L’accompagnement infirmier - L'Infirmière Magazine n° 413 du 01/03/2020 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 413 du 01/03/2020

 

FORMATION

PRISE EN CHARGE

A.-G. M.  

Lors de la prise en charge d’un cancer du poumon, le rôle de l’infirmière s’exerce depuis l’accueil du patient jusqu’à la coordination ville-hôpital, en coopération avec les autres professionnels de santé.

L’équipe infirmière est très complémentaire de l’accompagnement médical dans tout le parcours du patient atteint d’un cancer du poumon », estime Lauren Montange, cadre de santé en hospitalisation dans le service de pneumologie du CHU de Lyon-Sud. L’IDE est en effet présente dès l’accueil du patient qui vient pour un bilan dans le cadre du diagnostic. Elle explique les examens (fibroscopie, écho-endoscopie, etc.) et répond aux questions du patient. Elle est aussi là après la consultation d’annonce du diagnostic et peut réexpliquer au patient ce qu’il n’a pas compris ou retenu lors de ce moment émotionnellement très fort. L’IDE a également un rôle de lien très important entre le patient, la famille et le médecin, pour reformuler les explications médicales et vérifier les connais sances du patient sur la maladie. « Parfois, les patients n’osent pas exprimer leurs incompréhensions devant le médecin et hésitent moins à le faire devant l’infirmière, observe Lauren Montange, qui note qu’elle reste leur interlocuteur privilégié.

Travail en équipe

C’est le cas par exemple de Laure Biron, infirmière de parcours de soins DIRECT (Diagnostic rapide des cancers du thorax) au CHU de Lyon-Sud, qui intervient « dès lors qu’il y a une suspicion de cancer jusqu’à l’annonce du diagnostic », explique-t-elle. Elle travaille systématiquement en équipe avec les assistantes médico-administratives et le médecin. Elle organise la prise en charge des examens, explique leur déroulement aux patients. « Souvent, les patients sont un peu noyés sous le flot d’informations et ma mission est de les accompagner. Je reprends des éléments pratico-pratiques concernant par exemple leur prise de sang, les ordonnances, les examens, le tout en personnalisant au maximum la prise en charge, en tenant compte de leurs contraintes personnelles et familiales. C’est important qu’ils se sentent accompagnés dans cette période extrêmement angoissante », détaille-t-elle. L’infirmière est leur référente pour le début de leur prise en charge et elle leur remet ses coordonnées téléphoniques et son mail pour qu’ils puissent la joindre en cas de besoin. Laure Biron travaille en lien avec les médecins, les autres infirmières et les aides-soignants du plateau qui pratiquent notamment la fibroscopie, mais aussi avec les différents intervenants comme la psychologue, l’assistante sociale ou la diététicienne. Elle peut aussi solliciter la socio-esthéticienne ou les encadrants de l’activité physique adaptée à l’hôpital.

Mission de coordination

Lorsque le cancer est identifié et qu’il faut commencer un traitement à l’hôpital de jour, c’est Patricia Meillat, IDE régulatrice, qui prend le relais. « Je gère le planning des patients, je réponds à leurs appels et j’organise les cures », indique-t-elle. Elle passe aussi beaucoup de temps avec les patients qui sont à la maison, pour répondre à leurs questions sur les effets secondaires et elle transmet leurs interrogations au médecin si nécessaire. Elle prend également les rendez-vous de consultation avec les médecins spécialistes en fonction des besoins. « J’ai un rôle de coordination. Lorsque le patient arrive en hôpital de jour, il est accueilli par les infirmières et aides-soignantes et il est installé en chambre avant de voir le médecin du service. La psychologue et l’assistante sociale m’appellent régulièrement pour savoir si les patients sont encore dans le service, développe Patricia Meillat. Je peux aussi les contacter si le patient en a besoin. Je peux également être amenée à appeler l’équipe mobile de soins palliatifs pour qu’ils interviennent à la demande du médecin. »

Rôle sur le terrain et au bureau

Lorsque les patients poursuivent leur traitement à domicile, c’est Agnès Augros, infirmière coordinatrice ville-hôpital, qui surveille la toxicité des traitements. « Je vérifie que le patient a un maintien à domicile dans les meilleures conditions et je travaille à éviter qu’il repasse par les urgences », explique-t-elle. Parmi les 350 patients qu’elle suit chaque année en pneumologie et en dermatologie, très peu reviennent aux urgences. Elle téléphone aux patients une à plusieurs fois par semaine en fonction des besoins afin de faire le point avec eux sur les toxicités dues aux traitements. Elle est en relation avec l’hospitalisation à domicile de Lyon, les services de soins à domicile, les pharmaciens d’officine, les infirmières libérales ou encore les prestataires. « Mon rôle est à la fois sur le terrain puisque que je vais voir les patients quand ils sont en chimiothérapie, et à la fois dans mon bureau pour les appeler chez eux », résume Agnès Augros.

LOGICIELS DE TÉLÉSURVEILLANCE

Mieux suivre les patients

→ Le 9 avril 2019, la Haute Autorité de santé (HAS) a rendu un avis favorable à la prise en charge par l’Assurance maladie de Moovcare, une application qui permet de détecter précocement les risques de rechute et de complications chez les patients atteints d’un cancer du poumon. Chaque semaine, Moovcare envoie au patient un e-mail qui l’invite à remplir un questionnaire sur ordinateur, tablette ou téléphone mobile. Il comporte cinq questions évaluant la présence d’un symptôme (oui/non) : fièvre au moins égale à 38,2 °C, gonflement brutal du visage, apparition d’une boule sous la peau, changement de la voix, apparition ou augmentation du sang dans les crachats. Six autres questions évaluent la gravité d’un symptôme (scores cotés de 0 à 3) : perte d’appétit, sensation de faiblesse, douleur, toux, essoufflement, déprime. Le logiciel analyse les réponses et émet automatiquement une alerte transmise au médecin spécialiste référent si un risque de récidive ou de complications est détecté. Selon les études cliniques, les utilisateurs de l’application vivent en moyenne 7,6 mois de plus que les patients bénéficiant du suivi classique comprenant des consultations et scanners réguliers.

→ Aux Hospices civils de Lyon, les soignants proposent aux patients l’application Immucare, qui prévoit également un questionnaire hebdomadaire avec 11 symptômes et un curseur permettant de donner une note de 0 à 5. Un score vert, orange ou rouge arrive à l’infirmière coordinatrice ville-hôpital, qui peut alors appeler le patient s’il est dans l’orange ou le rouge et proposer une prise en charge adaptée.

INTERVIEW

« L’ANNONCE D’UN CANCER DU POUMON EST UN MOMENT TRAUMATISANT OU TOUT S’EFFONDRE »

Séverine Torrecillas, psychologue dans le service de pneumologie du CHU de Lyon-Sud, revient sur son rôle tant auprès des patients souffrant d’un cancer du poumon que des soignants.

L’INFIRMIERE MAGAZINE : Quelles sont les principales craintes des patients atteints d’un cancer du poumon ?

SEVERINE TORRECILLAS : L’annonce d’un cancer du poumon est vécue comme une condamnation à mort ou une condamnation à mal vivre. Cette mauvaise nouvelle ébranle les personnes au plus profond d’elles-mêmes et engendre des bouleversements auxquels elles ne sont pas préparées, ainsi qu’une nouvelle façon de vivre dont elles ne maîtrisent plus rien. Les craintes ressenties peuvent être multiples, comme la peur des conséquences physiques et psychologiques (peur de ne pas arriver à faire face, de ne plus être le même physiquement), la peur des traitements et de leurs effets secondaires, de l’altération de l’image corporelle (lobectomie, alopécie, perte de poids importante), de faire souffrir leurs proches et de devenir un poids pour leur famille, l’angoisse à l’égard de leur situation professionnelle et sociale, mais aussi la peur du regard des autres. Pour les patients atteints d’un cancer du poumon vient s’ajouter la crainte de devenir oxygénodépendant, d’avoir du mal à respirer et de mourir étouffé.

Comment se déroule l’accompagnement psychologique ?

S. T. : La prise en charge psychologique du patient en service hospitalier est un travail d’équipe que l’on mène tout au long de la maladie et qui est essentiel. L’annonce d’un cancer du poumon est un moment traumatisant où tout s’effondre, les projets, le travail, l’insouciance… Tout s’arrête… Ce choc génère un abcès émotionnel qu’il va falloir vider en aidant les patients à exprimer leurs craintes et leurs difficultés. Nous leur proposons donc un accompagnement de soutien. Un grand nombre de nos interventions portent sur les représentations qu’ils peuvent avoir d’euxmêmes et sur les bouleversements qu’ils vivent en lien avec la maladie. Nous les aidons à comprendre leurs propres réactions et celles de leurs proches, à apprivoiser leurs peurs et à prendre de la distance avec celles-ci pour remettre des envies et des projets dans leur vie. Nous leur proposons un lieu de parole en dehors de la famille où ils pourront librement exprimer les craintes et les interrogations qu’ils n’osent parfois pas aborder avec leurs proches, qui les poussent souvent à être dans une logique combative où il faut être fort, se battre et, surtout, garder le moral ! Nous sommes là également pour accompagner les familles qui se sentent souvent bien démunies et impuissantes.

L’I. M. : Un suivi psychologique est-il prévu pour les équipes soignantes ?

S. T. : Mon travail s’effectue principalement auprès des patients et des familles, mais j’accompagne et soutiens également les équipes soignantes au quotidien. La confrontation à la maladie et à la mort est loin d’être anodine et peut réveiller en chacun de nous des blessures personnelles qui peuvent faire obstacle à la communication. Il est donc important de pouvoir en parler librement sans avoir peur du jugement. Le fait de communiquer entre nous est primordial. Cela nous permet de prendre du recul par rapport aux situations qui nous ont bouleversés et de nous sentir moins débordés émotionnellement après en avoir parlé. C’est un moteur positif pour les équipes.

L’I. M. : Vous avez participé à la création de la première association de patients atteints d’un cancer du poumon en France. Quels sont ses objectifs ?

S. T. : Poussés par des médecins de l’hôpital Lyon-Sud, nous avons créé en février 2018, avec quelques patients et une aidante, la première association de malades atteints d’un cancer du poumon en France, que nous avons appelée De l’air. L’objectif premier de cette association est d’obtenir la mise en place, en France, d’un dépistage de ce cancer souvent diagnostiqué tardivement. Nous organisons des événements pour promouvoir la prévention. Nous apportons aux soignants l’expertise des patients en étant notamment relecteurs de protocoles d’essais cliniques pour la Ligue contre le cancer. Nous informons le grand public sur les causes, les symptômes et les traitements, par le biais de conférences et d’informations médicales sur notre site et nos réseaux sociaux, la rédaction d’une bande dessinée et d’un livre de recettes adaptées aux personnes en cours de traitement. Nous offrons un temps de parole et de soutien aux patients et aux aidants à l’occasion de cafés rencontres ou de manifestations sportives que nous organisons régulièrement.

Enfin, nous soutenons la recherche en lançant des appels à projet pour financer des travaux de recherche en oncologie thoracique ainsi que des projets visant à améliorer le bien-être des patients.

PROPOS RECUEILLIS PAR A.-G. M.