FORMATION
REVUE DE LA LITTÉRATURE
Agnès Lohues* Aurélie Rizzo** Valérie Delaide*** Valérie Berger**** Emmanuelle Cartron*****
*IDE service d’endocrinologie, diabétologie et maladies métaboliques, CHU de Limoges
**IDE service d’endocrinologie, diabétologie et maladies métaboliques, CHU de Limoges
***cadre de santé, service d’endocrinologie, diabétologie et maladies métaboliques, CHU de Limoges
****IDE, Ph. D., cadre supérieure de santé, coordonnatrice de la recherche en soins, CHU de Bordeaux, membre de la CNCPR, maître de conférence associé temporaire, université de Bordeaux.
*****IDE, Ph. Ds., coordonnatrice de la recherche en soins, CHU de Nantes, membre de la CNCPR.
L’hypoglycémie est une complication du diabète. Elle se manifeste par des symptômes autonomes ou neuro-glycopéniques, une faible glycémie [< 4,0 mmol/l (0,70 g/l)] et une disparition des symptômes après l’administration de glucides. La gravité de l’hypoglycémie est évaluée selon les manifestations cliniques(1).
Le Joint British Diabetes Societies for In-Patient Care (JBDS-IP) classe les hypoglycémies en trois niveaux(2) :
– hypoglycémie légère : la personne est consciente, orientée et capable d’avaler ;
– hypoglycémie modérée : la personne est consciente et capable d’avaler mais elle est confuse, désorientée et parfois agressive;
– hypoglycémie sévère : la personne est inconsciente ou dans l’incapacité de déglutir, c’est une urgence médicale.
Ces épisodes iatrogènes altèrent la qualité de vie du patient. Ils conduisent à une diminution de l’observance et à la mise en place de stratégies d’évitement (sous-dosage de l’insuline, compensations glucidiques inappropriées, privation d’activité physique…)(3). À plus ou moins long terme, cela entraîne des complications liées au diabète(4).
Les évènements hypoglycémiques répétés peuvent conduire à des hypoglycémies sans réponse adrénergique qui vont affecter la perception des sensations d’hypoglycémie par la suite, l’hypoglycemia awareness adrenergic failure (HAAF)(5).
Le rapport 2017 du National Diabetes In-Patient Audit (NaDIA) montre que près d’une personne diabétique sur cinq souffre d’épisodes d’hypoglycémie pendant son séjour à l’hôpital, conséquence d’un changement des traitements, parfois d’un ajustement difficile de l’insulinothérapie, des épisodes de jeun, d’une modification des habitudes alimentaires et de l’activité (études menées en Angleterre et au Pays de Galles)(3).
Face à une hypoglycémie, plusieurs éléments interviennent dans la prise de décision de l’infirmière ou de l’aide-soignante : le moment de l’hypoglycémie, l’activité prévue, le type de “resucrage”, la cause et le seuil de l’hypoglycémie. Elle intervient, dans la limite de ses compétences et en étroite collaboration avec le médecin, mais parfois de façon hésitante, tant sur la qualité que sur la quantité de glucides à donner. Souvent, le caractère semi urgent l’amène à donner rapidement les premiers aliments sucrés trouvés, avec le risque de sous ou de sur-traiter(5). Cette gestion “approximative” peut avoir des conséquences sur la santé du patient (chute, prolongation du séjour, anxiété), mais aussi économiques (3,4). Ce contexte nous a conduites à nous poser la question suivante : existe-t-il des recommandations nationales permettant de guider les infirmières lors d’épisodes d’hypoglycémie de niveau 1 ou 2 ?
Une revue de littérature a été réalisée et s’est portée sur une recherche de données probantes en français et en anglais, par la consultation des sociétés savantes en diabétologie (Société francophone du diabète (SFD), American Diabetes Association (ADA) et la bibliothèque Cochrane). Nous avons contacté par mail la SFD, qui nous a orientées vers les recommandations internationales.
→ Les mots clés choisis ont été traduits en anglais via HeTop (www.hetop.eu) selon le thésaurus de référence Medical Subjet Heading (MESH terms), et des équations de recherche ont été saisies dans Pubmed (www.ncbi.nlm.nih.gov).
Plusieurs équations ont été testées :
(« hypoglycemia » [MESH] AND « nursing » [MESH]), puis (« hypoglycaemia » [MESH] AND « nursing » [MESH] OR « management » [MESH] AND « adult » [MESH] NOT « child » [MESH])
→ Les critères de non-sélection des articles étaient :
– la date de publication ;
– la population ciblée, les soins critiques et pédiatriques, les patients en fin de vie ;
– les effets particuliers des traitements et les schémas thérapeutiques, les articles destinés davantage à la profession médicale.
→ L’étape suivante a été l’analyse de contenu et la plus-value scientifique de chaque document. Les références bibliographiques ont été consultées pour repérer les documents ou les auteurs référents sur le thème, recherchés ensuite sur Google Scholar et/ou Pubmed.
Un total de 3102 articles a été identifié puis, après ajout de filtres (date de publication, type d’articles), seuls 120 ont été considérés comme pertinents, dont 35 qui ont été sélectionnés sur leur titre. Après lecture des résumés, 18 ont été retenus (voir « Diagramme de flux » ci-contre).
Les résultats montrent une littérature essentiellement anglo-saxonne, avec des recommandations basées sur des études antérieures à l’année 2000 et des guidelines internationaux pour les équipes soignantes, avec des conseils clairs pour la gestion de l’hypoglycémie à l’hôpital. Les sociétés savantes ont publié récemment sur ce sujet(6).
Les recommandations portent sur le traitement sans délai pour tous les patients présentant une hypoglycémie (2,7). Devant des symptômes d’hypoglycémie (fatigue, tremblements, sueurs, malaise…), il convient de réaliser un contrôle glycémique.
→ Les seuils de l’hypoglycémie. Selon la SFD, l’hypoglycémie se définit par une glycémie inférieure ou égale à 0,60 g de glucose par litre de sang(8), l’ADA et The Endocrine Society donnent un seuil à 0,70 g de glucose par litre(6).
Toujours selon la SFD, un objectif glycémique moins strict est posé pour les patients âgés ou à haut risque cardiovasculaire. Unger préconise de compenser, dès les premiers signes ressentis par le patient, même avec une glycémie supérieure à 0,70 g/l, afin de ne pas développer chez le patient une hyperglycémie réactionnelle(4).
→ Comment compenser ? Le type de “resucrage” dépend du niveau de l’hypoglycémie, et des capacités de déglutition du patient(2).
• Selon la SFD, le traitement immédiat de l’hypoglycémie repose sur le “resucrage” avec 15 à 20 g de glucides, le contrôle de la glycémie et l’arrêt de toute activité. Cette quantité de sucre fait remonter la glycémie d’environ 0,50 g/l(8). mater et al. donnent quelques notions pratiques(9) :
– un liquide passe plus vite ;
– un produit hydraté s’avale mieux en cas de bouche sèche ;
– une présentation en conditionnement individuel non périssable de 15 à 20 g de glucides se conserve et se transporte mieux.
La SFD conseille :
– deux sachets de sucre vanillé (20 g) ;
– trois à quatre carrés de sucre (n° 4) ;
– deux dosettes de sirop de fruits ;
– un sachet individuel de confiture ou de miel ;
– une “gourde” avec bouchon ou briquette de jus de fruit (20 cl) ;
– une barre de céréales ou une pâte de fruit (30 g) ;
– un sachet individuel de gâteaux secs (30 g) ;
– une barre chocolatée (30 g) ;
– trois à quatre tablettes de dextrose (glucose) utilisées chez le sportif ;
– un soda en canette (33 cl) = 35 g de glucides ;
– des mini bonbons en sachet individuel (30 g) = 30 g de glucides(8).
• Les recommandations australiennes, canadiennes et américaines se basent sur 15 g (6, 9, 11). Unger propose une formule pour calculer la quantité de glucides nécessaire selon la glycémie de départ : (100 – glycémie en mg) × 0,2 = grammes de glucides(4).
Certains aliments riches en gras (comme une barre chocolatée) ne sont pas recommandés, car ils peuvent retarder l’absorption du glucose et ralentir le retour à la normale de la glycémie(12). Le lait concentré et le jus d’orange font augmenter la glycémie moins vite et soulagent les symptômes plus lentement(13). Le jus d’orange (qui contient du fructose) reste un produit populaire en traitement de l’hypoglycémie, mais n’est peut-être pas le plus efficace chez les adultes atteints de DT1. Brodows et al. ont signalé qu’il fallait presque le double de jus d’orange pour produire une augmentation similaire par rapport aux comprimés de glucose(14).
→ Les voies d’administration. Il n’y a pas de recommandations françaises. Les directives actuelles basées sur des études de faible niveau de preuve, orientent vers une absorption de sucre par voie orale, plutôt que sublinguale (effet plus rapide). L’utilisation de gel, qui combine les voix orale et buccale, n’offre pas de meilleurs résultats, et peut-être réservée aux personnes avec des troubles cognitifs et des difficultés à déglutir(13).
→ Le contrôle. Plusieurs études ont examiné l’intervalle de temps entre le traitement et le nouveau test pour confirmer la résolution de l’hypoglycémie. Tous sont favorables pour un intervalle minimum d’au moins dix minutes avant de refaire le test (2,7). Répéter un apport en glucides toutes les cinq à dix minutes ne donnerait pas le temps nécessaire à l’absorption digestive, conduisant ainsi à un traitement excessif (4).
Si le patient ne se sent pas mieux après dix à quinze minutes ou que la glycémie reste inférieure à 0,7 g/l, il est préconisé de reprendre 15 g de glucide à action rapide(2). Le message simple « 15/15 » pour 15 g de glucides et contrôle à quinze minutes, peut être un outil facile à comprendre et à transmettre. Une fois que la glycémie revient à la normale, le patient doit prendre une petite collation si le prochain repas est dans une à deux heures, afin de limiter l’hyperglycémie réactionnelle(6).
L’hypoglycémie est un enjeu majeur du suivi du patient diabétique. Les différents seuils utilisés dans la littérature, la diversité des symptômes et leurs conséquences rendent difficile la gestion des épisodes à l’hôpital. Cette dernière varie d’un hôpital à l’autre (7). Les quantités de glucides à action rapide requises pour traiter un épisode d’hypoglycémie, résultent d’un consensus d’experts, étayé par des études peu nombreuses et anciennes. Le taux de glucides recommandé est consensuel mais se décline sous différentes formes selon les cultures avec, dans les pays anglo-saxons, l’utilisation de tablettes de glucose, peu utilisées en France. Devant l’offre commerciale alimentaire actuelle, il est indispensable de consulter le taux de glucides indiqué sur chaque produit.
En France, il n’y a pas de recommandations claires. Alors que l’ensemble des réflexions insistent sur l’importance d’harmoniser les pratiques, notre questionnement de départ reste sans véritable réponse. Il ressort cependant la nécessité de spécifier, pour tous les patients diabétiques, le seuil d’hypoglycémie pour compensation, afin de guider le patient et les professionnels. À l’ère du numérique, il est intéressant que cette donnée soit renseignée et accessible pour tous les intervenants professionnels.
La prévention des hypoglycémies est essentielle dans la prise en soins des patients diabétiques. Le rôle du soignant sera de délivrer les messages adaptés, par le biais de l’éducation thérapeutique, ainsi que la quantité et la qualité des glucides pour le “resucrage”. De nombreux hôpitaux britanniques ont mis en place ce qu’ils appellent familièrement les « boîtes hypo », des boîtes dans lesquelles tout l’équipement nécessaire pour traiter l’hypoglycémie est rassemblé. De couleur vive, elles sont stockées dans un endroit facilement accessible (2,7).
Un protocole de gestion standardisée de l’hypoglycémie, pour chaque secteur hospitalier recommandé par l’ADA (voir le modèle du Medical University of South Carolina, 2011), associé à une formation du personnel paramédical, est indispensable pour rassurer les équipes (7, 16). Avec The Canadian Diabetes Association, l’ADA propose qu’un plan de prévention et de traitement de l’hypoglycémie soit établi pour chaque patient, et tracé dans le dossier médical (6, 16). Cette revue de la littérature a permis de repérer des pistes de réflexion et d’amélioration des pratiques paramédicales, et ainsi d’envisager un plan d’action dans le secteur d’endocrinologie afin de sécuriser la gestion des épisodes d’hypoglycémie de jour comme de nuit. Elle montre également un manque de preuves solides sur lesquelles s’appuyer pour une harmonisation des pratiques au niveau national.
Chaque mois, une infirmière réalise une revue de la littérature à partir d’un questionnement sur sa pratique et vous livre le résultat de ses recherches.
En partenariat avec : la commission nationale des coordonnateurs paramédicaux de la recherche