Un choix contraint ? - L'Infirmière Magazine n° 413 du 01/03/2020 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 413 du 01/03/2020

 

PILULE ABORTIVE

DOSSIER

Les femmes souhaitant avoir recours à l’IVG peuvent choisir entre la méthode chirurgicale et la méthode médicamenteuse. Dans les faits, la seconde option s’impose parfois à elles.

RU-486. Deux lettres et trois chiffres qui ont bouleversé la pratique de l’IVG. Depuis 1989, les femmes qui décident d’interrompre leur grossesse peuvent choisir cette pilule abortive si elles la préfèrent à l’intervention chirurgicale. Pratiquée à l’hôpital depuis plus de trente ans, cette méthode dite médicamenteuse a été progressivement “sortie de l’hôpital” afin que les femmes y aient accès plus facilement. Les cabinets médicaux ont été autorisés à pratiquer l’IVG médicamenteuse en 2001, les centres de santé ou de planning familial en 2009, et les sagesfemmes en 2016. Tandis que 14 % des femmes y ont eu recours en 1990, en 2018, plus des deux tiers des IVG étaient médicamenteuses selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees). Mais ce choix est-il toujours libre et éclairé ? Les femmes qui optent pour la prise de médicaments « le font essentiellement pour éviter la chirurgie ou l’anesthésie générale et avoir un meilleur contrôle du processus de l’IVG », note la Haute Autorité de santé (HAS) dans ses recommandations de bonne pratique de l’IVG par voie médicamenteuse, parues en 2010.

Manque d’information des femmes

« Le Planning familial a toujours défendu cette pratique car elle nous semblait l’occasion pour les femmes de se réapproprier cet acte et de le “démédicaliser” », abonde Danielle Gaudry, gynécologue obstétricienne et personne-ressource sur les questions de l’IVG au Planning familial. Ce que nous déplorons aujourd’hui, c’est que ce ne soit pas toujours la femme qui choisisse, mais l’équipe à laquelle elle s’adresse. » La gynécologue, aujourd’hui retraitée, considère que les femmes ne sont pas toujours correctement ou suffisamment informées. « Un certain nombre de professionnels estiment qu’avant cinq semaines de grossesse, la méthode médicamenteuse prévaut, explique-t-elle. Ils se disent que c’est plus simple et que les femmes ne veulent pas d’hospitalisation. En réalité, ils pensent à leur place, et ne leur offrent pas un véritable choix. » Et lorsque les femmes préfèrent une intervention chirurgicale, elles peuvent être confrontées au manque d’établissements et de professionnels de santé, ainsi qu’à de longs délais d’attente.

Une IVG médicamenteuse par défaut

En septembre 2019, une enquête(1) commandée par la ministre de la Santé Agnès Buzyn a montré que toutes les régions étaient touchées par des zones connaissant des « tensions » en matière d’accès à l’IVG. Un phénomène « lié à la situation démographique particulière des professionnels de santé », indique le ministère. Entendre : un manque de praticiens ou de structures. « Chaque fois que la maternité d’une petite ville ferme, une possibilité d’IVG chirurgicale disparaît », résume Danielle Gaudry. Selon la gynécologue, le choix de la fermeture d’institutions de proximité a logiquement poussé les gouvernants à promouvoir la méthode médicamenteuse. « Avec les médicaments, nul besoin d’établissements. Les femmes consultent, puis rentrent chez elles. » Dans ces logiques de restrictions budgétaires, certains des hôpitaux qui subsistent essayent d’éviter les IVG chirurgicales, qui coûtent plus cher et mobilisent plus de personnels de santé que d’autres interventions plus lucratives. « Le forfait IVG ne rapporte pas grand-chose, ni à l’hôpital, ni aux médecins, résume Sarah Durocher, accueillante au Planning familial et membre de son bureau national. Comme cela rapporte peu, les IVG chirurgicales ne sont pas une priorité, et il est parfois difficile d’obtenir des places en bloc opératoire. » Et lorsque l’attente est trop longue, certaines femmes peuvent être rebutées. « À Créteil, cela peut être deux semaines et demi pour le bloc, explique Chrystel Bornat, infirmière au centre d’orthogénie à l’hôpital Bicêtre et co-présidente de l’Association nationale des centres d’IVG et de contraception (Ancic). Lorsqu’une femme a décidé qu’elle n’était pas prête pour cette grossesse, c’est une attente insupportable. Parfois, les femmes doivent donc se rabattre sur les médicaments, même si ça n’est pas leur premier choix. »

Certains hôpitaux ne pratiquent même plus d’IVG instrumentales, constate Danielle Gaudry. « À la faveur de mutualisations, de fermetures d’établissements ou de réorganisations, certains établissements publics ne pratiquent plus cette intervention et se protègent en disant que les femmes en demande sont réorientées. » La loi les y oblige pourtant.

1- Enquête commandée par Agnès Buzyn aux ARS. À lire sur : bit.ly/31ABpY2