

 

CARRIÈRE

GUIDE

Véronique Hunsinger  

Depuis le 1er janvier 2020, la réforme du « 100 % santé » ou « reste à charge zéro » pour les lunettes, les prothèses dentaires et les prothèses auditives, a franchi sa plus haute marche.

En juin 2018, le ministère de la Santé était parvenu à un accord avec l’Assurance maladie, les organismes complémentaires, les fabricants et les représentants des professions concernées, afin que tous les assurés puissent accéder à des lunettes, des prothèses dentaires et auditives sans aucun reste à charge. Cette réforme est entrée en vigueur de façon progressive depuis l’année dernière. Une marche importante a été franchie au 1er janvier, en attendant un déploiement complet du dispositif en 2021.

Qu’est-ce que le « reste à charge » ?

• Cette notion correspond à ce qu’il reste encore à payer par les assurés après le remboursement, d’une part de l’Assurance maladie et d’autre part de la complémentaire, qu’il s’agisse d’une mutuelle, d’une institution de prévoyance, d’une assurance privée ou encore de la complémentaire santé solidaire (le dispositif qui remplace depuis novembre 2019 la CMU-C et l’aide à la complémentaire santé).

• De manière globale, selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) du ministère de la Santé, le reste à charge des ménages était, en 2018, de 7 % de l’ensemble des dépenses de santé. Mais il atteint, en moyenne, 22 % du coût des lunettes, 43 % de celui des prothèses dentaires et 53 % de celui des prothèses auditives.

Des lunettes sans frais

Depuis le 1er janvier, la réforme du « 100 % santé » est entrée en vigueur dans le domaine de l’optique. Elle comprend deux volets.

→ Pour les montures, les assurés peuvent s’équiper sans reste à charge mais avec un choix limité. Les opticiens doivent leur proposer au moins 17 modèles différents de montures pour les adultes et 10 modèles pour les enfants, à chaque fois dans deux coloris différents et d’une valeur inférieure ou égale à 30 €. Si l’assuré souhaite une monture davantage à son goût, il ne pourra être remboursé au maximum que de 100 € contre 150 € auparavant.

→ Pour les verres, l’opticien devra proposer un équipement sans reste à charge, quelle que soit la correction. Ces verres doivent être obligatoirement amincis, durcis pour éviter les rayures, et traités contre les reflets. Il est possible de choisir des verres sans reste à charge et des montures à prix libres. Les prises en charge sont cependant limitées à une paire de lunettes tous les deux ans pour les assurés de 16 ans et plus, et tous les ans pour les moins de 16 ans, sauf en cas d’évolution des besoins de correction. Il est possible de mixer une offre à 100 % pour les verres avec une autre offre pour les montures et vice-versa.

Une partie des prothèses dentaires sans reste à charge

Depuis avril 2019, les chirurgiens-dentistes bénéficient de revalorisations sur un certain nombre de soins conservateurs. En échange de quoi, ils ont accepté que les soins prothétiques soient, en partie, plafonnés. Néanmoins, les implants dentaires ne sont pas du tout concernés par cette réforme. Concrètement, trois paniers de soins ont été mis en place.

→ Dans le premier, qui représente environ la moitié du marché actuel de la prothèse, les tarifs sont plafonnés et les assurés sont entièrement remboursés par l’Assurance maladie et la complémentaire. Il s’agit des couronnes céramiques monolithiques et céramo-métalliques sur les dents visibles (sur les incisives, canines et premières prémolaires), les couronnes céramiques monolithiques zircones (sur les incisives et canines), les couronnes métalliques (sur toutes les dents), les inlays-core et les couronnes transitoires, les bridges céramo-métalliques (incisives et canines), les bridges full zircon et métalliques (sur toutes les dents) ainsi que les prothèses amovibles à base résine.

→ Le deuxième panier comprend des prothèses à prix plafonnés mais dont le remboursement dépend des garanties offertes par la complémentaire. Ces deux premiers paniers représentent 70 % du marché.

→ Enfin, dans un troisième panier, les prix, les techniques et matériaux sont libres.

Des prothèses auditives mieux remboursées

Le chemin vers le reste à charge zéro pour les prothèses auditives se fait en plusieurs étapes. Deux paniers ont été mis en place.

→ Dans le premier, les prix des dispositifs ont été plafonnés et le remboursement par l’Assurance maladie a été augmenté. Ainsi, en 2019, le coût des aides auditives a diminué en moyenne de 200 € par rapport à l’année précédente, il baissera encore de 250 € cette année et l’absence de reste à charge sera garantie dès 2021. Tous les types d’appareils sont concernés : contour d’oreille classique, contour d’oreille à écouteur déporté et dispositifs intra-auriculaires. Les appareils doivent disposer de douze canaux de réglage pour assurer une adéquation de la correction au trouble auditif et un système permettant l’amplification des sons extérieurs restitués à hauteur d’au moins 30 dB. L’assuré doit pouvoir bénéficier de trente jours minimum d’essai de la prothèse auditive avant l’achat définitif. L’appareil doit être garanti au moins pendant quatre ans et comporter au moins trois des options suivantes : système anti-acouphène, connectivité sans fil, réducteur du bruit au vent, synchronisation binaurale, directivité microphonique adaptative, bande passante élargie supérieur à 6 000 Hz, fonction d’apprentissage de sonie ou dispositif anti-réverbation. Des prestations de suivi, au moins une fois par an, pour adapter en continu le réglage de l’appareil en fonction de l’évolution de la perte auditive doivent être proposées.

→ Dans le second panier, les tarifs sont libres, la base de remboursement par l’Assurance maladie est identique à celle du premier panier mais la prise en charge totale par l’Assurance maladie et la complémentaire ne doit pas dépasser 1 700 € par oreille.

Des devis plus clairs

→ Dans les trois domaines, les professionnels ont l’obligation de présenter à l’assuré un devis comprenant obligatoirement une proposition de traitement ou de dispositif entrant dans le cadre du panier « reste à charge zéro ».

De leur côté, les complémentaires se sont engagées à présenter des offres plus lisibles afin que les assurés puissent mieux faire des comparaisons entre les différentes garanties.

Ainsi, un tableau, comprenant des exemples de remboursement exprimés en euros et reprenant obligatoirement certaines prestations, doit désormais être communiqué au client. Un arrêté du 28 avril 2017 fixe les modèles de devis normalisés pour l’optique et prothèses auditives, qui distinguent notamment les prestations préalables et postérieures à la délivrance du produit (voir encadré p. 58).

Des cotisations en hausse

Le coût de la réforme du « reste à charge zéro » a été évalué par les pouvoirs publics à un milliard d’euros jusqu’en 2023, dont les trois quarts à la charge de l’Assurance maladie. Les complémentaires se sont engagées à absorber le coût que la réforme représente pour elles sans hausse de tarifs. En novembre, la Mutualité française a annoncé qu’en 2020 « les cotisations des mutuelles augmenteront dans les mêmes proportions que les années précédentes, c’est-à-dire en moyenne de 3 % par an ces dernières années », même si « des cas particuliers restent toujours possibles pour retrouver l’équilibre des contrats ».

Modèle de devis (extrait)

ANNEXE II.2 – DEVIS NORMALISÉ EN OPTIQUE MÉDICALE

(LENTILLES CORRECTRICES) (à délivrer au patient avant tout achat de lentilles correctrices) (article L. 165 du code de la sécurité sociale et L. 112-1 du code de la consommation)

Outre les prestations ci-dessus facturables par l’opticien, d’autres prestations sont associées à la délivrance de votre équipement et sont comprises dans le prix : conseils et évaluation de vos besoins, gestion administrative de votre dossier, conseil d’entretien et d’hygiène.

Autres informations pouvant figurer sur un document à part : prix par lentille, durée moyenne de vie des lentilles, coût annuel d’entretien des lentilles, acompte, conditions générales de vente, autres produits ou prestations non remboursables, etc.

(1) En plus de la garantie commerciale que peut proposer le professionnel, vous bénéficiez sur les produits délivrés de la garantie légale des vices cachés et de la garantie légale de conformité, conformément aux articles L. 217-4 et suivants du code de la consommation et 1641 et suivants du code civil.

SAVOIR PLUS

→ Décret n° 2019-21 du 11 janvier 2019 visant à garantir un accès sans reste à charge à certains équipements d’optique, aides auditives et soins prothétiques dentaires. À voir sur : bit.ly/34qWCn5

→ Arrêté du 22 mars 2019 relatif aux conditions de prise en charge au titre de la protection complémentaire en matière de santé pour les soins dentaires prothétiques ou d’orthopédie dento-faciale. À voir sur : bit.ly/2YRi8jP

→ Arrêté du 29 août 2019 modifiant l’arrêté du 28 avril 2017 relatif à l’information de l’assuré social ou de son ayant droit sur les conditions de vente des produits et prestations d’appareillage des déficients de l’ouïe et d’optique-lunetterie. À voir sur : bit.ly/2YSYbJ8

INTERVIEW

Maurice Ronat Président de l’Union nationale des organismes d’assurance maladie complémentaire (UNOCAM)

Que pensez-vous de la réforme du 100 % santé ?

• Pour le secteur de l’optique, la prise en charge des montures a été limitée mais un très gros effort a été fait sur les verres. Je pense que c’est un bon équilibre. Pour le dentaire, la difficulté est que certains praticiens disent qu’ils ne veulent plus poser de couronnes métalliques. Dans leur devis, ils devront néanmoins obligatoirement indiquer la possibilité d’un équipement à reste à charge zéro. Notre crainte est que les assurés, faute d’avoir été bien informés, ne fassent pas le choix du reste à charge zéro et, dans ce cas, l’objectif de la réforme ne serait pas complètement atteint.

Enfin, dans le domaine de l’audioprothèse, il y a actuellement un sous-équipement très important que la réforme va sans doute permettre de rattraper. Les audioprothésistes estiment que les appareils qui figurent dans le panier du reste à charge zéro, même s’ils ne se situent pas dans le haut de gamme, répondront probablement aux besoins de plus de 90% des assurés concernés.

Quel est l’impact de ces réformes sur les complémentaires ?

• Pour l’année qui vient de s’écouler et pour 2020, l’impact sera relativement modeste. Nous n’avons pas non plus constaté de reports de soins dentaires ou d’équipement de lunettes, dans l’attente de la mise en place de la réforme. J’ai plus d’inquiétude pour 2021, quand la réforme entrera entièrement en vigueur pour les prothèses auditives où les complémentaires vont prendre en charge une part très importante, même si la part de remboursement par l’Assurance maladie augmente également.

L’autre inconnue pour l’année prochaine est de savoir comment les professionnels de santé joueront le jeu. Mais dans tous les cas, les complémentaires sont prêtes.

Y aura-t-il des hausses de cotisations ?

• Cette année, les hausses de cotisations des complémentaires ont été modestes, de l’ordre de 2,4 % en moyenne. Nous ne pouvons pas encore prévoir pour 2021. Par ailleurs, je voudrais souligner que nous avons également tenu nos engagements sur la lisibilité des garanties de nos contrats pour les assurés.

Propos recueillis par V. H.