Une prise en charge intense - L'Infirmière Magazine n° 413 du 01/03/2020 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 413 du 01/03/2020

 

INTERRUPTION VOLONTAIRE DE GROSSESSE

DOSSIER

HÉLOÏSE RAMBERT  

Avant, pendant et après l’IVG, les IDE ont un rôle à jouer, en collaboration avec les médecins, les assistantes sociales et les conseillères conjugales. À l’écoute des patientes, elles coordonnent un parcours de soins souvent chargé émotionnellement.

En 2018, 224 300 interruptions volontaires de grossesse (IVG) ont été réalisées en France. S’il est possible pour les femmes d’avorter, sous certaines conditions, dans le cadre de la médecine de ville, les trois quarts de ces IVG ont lieu en structure hospitalière. « Le lieu de prise en charge dépend de chacune. Certaines préfèrent faire leur IVG à l’hôpital, alors que d’autres non », constate Chrystel Bornat, infirmière au centre d’orthogénie de l’hôpital Bicêtre (AP-HP), dans le Valde-Marne, et co-présidente de l’Ancic (Association nationale des centres d’IVG et de contraception) et formatrice Revho (Réseau entre la ville et l’hôpital pour l’orthogénie). En milieu hospitalier, le rôle de l’infirmière durant l’IVG est central. « Historiquement, nous avons une vraie place. Nous ne sommes pas juste des exécutantes, rappelle l’IDE. Même s’il y a une grande disparité dans le rôle infirmier autour de l’IVG. »

Bienveillance, écoute et planification

La prise en charge infirmière peut débuter dès la programmation de l’intervention, dans les centres de planification ou d’éducation familiale (CPEF) ou les centres d’orthogénie, comme cela est le cas à l’hôpital Bicêtre. « La patiente prend rendez-vous auprès du secrétariat. Quand elle arrive, elle est d’abord vue par le médecin. Puis par l’infirmière qui la reçoit individuellement et construit avec elle son parcours de soins en fonction de ce qu’elle a décidé en accord avec le médecin », relate Chrystel Bornat.

L’entretien avec l’IDE est un temps prévu pour laisser les femmes “relâcher la pression”. La consultation médicale qui a précédé peut avoir été une grande source d’appréhension pour elles. « Elles sont souvent dans l’émotion et dans la peur du jugement du médecin. Elles craignent son refus, sa désapprobation. C’est pour cela que, la plupart du temps, elles ne sont pas complètement authentiques avec lui, analyse Chrystel Bornat. Elles se confient davantage à nous et lâchent facilement prise. » Les infirmières sont très attentives à l’accueil qu’elles réservent aux patientes. « Il faut prendre le temps, sourire, apaiser. Être dans l’écoute et pas dans le jugement, ajoute Sandrine Lebranchu, infirmière au centre d’orthogénie de Clermont-Ferrand (63). C’est important de porter attention au silence des femmes, à leur comportement. Elles peuvent être mal, agacées, énervées. C’est le signe de quelque chose. »

À l’hôpital Bicêtre, l’équipe soignante a fait le choix du repérage des violences conjugales. « Durant la prise en charge, nous demandons systématiquement aux femmes si, au cours de leur vie, elles ont déjà vécu des situations de violence, explique Chrystel Bornat. La question a déjà été posée par le médecin mais nous la reposons au moindre signe d’alerte. » Dans leur parcours, les femmes ont aussi la possibilité de faire appel à une psychologue ou à une conseillère conjugale si elles ont besoin de parler plus longuement de ce qu’elles traversent. « C’est une rencontre optionnelle, sauf pour les mineures, explique Christine Héritier, conseillère conjugale à la maternité des Bluets (AP-HP), à Paris. Mais c’est rare que les femmes la refusent. » Les conseillères proposent un entretien d’écoute et d’accompagnement. « C’est un moment où les femmes - qui peuvent venir accompagnées de leur partenaire - ont la possibilité d’évoquer ce qu’elles ressentent. Mais il peut également être une aide à la décision pour celles qui ne savent pas très bien ce qu’elles veulent faire. L’entretien est souvent unique, mais si nécessaire, notamment si la patiente est indécise, nous pouvons les voir plusieurs fois. »

Durant la consultation, l’IDE prépare le dossier administratif et repère d’éventuels problèmes sociaux, qui demandent l’intervention d’une assistante sociale. Elle aborde aussi la question de la contraception, même si cela a déjà été fait avec le médecin. « Sur nos bureaux, nous avons un panier avec toutes les sortes de contraception. Cela permet d’ouvrir le dialogue. Les femmes peuvent même opter pour une autre méthode que celle qui avait été discutée avec le médecin. Les infirmières ont le droit de represcrire la contraception, mais très peu le font », regrette Chrystel Bornat.

Les professionnelles reprennent calmement le choix de la méthode d’IVG qui a été discutée avec le médecin et vérifient ce qui a été compris par la patiente. Elles redonnent les explications de base si nécessaire et des précisions si la patiente en demande : certaines ne souhaitent pas avoir trop de détails sur l’intervention à venir. En France, deux méthodes d’IVG sont possibles : la médicamenteuse et la chirurgicale (ou instrumentale) par aspiration. L’IVG médicamenteuse est possible jusqu’à sept semaines de grossesse, soit neuf semaines après le début des dernières règles. L’IVG instrumentale, réalisée sous anesthésie locale ou générale, peut être réalisée jusqu’à la fin de la 12e semaine de grossesse, soit 14 semaines après le 1er jour des dernières règles. La méthode médicamenteuse est de plus en plus privilégiée (lire p. 25), même si « aucune méthode n’est meilleure que l’autre », assure Chrystel Bornat.

L’infirmière planifie l’intervention à venir en faisant face au mieux à toutes les situations. « Si les femmes ont besoin d’une IVG tardive et sont dans l’urgence vis-àvis des délais, nous essayons d’avoir des places supplémentaires au bloc. Il y a toujours des solutions, tout du moins dans notre établissement. Ce n’est pas le cas partout », poursuit l’IDE. Dès le stade de la programmation, certains besoins de la patiente sont anticipés. « Si la femme opte pour une méthode médicamenteuse, nous lui demandons de prévoir quelqu’un pour venir la chercher après l’intervention. Nous ne pouvons pas la laisser partir seule. Il y a un risque de saignements importants et de malaise », indique Sandrine Lebranchu.

Quelle que soit la méthode choisie, l’infirmière veille toujours à ce que la patiente comprenne que sa décision n’a rien d’irréversible et qu’elle peut changer d’avis. « Même si l’intervention a été programmée, si elle hésite, on lui fait comprendre que ce n’est pas un problème : elle peut repousser et a toujours le choix. Il y aura toujours quelqu’un de disponible pour répondre à ses questions », rassure Sandrine Lebranchu.

Épauler pendant l’hospitalisation

Dans le cas d’un avortement par méthode médicamenteuse, le protocole prévoit en premier lieu l’administration par voie orale d’une antiprogestérone qui interrompt la grossesse. La prise se fait en consultation en présence d’un médecin ou d’une sage-femme. Deux jours plus tard, il est indispensable que la patiente prenne un deuxième médicament, qui provoque l’expulsion de l’embryon. Avant sept semaines de grossesse, la patiente a le choix : elle peut prendre ce médicament à domicile ou à l’hôpital. « Si elle choisit de rentrer à la maison, on lui donne les comprimés de misoprostol, et on lui indique la conduite à tenir si les saignements sont anormaux. Sur l’enveloppe, les consignes sont rappelées, indique Chrystel Bornat. Dans le parcours, je prévois une visite de suivi et j’insiste auprès de la patiente sur l’importance de cette visite. Avec la méthode médicamenteuse, il y a tout de même 5 % d’échec. Même si 4,5 % sont des échecs relatifs, c’est-à-dire que la grossesse est arrêtée, mais que l’expulsion ne se fait pas. »

De sept à neuf semaines de grossesse, la femme doit obligatoirement se rendre à l’hôpital, où elle est reçue par les infirmières qui restent auprès d’elle en soutien. « Nous prenons toujours le temps de l’accueil, qui est extrêmement important, explique Sandrine Lebranchu. Nous disons aux patientes que nous sommes disponibles pour elles, que nous allons passer les voir régulièrement pendant l’expulsion pour voir où en sont les saignements et comment elles se sentent. Et qu’elles ne doivent pas hésiter à nous appeler avant que l’on revienne, si elles ont besoin de nous. »

La gestion de la douleur des femmes, qu’elle soit physique ou psychologique, est au cœur de la prise en charge IDE. « Il ne faut pas minimiser cette douleur, insiste Chrystel Bornat. Elle n’est pas présente chez toutes les femmes, mais c’est une vraie question. » L’expulsion provoque de véritables contractions qui peuvent faire mal pendant quarante-cinq minutes. Il est nécessaire d’utiliser les antalgiques – de palier 2 – à bon escient. « Pour les filles qui ont des règles douloureuses, c’est dur », admet l’infirmière. Mais l’expulsion peut aussi être très stressante pour les femmes qui se retrouvent brutalement confrontées à la réalité de la grossesse et de l’avortement. Elle survient généralement dans les trois à quatre heures suivant la prise du médicament, mais peut parfois se produire dans les vingt-quatre à soixante-douze heures. « Il peut arriver qu’elles n’aient pas totalement expulsé en fin de journée, indique l’infirmière du centre d’orthogénie de Clermont-Ferrand. Dans ce cas, on les garde un petit peu avec nous : la sortie ne se fait pas à heure fixe. » Si elles doivent malgré tout sortir avant, les infirmières leur donnent des consignes pour minimiser les risques pour la suite. « Nous leur disons bien que si les saignements deviennent hémorragiques, elles doivent revenir aux urgences. »

Les infirmières sont aussi présentes si les femmes choisissent l’avortement chirurgical. À l’hôpital Bicêtre, des interventions sous anesthésie locale sont possibles en dehors du bloc opératoire standard, dans une petite salle appelée la « salle blanche », dont les horaires d’accès sont beaucoup plus souples. « L’intervention dure une vingtaine de minutes, et les infirmières sont là pour tenir la main de la patiente, indique Chrystel Bornat. Il y a beaucoup de façons de les accompagner pendant ce moment. Certains services leur proposent de l’hypnose ou des massages. Nous, à l’hôpital Bicêtre, nous réfléchissons à l’utilisation d’un casque de réalité virtuelle. »

Un accompagnement en douceur vers le bloc

Si la patiente fait le choix d’une IVG sous anesthésie générale, la prise en charge se fait en ambulatoire. Le temps infirmier, alors, est exclusivement dédié à l’accueil : il n’est plus question, à ce stade, de questionner le choix de la patiente ou de faire de l’éducation thérapeutique. À l’hôpital Bicêtre, c’est une autre équipe infirmière qui prend le relais. « Les patientes ont été bien préparées par nos collègues, explique Fanny Bicharel, infirmière au centre d’orthogénie de l’hôpital Bicêtre. Quand nous rencontrons les femmes, le matin, elles sont souvent fatiguées et nauséeuses. Le but est de les faire se sentir bien et de les rassurer. Je ne leur demande jamais si elles sont sûres de leur choix. En trois ans d’expérience, je n’ai jamais vu de femme changer d’avis une fois arrivée dans le service. Je pense que ce sont des décisions qui sont vraiment bien réfléchies. »

Mais les situations de détresse sont possibles. Là encore, les infirmières peuvent être amenées à déployer des trésors d’empathie et de bienveillance pour apaiser. « Il m’arrive de prendre le temps de m’asseoir avec la dame, de respirer avec elle, de lui dire que, tant pis, la patiente après elle attendra, raconte Sandrine Lebranchu. Je lui rappelle aussi que je peux contacter ou recontacter la psychologue à sa demande ou lui redonner son numéro de téléphone. Il faut qu’elle parte au bloc confiante et sereine. » Les infirmières s’assurent que la femme se trouve dans de bonnes conditions pour l’opération. « Nous lui posons toutes les questions relatives à sa sécurité, explique Fanny Bicharel. Est-elle bien à jeun ? A-t-elle bien pris sa douche à la Bétadine ? Nous vérifions aussi qu’elle n’a pas fumé ou fait quoi que ce soit qui pourrait compromettre l’anesthésie générale. » Elles préparent la patiente pour le bloc, posent la voie veineuse et administrent les médicaments prescrits. « Notamment des antalgiques, pour prévenir la douleur post-intervention, et des antibiotiques, pour éviter le risque infectieux. On passe ensuite le relais aux infirmières de bloc qui vont l’aider à s’installer. »

L’intervention est très rapide : entre dix minutes et un quart d’heure. En salle de réveil, les infirmières sont de nouveau attentives à la douleur. « Les patientes ne repartent jamais douloureuses du service », assure Fanny Bicharel. Elles ne rentrent pas directement chez elle, mais elles repassent par le centre de planification et elles sont revues par le médecin pour d’éventuelles ordonnances.

OBJECTION DE CONSCIENCE

Les IDE aussi peuvent refuser

La clause de conscience est la possibilité pour un médecin de s’opposer à un acte médical. Mais trois types d’actes, dont l’IVG, font l’objet d’une clause de conscience spécifique, qui ne concerne pas uniquement le corps médical : l’article L. 2212-8 du code de la santé publique précise qu’« un médecin n’est jamais tenu de pratiquer une interruption volontaire de grossesse » et « qu’aucune sagefemme, aucun infirmier ou infirmière, aucun auxiliaire médical, quel qu’il soit, n’est tenu de concourir à une interruption de grossesse ». Cette disposition est à l’origine une concession de Simone Veil face à une majorité de parlementaires hostiles à la dépénalisation de l’avortement, pour faire passer sa loi.

Plus de quarante ans après son adoption, cette clause de conscience est revenue dans le débat. Des sénateurs socialistes ont déposé, en septembre 2018, une proposition de loi afin de la supprimer. Outre sa portée symbolique, la suppression de cette clause de conscience spécifique, jugée stigmatisante pour les femmes, pourrait favoriser un meilleur accès à l’IVG.

PRISE EN CHARGE

Le cas particulier des mineures

→ Les jeunes filles mineures ont accès à l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Si elles ne veulent pas en parler à leurs parents et que leur autorisation écrite n’est pas obtenue, l’IVG et tous les soins afférents peuvent tout de même avoir lieu.

→ La jeune fille devra cependant se faire accompagner d’une personne majeure de confiance. Celle-ci sera alors son adulte référent pendant tout le parcours de l’IVG, telle une aide morale, et elle l’accompagnera dans ses démarches.

« Cette personne peut tout à fait être l’infirmière scolaire, qui a un rôle à jouer. Nous pouvons d’ailleurs les contacter nous-mêmes à la demande de la jeune fille, explique Sandrine Lebranchu, infirmière au centre d’orthogénie de Clermont-Ferrand.

Durant la consultation de planification, nous photocopions la pièce d’identité de l’adulte référent et lui faisons signer des papiers spécifiques à ses responsabilités. »

→ La consultation-entretien préalable à l’IVG avec la conseillère conjugale est obligatoire pour les mineures. Cette consultation consiste en un entretien individuel avec la mineure au cours duquel une assistance sur le plan social, une écoute, un soutien psychologique, des informations ou des conseils appropriés à sa situation sont proposés. Ce moment d’écoute et de dialogue est important et peut aider la mineure dans un moment difficile.

ACCÈS À L’IVG

Des tensions territoriales

Une enquête(1) des agences régionales de santé (ARS) de 2019 montre que, si le délai moyen en France entre la demande de la femme et l’acte lui-même est d’environ sept jours en moyenne au niveau national, il varie de trois à onze jours selon les régions, toujours en moyenne. L’étude souligne que s’il n’y a pas de « zones blanches » en termes d’accès à l’IVG, il y a des territoires « en tension » dans la majorité des régions, soit du fait de la démographie des professionnels, soit durant les périodes estivales.

1- Enquête commandée par Agnès Buzyn aux ARS. À lire sur : bit.ly/31ABpY2