FAUT-IL METTRE EN PLACE UN NUMÉRO UNIQUE ? - L'Infirmière Magazine n° 413 du 01/03/2020 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 413 du 01/03/2020

 

URGENCES DE SANTÉ

ACTUALITÉS

REGARDS CROISÉS

HÉLÈNE COLAU  

Dans la perspective d’une réforme de l’organisation des soins urgents et non programmés, la création d’un numéro unique pour les urgences de santé est envisagée. Soutenu par le ministère de la Santé, le 113 pourrait être en service dès juin.

Dr Agnès Ricard-Hibon

« Éviter les admissions non justifiées »

Quel serait l’intérêt de créer un numéro unique pour les urgences de santé ?

Le principal intérêt est d’offrir aux patients une meilleure lisibilité entre urgences vitales et non vitales. Aujourd’hui, il existe pas moins de quatorze numéros d’urgence ! Et certains patients n’osent pas composer le 15 car ils ne veulent pas encombrer les services de secours. Or, un simple mal de ventre peut être le signe d’une pathologie grave… De même, des palpitations correspondent parfois à une crise d’angoisse, mais ce peut aussi être le signe d’une embolie pulmonaire. Il est impossible, pour un patient, de s’autodiagnostiquer. En Angleterre, où la question a bien été étudiée, plus d’un patient sur dix se trompe dans l’évaluation de l’urgence de sa situation de santé.

C’est pourquoi il est nécessaire que ce soient des professionnels de santé qui décrochent. Les premiers mots de l’appelant sont très importants pour l’évaluation des problèmes de santé. Tout intermédiaire peut entraîner une perte ou une distraction des informations, car les patients ne vont pas forcément répéter des propos qu’ils ont déjà tenus.

Qu’ont à y gagner les établissements de santé et le personnel soignant ?

D’abord, le 113 déchargerait les pompiers d’appels qui ne leur sont pas destinés : actuellement, sur les 31 millions d’appels reçus chaque année par le Samu, 12 millions ont été rebasculés depuis le 18 ou le 112… Ensuite, si l’on envoyait tous les appels sur le 112, cela engendrerait énormément de départs de pompiers réflexes, car le principe de précaution prévaudrait. C’est ce qui se passe dans les pays qui ont opté pour ce type d’organisation : en Allemagne, un appel sur deux fait l’objet d’un engagement d’ambulance. Je reviens tout juste du Canada et là-bas, sur 300 000 appels, on compte 280 000 départs aux urgences… Les hôpitaux français n’ont vraiment pas besoin d’une telle inflation des arrivées dans les services d’urgences ! La mise en place du 113 permettrait un tri préhospitalier qui éviterait les admissions non justifiées.

Comment ce numéro unique de santé s’articulerait-il avec le service d’accès aux soins (SAS) voulu par le ministère de la Santé ?

La mise en place du 113 est le seul projet, parmi ceux proposés par la mission interministérielle Marcus, qui soit compatible avec le SAS, à savoir une plateforme opérationnelle sept jours sur sept, vingtquatre heures sur vingt-quatre, cogérée par les médecins urgentistes et de ville.

Les médecins traitants ne seront pas court-circuités mais s’ils ne sont pas disponibles, les patients pourront composer ce numéro.

Là, des assistants de régulation décrocheront et opéreront un tri, une priorisation et une orientation vers les urgences ou une prise en charge en ville, selon les besoins.

Si l’on gardait uniquement le numéro 112, comme le souhaitent les sapeurs-pompiers, cela reviendrait à demander aux patients de faire ce tri eux-mêmes.

Fatalement, il y aurait trop d’interventions de pompiers et une fois que ce processus est lancé, il devient très difficile d’expliquer aux patients qu’en fait, une prise en charge en ville serait plus indiquée pour eux.

Dr Jacques Battistoni

« Un retard dans la prise en charge »

La création d’un numéro unique consacré aux urgences de santé vous paraît-elle utile ?

Non ! Ce n’est pas utile et cela ne correspond pas au choix de l’ensemble des syndicats de médecins libéraux. Car notre objectif prioritaire est que les patients identifient mieux les soins de ville et ce qui fait leur spécificité. Il existe déjà un numéro pour cela : le 116-117. Si on met en place le numéro unique, c’est exactement le contraire qui se produira : on va mélanger ce qui nécessite une intervention en ur gence et ce qui relève du conseil, du ressort du médecin de ville. Par ailleurs, il existe déjà un nu méro unique dédié aux urgences de santé : c’est le 15, qui est actuellement surchargé d’appels ne relevant pas vraiment d’une urgence. Nous estimons que cela crée un retard dans la prise en charge, car le temps de décroché est très long en raison de la multitude d’appels regroupés à ce numéro.

Les partisans du 113 insistent sur l’importance de l’orientation des patients par des personnes qualifiées…

On a avancé le chiffre de 8 % de patients qui se tromperaient, estimant à tort que leur cas ne relève pas d’une urgence vitale, ce qui engendre pour eux une perte de chance. Mais nous contestons formellement ce chiffre, appuyés par des confrères des services d’urgences qui le trouvent très surestimé. Évidemment que les patients font un choix lorsqu’ils décident d’appeler leur médecin traitant et non le Samu, sinon tout le monde finirait à l’hôpital ! Ils ne pratiquent pas pour autant l’autodiagnostic massif… Il ne faut pas prendre les gens pour des imbéciles, ils ont le bon sens de savoir qu’on ne meurt pas d’un simple mal de gorge. Il nous semble fondamental qu’à l’avenir, les patients gardent ce réflexe de ne pas appeler systématiquement les urgences, au 15 ou au 113.

Votre projet est-il compatible avec le service d’accès aux soins (SAS) ?

Nous sommes tout à fait en faveur de la création d’une plateforme d’organisation des soins ambulatoires, impliquant un opérateur de soins non programmés spécifiquement formé et un médecin régulateur. Ceux-ci auraient accès aux agendas des médecins libéraux, vers lesquels ils pourraient orienter une partie des patients. Mais pour que cela fonctionne, il faudrait déjà s’assurer que la gouvernance de cette plateforme soit partagée équitablement entre les établissements de santé, le Samu et les médecins libéraux. Ensuite, dans cette optique, la mise en place du 113 n’est pas la question essentielle. Car qu’est-ce que ce numéro unique ? Un premier niveau de tri à partir duquel les appels sont basculés soit vers des services d’urgences, soit vers une structure de soins non programmés. Il faudrait donc que cette plateforme s’appuie sur une véritable organisation territoriale des soins non programmés, à l’échelon du département par exemple, mise en place par les communautés profes sionnelles territoriales de santé (CPTS). Pour cela, il faudrait mettre les moyens : le rapport « Pour un pacte de refondation des urgences » chiffre le coût de cette organisation à 147,7 millions d’euros pour toute la France. Ce n’est pas si cher que cela, sachant que ce serait un outil très performant. Pourtant, à ce jour, il n’y a pas de financement !

DR AGNÈS RICARD-HIBON

PRÉSIDENTE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE DE MÉDECINE D’URGENCE (SFMU)

→ 1998-2012 : médecin responsable de structure d’urgence Smur au sein des Hôpitaux universitaires Paris-Nord-Val-de-Seine (AP-HP)

→ 2009-2012 : présidente de la commission scientifique de la SFMU

→ Depuis 2013 : chef de service de structure d’urgence au GHT Nord-Ouest-Vexin-Val-d’Oise

→ Juin 2017 : devient présidente de la SFMU

DR JACQUES BATTISTONI

PRÉSIDENT DU SYNDICAT DE MÉDECINS GÉNÉRALISTES MG FRANCE

→ Avril 1988 : installation en médecine générale à Ifs (14)

→ 2000-2015 : élu MG France à l’Union régionale des médecins libéraux de Basse-Normandie

→ 2010-2016 : secrétaire général du syndicat MG France, premier syndicat des médecins généralistes

→ Depuis 2018 : président du syndicat MG France et vice-président de l’association des professionnels de santé d’Ifs

POINTS CLÉS

→ Le gouvernement devrait se prononcer dans les prochains jours sur la création d’un numéro de téléphone unique destiné à prendre en charge tous les appels pour soins urgents et non programmés. Cela fait suite au rapport « Pour un pacte de refondation des urgences », remis en décembre dernier par le président du Conseil national de l’urgence hospitalière, Pierre Carli, et le député LREM Thomas Mesnier. Celui-ci propose de créer un service d’accès aux soins (SAS) autour d’une plateforme et d’un numéro santé unique, le 113.

→ Dans son rapport remis à la même période, la mission de Modernisation de l’accessibilité et de la réception des communications d’urgence pour la sécurité, la santé et les secours (Marcus), elle, préconise de dissocier le service d’accès aux soins (113) des secours sécurité (112).

→ Si le principe du numéro unique est adopté, le 113 remplacerait le 15 (Samu), le 116-117 (médecin de garde) et une partie du 112 (appels d’urgence). Mais la mesure ne fait pas consensus, les pompiers souhaitant par exemple conserver comme seul numéro des services de secours le 112, en complément du 116-117.