Accident d’exposition au sang : que faire ? - L'Infirmière Magazine n° 414 du 01/04/2020 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 414 du 01/04/2020

 

CARRIÈRE

GUIDE

LAURE MARTIN  

En cas d’accident d’exposition au sang et aux liquides biologiques (AESLB), un protocole doit être respecté pour se prémunir de toute infection ainsi que pour faire reconnaître l’accident en tant que tel.

Les AESLB se définissent comme tout contact avec du sang ou un produit biologique contaminé, lors d’une effraction cutanée (piqûre, coupure), d’une projection sur des muqueuses (yeux, bouche) ou sur une peau lésée. « Même si on ne les voit pas, des particules infectieuses sont bien présentes dans les liquides biologiques, certes en moindre quantité mais il faut s’en inquiéter autant que pour le sang », met en garde Céline Poulain, cadre supérieure hygiéniste au Centre de prévention des infections associées aux soins (CPias) des Pays de la Loire.

Un protocole de soins à respecter

• De base, tout patient doit être considéré comme potentiellement à risque et tout soignant doit se protéger systématiquement avant tout geste susceptible de le mettre en contact avec une source contaminée. La prévention du risque d’AES relève de la responsabilité de chaque établissement. C’est un arrêté du 10 juillet 2013, en vigueur depuis le 1er septembre 2013, qui a transposé la directive européenne de mai 2010 relative à la prévention des blessures par objet tranchant dans le secteur hospitalier et sanitaire. Cet arrêté insiste notamment sur la responsabilité de l’employeur pour la mise en place des précautions standards, l’information et la formation des travailleurs quand il existe un risque professionnel d’exposition au sang.

• Si l’infirmière est victime d’un AES malgré les précautions d’usage, elle doit suivre un protocole précis pour limiter la diffusion d’un virus de type hépatite ou VIH. Lorsqu’elle s’est piquée, coupée ou qu’un liquide biologique est entré en contact avec sa peau lésée, elle doit nettoyer la zone avec de l’eau et du savon puis la tremper dans un antiseptique de type Dakin ou Bétadine au minimum cinq minutes. En aucun cas il ne faut faire saigner la plaie, au risque de provoquer une hyper-dilatation des vaisseaux pouvant entraîner une propagation beaucoup plus rapide du virus dans le corps. « Si la projection de liquide a eu lieu dans l’oeil par exemple, il faut le nettoyer avec du sérum physiologique », précise Françoise Raymond, cadre hygiéniste au CPias des Pays de la Loire.

Alerter la hiérarchie

Une fois la plaie nettoyée et désinfectée, « l’infirmière doit alerter son cadre pour être retirée des soins et poursuivre le protocole de prise en charge », rapporte le Dr Karine Blanckaert, spécialiste en hygiène, prévention et contrôle de l’infection en milieu de soins au CHU de Nantes. Dans l’idéal, s’il s’agit d’un jour et d’une heure ouvrés, et que la médecine du travail est implantée au sein même de l’établissement, l’infirmière doit s’y rendre. À défaut, elle doit rencontrer le référent infectiologue ou l’urgentiste identifié au sein de l’établissement dans les quatre heures suivant l’AES. « Chaque établissement public ou privé doit avoir défini sa procédure », indique Céline Poulain. Par exemple, s’il n’y a ni infectiologue ni urgentiste ni référent au sein de l’établissement, une entente peut avoir été conclue avec un centre hospitalier voisin. Dans tous les cas, la politique et la conduite à tenir doivent avoir été déclinées et tous les soignants doivent en être informés pour savoir quel comportement adopter en cas d’AES.

Statut sérologique du patient source

Autre étape clef : obtenir des informations sur les facteurs de risque du patient source. « L’objectif est de connaître son statut sérologique, fait savoir le Dr Blanckaert. En fonction des causes de son hospitalisation, l’équipe soignante peut déjà le connaître. À défaut, il faut lui demander son autorisation pour effectuer un prélèvement. Généralement, lorsqu’on lui explique l’enjeu, il est rare que le patient refuse. » Un problème peut néanmoins se poser lorsqu’une IDE s’est, par exemple, piquée avec une aiguille qui était dans un conteneur mal fermé ou trop plein. « Dans ces cas-là, comme il est impossible de savoir quel patient a été soigné avec l’aiguille, il est de la responsabilité du médecin référent de déterminer la conduite à tenir pour l’IDE », souligne le Dr Blanckaert.

Les traitements préventifs

Lorsque la sérologie du patient est connue et est négative, aucun traitement prophylactique ou antiviral n’est donné à l’IDE. Néanmoins, elle va faire l’objet d’une surveillance à trois et à six mois par la médecine du travail. En revanche, en cas de doute, l’infirmière reçoit un kit AES par le médecin, préparé par les pharmaciens hospitaliers en accord avec les ecommandations nationales, pour le traitement prophylactique postexposition, après avoir vérifié qu’elle ne présente pas de contre-indication. Dans les soixante-douze heures, elle est adressée à un médecin infectiologue qui examine la pertinence des molécules. « Ce kit permet de traiter l’infirmière immédiatement », précise Françoise Raymond.

Déclarer l’accident

• L’AES est dans tous les cas considéré comme un accident du travail. Le fait de ne pas avoir pris les précautions standards comme le port des gants, d’une blouse ou d’un masque, n’enlève rien à la reconnaissance de l’AES.

• Sa déclaration doit être effectuée à la médecine du travail et à l’employeur dans les vingt-quatre heures qui suivent sa survenue. « Néanmoins, mieux vaut que cette déclaration soit effectuée par écrit et par lettre recommandée ou par email, afin d’avoir une preuve en cas de problème », rapporte le Dr Sophie Fantoni Quinton, professeur des universités et praticien hospitalier au CHRU de Lille. Il appartient ensuite à l’employeur de déclarer l’AES à la Sécurité sociale. Dans certains établissements, les plus importants, l’encadrement dispose de son propre cahier de déclaration.

• Lorsque l’AES n’entraîne ni soin ni arrêt, il est simplement consigné dans le registre des accidents bénins. « La déclaration sert de preuve médicolégale en cas de connaissance, a posteriori, d’une séroconversion », explique le Dr Fantoni Quinton. Si la déclaration de l’AES n’a pas été effectuée, il est impossible de reconnaître une contamination consécutive à un AES.

• L’accident du travail peut en effet être reconnu comme maladie professionnelle par la suite si l’AES a entraîné une contamination. Pour que ce soit le cas, l’infection doit être répertoriée dans le tableau de reconnaissance des maladies professionnellesles infections d’origine professionnelle l’étant. Néanmoins, « quelqu’un qui n’a pas déclaré l’AES ne pourra pas le faire reconnaître en maladie professionnelle par la suite, indique le Dr Fantoni Quinton. En cas de séroconversion, il faut un AES déclaré, c’est-à-dire un fait datable. » La déclaration en accident du travail est donc d’autant plus importante qu’elle permet une trace dans le temps et surtout, elle déclenche un suivi médical avec des bilans biologiques, qui permettront, par la suite, de déterminer le lien de cause à effet entre l’AES et une maladie si, quelques mois plus tard, des symptômes apparaissent. « Un AES sur le lieu de travail et pendant son temps de travail donne effectivement droit à un suivi médical », précise Françoise Raymond.

• En cas d’arrêt de travail, l’IDE n’aura pas de perte de salaire et l’intégralité de son suivi sera prise en charge. « Si la maladie professionnelle à la suite de l’AES est reconnue et que la médecine du travail le juge nécessaire, une adaptation du poste de l’IDE peut être envisagée », poursuit Céline Poulain. Le taux d’incapacité et le droit au congé vont, quant à eux, être déterminés par les directions des ressources humaines de l’établissement. Enfin, les indemnisations s’il y en a, relèvent de la décision des médecins experts de l’Assurance maladie. « L’indemnisation peut être évolutive avec la maladie et donc être réévaluée », informe Karine Blanckaert, avant de conclure : « Plus de la moitié des AES sont évitables en respectant les conduites à tenir. »

Les recommandations du Repias pour les Idel

SAVOIR PLUS

→ Site du Groupe d’étude sur le risque d’exposition des soignants aux agents infectieux (Geres) : www.geres.org

→ Site du réseau national de prévention des infections associées aux soins (CPias) : www.cpias.fr

→ Arrêté du 10 juillet 2013 : bit.ly/2TzYg2a

INTERVIEW

FRANÇOISE RAYMOND

CADRE HYGIÉNISTE AU CPIAS DES PAYS DE LA LOIRE

La prévention des AES en libéral a-t-elle une spécificité ?

• Les bonnes pratiques sont identiques à l’hôpital comme en libéral. Les infirmières libérales (Idel) doivent, avant d’effectuer des injections ou des pansements, avoir une bonne hygiène des mains et porter des gants. Elles doivent également s’assurer d’éliminer les tranchants dans des collecteurs spécifiques, adaptés à la taille du matériel à éliminer. Le port du masque et de la surblouse avec manches longues est nécessaire dans certaines pratiques de soin, notamment pour les chambres implantables ou pour l’emploi de cathéter PICC line car le risque infectieux est élevé. Pour éviter l’exposition à des liquides biologiques, dans les yeux notamment, lors d’aspiration trachéale, il est utile de porter des lunettes.

En cas d’AES, quelles sont les démarches pour les libérales ?

• Après avoir effectué les gestes de base pour sa santé (nettoyage de la plaie et désinfection), l’Idel doit immédiatement contacter le référent AES. Normalement, les agences régionales de santé (ARS) organisent les filières de prise en charge. À défaut d’une liste de référents à contacter, elle doit se rendre immédiatement aux urgences les plus proches, une démarche compliquée pour elle car cela implique de trouver un confrère pour reprendre la tournée en cours. Il appartient également à l’Idel de demander au patient source l’autorisation d’effectuer un prélèvement afin d’obtenir son statut sérologique. Elle doit donc démarcher un médecin généraliste pour obtenir une prescription. Elle peut être confrontée à un refus. Dans ce cas-là, il n’existe pas de vraie solution.

L’Idel doit aussi déclarer l’AES à la Caisse primaire d’assurance maladie dont elle dépend administrativement, une démarche indispensable pour que l’accident du travail soit reconnu et pris en charge, notamment s’il évolue en maladie professionnelle. D’ailleurs, il est fondamental pour les libérales de détenir une assurance accident du travail/maladie professionnelle (AT-MP) car le régime d’Assurance maladie des praticiens et auxiliaires médicaux ne couvre pas ce risque. Cette assurance leur permet, en cas de développement d’une maladie à la suite d’un AES, d’être couvertes et de percevoir des indemnités.

PROPOS RECUEILLIS PAR L.M.