LES DROGUES, QUELLES PLAIES ! - L'Infirmière Magazine n° 413 du 01/03/2020 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 413 du 01/03/2020

 

TOXICOMANIE

ACTUALITÉS

COLLOQUES

CAROLINE BOUHALA  

Les manifestations dermatologiques sont l’une des complications de la toxicomanie. Elles prennent la forme de plaies à la prise en charge complexe. Le point avec Amélie Schoeffler et Hélène Martin, dermatologues, intervenues aux Journées cicatrisations 2020.

On oublie bien souvent que les manifestations dermatologiques font partie de la longue liste des complications de la toxicomanie », a rappelé Amélie Schoeffler, dermatologue au CHR de Metz-Thionville (57), lors des Journées cicatrisations, qui ont eu lieu du 26 au 28 janvier au Palais des congrès de Paris. « Or, selon elle, ces plaies sont très fréquentes et concernent 60 à 86 % des usagers de drogue. » Parmi les produits illicites, le cannabis, la cocaïne et l’héroïne, « sont les principaux pourvoyeurs de complications dermatologiques », ajoute Hélène Martin, son homologue dans le même établissement. Toutes deux ont publié une étude(1), en 2019, qui analyse les caractéristiques des plaies chroniques chez les toxicomanes. Ces manifestations dermatologiques sont importantes à rechercher car elles sont parfois pathognomoniques, particulièrement chez les toxicomanes injecteurs, et permettent ainsi de suspecter une toxicomanie rarement avouée par le patient.

Des particularités à connaître

Peu d’études existent dans la littérature mais on estime qu’environ 15 % des toxicomanes présentent des plaies de jambe. Ces plaies concernent majoritairement une population masculine, avec une moyenne d’âge autour de 40 ans.

« Les plaies aiguës sont essentiellement le fait de toxicomanies intraveineuses, précise le Dr Schoeffler. Elles se situent soit au regard du site d’injection, soit en aval, et souvent, ce sont des ulcères à la localisation atypique, car les toxicomanes commencent par les injections dans les membres supérieurs puis les membres inférieurs, puis en intra-artériel, en SC, en IM, etc. » Elles surviennent généralement dans les heures qui suivent l’injection, et ce sont souvent des manifestations ischémiques, donc associées à une douleur intense, une abolition du pouls, une cyanose, une nécrose, etc.

Les plaies chroniques sont aussi principalement observées lors de toxicomanies intraveineuses (IV), (dans 80 % des cas). « Quand vous avez un ulcère chronique chez un homme jeune, il faut chercher une cause rare, parmi lesquelles figure la toxicomanie, recommande Hélène Martin. Si en plus, vous avez une localisation atypique, cela doit faire tilt. » À noter « qu’il y a à peu près dix fois plus de risque de faire des ulcères chroniques après une IV dans les jambes que dans les bras, explique le médecin. Elles sont essentiellement liées à l’insuffisance veino-lymphatique, une complication connue de la toxicomanie IV. D’autres mécanismes physiopathologiques peuvent être en cause : la chronicisation des plaies aiguës, une atteinte micro-circulatoire ou des vascularites. »

Dans le cas de toxicomanies inhalées, les plaies sont très différentes. Majoritairement situées au niveau des extrémités (55 % aux pieds), elles sont nécrotiques dans 100 % des cas, de petite taille et dans un contexte d’artériopathie clinique (90 % des cas).

Une prise en charge compliquée

Les toxicomanes sont des patients particulièrement difficiles à prendre en charge. « Ils ont des plaies récidivantes dans quasiment un cas sur deux, qui évoluent depuis plus d’un an, et on a presque un tiers de ces personnes perdues de vue, ce qui est énorme », partage Hélène Martin. « Ils ont comme spécificité de s’injecter la drogue dans la plaie quand ils n’ont plus de réseaux veineux ou artériels leur permettant l’injection, ce qui est la principale source de retard de cicatrisation », ajoute Amélie Schoeffler.

La prise en charge de leur douleur est délicate, notamment parce que les soignants ont peur d’être à l’origine d’un surdosage, d’un sevrage ou d’une rechute. Pourtant, leur douleur ne doit pas être oubliée car, comme l’explique le Dr Schoeffler, « la consommation au long cours d’opiacés forts entraîne chez ces patients une hypersensibilité à la douleur et, souvent, une résistance aux effets antalgiques des produits ».

Une prise en charge multidisciplinaire est ainsi préférable, associant notamment dermatologue, addictologue, psychiatre, assistante sociale… mais la place de l’infirmière est complexe. « Je me suis rendu compte que beaucoup de toxicomanes faisaient leur pansement tout seuls et renvoyaient toutes les infirmières, donc c’est vraiment compliqué », confie Hélène Martin.

1- A. Schoeffler, H. Martin, et al., « Caractéristiques des plaies chroniques chez les toxicomanes : étude rétrospective de 58 patients », Annales de dermatologie et de vénéréologie, n° 146, vol. 12, octobre 2019.