L'infirmière Magazine n° 414 du 01/04/2020

 

MUNICIPALES

ACTUALITÉS

À LA UNE

ADRIEN RENAUD  

Avec la crise du coronavirus, les questions sanitaires sont venues percuter des élections municipales qui leur faisaient déjà la part belle. À tel point qu’on se demande si la blouse blanche ne va pas remplacer l’écharpe tricolore comme attribut principal des maires.

Qu’il s’agisse d’attirer un médecin généraliste, de mettre en place une alimentation 100 % bio dans les restaurants scolaires ou encore de lutter contre la pollution, les questions de santé étaient largement abordées dans les programmes des candidats aux élections municipales, dont le premier tour a eu lieu le 15 mars dernier. Puis est intervenue l’annonce présidentielle du 16 mars, qui a reporté de trois mois la tenue du second tour… pour raison de santé. Une coïncidence qui vient souligner une évolution majeure de ces dernières années : la municipalisation des politiques de santé.

Un domaine à s’approprier

Pourtant, les mairies partent de loin. « La santé n’est pas une compétence communale, c’est une responsabilité assumée à 98 % par l’État et confiée aux ARS », explique Laurent El Ghozi, chirurgien retraité et président de l’association Élus, santé publique et territoires. « Mais les communes ont gardé ce qu’on appelle une clause de compétence générale », ajoute ce vieux routier de la politique locale, qui a siégé pendant trente et un ans au conseil municipal de Nanterre, dans les Hauts-de-Seine. « Cela veut dire qu’elles sont légitimes à se saisir de tous les sujets sur lesquels elles peuvent avoir des moyens d’action et qui leur paraissent pouvoir contribuer au bien-être et à la sécurité de la population. »

Voilà qui explique pourquoi beaucoup de villes s’impliquent directement dans la fourniture de soins en gérant des centres de santé, ou indirectement en favorisant l’installation de professionnels libéraux via la création de maisons pluriprofessionnelles de santé (MSP). Mais ce n’est pas tout. « On peut considérer que toutes les décisions qu’on peut prendre en conseil municipal ont un impact sur la santé, estime Laurent El Ghozi. C’est vrai pour la création d’espaces verts, pour l’organisation de la circulation, pour l’alimentation scolaire, pour l’accès aux équipements sportifs, pour la construction… » D’où le credo répété par l’association Élus, santé publique et territoires : « Puisque toutes nos décisions ont un impact sur la santé, saisissons-nous de ce thème, et faisons voir comment nous sommes à même de faire le maximum pour la santé de toute la population », déclare son président.

Sus aux pesticides

Et ce n’est pas Daniel Cueff, maire du village de Langouët en Ille-et-Vilaine, qui va le contredire. En mai dernier, celui-ci a pris l’un des arrêtés municipaux les plus polémiques de ces dernières an nées : pour protéger la santé de la population, il interdisait aux agriculteurs d’épandre des pesticides à moins de cent cinquante mètres des habitations. L’arrêté a rapidement été suspendu par le tribunal administratif de Rennes, mais il est devenu un enjeu central des élections municipales de cette petite commune de 600 habitants. « C’était le seul sujet de la campagne », soupire Daniel Cueff, qui ne se représentait pas mais qui soutenait ouvertement l’une des deux listes en présence. « Cette histoire de pesticides était la seule raison d’être de la liste d’en face. »

Finalement, les opposants à l’arrêté ont obtenu la majorité au conseil municipal. Mais Daniel Cueff ne regrette rien. « En tant que maire d’une pe tite commune rurale, je suis très conscient des problèmes de santé que je vois chez mes concitoyens, explique-t-il. Je vois des maladies de Parkinson, des lymphomes, notamment chez les agriculteurs ou les riverains, et je ne veux pas que dans quelques années, mes petites-filles me disent : “On sait que tu étais au courant, qu’est-ce que tu as fait pour éviter cela ?” Je ne veux pas dire que je n’y suis pour rien, que c’était au ministre de l’Agriculture d’agir. »

Maire cherche généralistes désespérément

Autre exemple d’implication des maires dans les problématiques sanitaires : l’initiative, elle aussi très médiatisée, prise par l’association des maires ruraux de la Sarthe en février dernier pour attirer l’attention des pouvoirs publics sur leurs problèmes de désertification médicale. Une dizaine d’édiles avaient alors pris un arrêté interdisant tout bonnement à leurs administrés de tomber malade ou d’avoir un accident dans leur commune. Une initiative dont Dominique Dhumeaux, président de l’association et luimême maire de la petite commune de Fercé-sur Sarthe, située à vingt-cinq kilomètres au sud-ouest du Mans, assume le côté provocateur, tout en estimant que les questions de santé font naturellement partie de ses prérogatives. « Notre mission, quand on a un médecin sur le territoire et qu’on voit que son âge fait qu’il risque d’abandonner son poste, c’est de trouver des solutions, notamment dans le cadre de l’intercommunalité », explique-t-il.

Et le sujet des déserts médicaux a bien sûr été l’une des thématiques centrales lors des dernières élections municipales. « Lorsqu’on discutait avec les habitants, le principal sujet qu’ils abordaient, c’était celui de la santé », se souvient l’édile. Mais celui-ci reste pessimiste quant à la réelle capacité des maires à changer seuls la donne sur le sujet. « On aura beau dérouler le tapis rouge aux médecins, leur construire des MSP magnifiques, leur offrir un secrétariat gratuit ou une voiture de fonction, on sait bien qu’il n’y en a plus assez, et que si on en trouve un, c’est qu’on l’aura piqué au voisin », se désolet- il. Le rôle des maires est donc selon lui d’alerter les pouvoirs publics pour dénoncer cette situation, et « de faire pression pour im poser des mesures coercitives permettant d’installer des médecins là où il n’y en a pas ». D’où le fameux arrêté municipal.

Un thème politiquement vendeur, mais pas que…

Reste une question : comment expliquer que la santé, encore largement absente des délibérations des conseils municipaux il y a quelques années, ait fait cette année partie des principaux thèmes débattus en réunion électorale ? « Pour le comprendre, il y a au moins deux éléments nouveaux, décrypte Laurent El Ghozi. Le premier, c’est l’essor de la démocratie en santé : les citoyens considèrent de plus en plus qu’ils ont quelque chose à dire sur l’organisation du système, sur l’accès aux soins… et cela pousse les élus à s’occuper de ces questions. Le deuxième levier fondamental, c’est l’écologie : on ne peut plus déconnecter environnement durable et santé ; les candidats incluent donc dans leur programme plus de vert, mais avec une composante santé publique. »

Et selon l’ancien chirurgien, le mouvement de municipalisation des questions de santé n’est pas près de s’arrêter. « Tout d’abord, pour être trivial, c’est politiquement vendeur, car cela rencontre une préoccupation de la population, estime-t-il. Mais surtout, cela s’inscrit dans un mouvement de territorialisation des politiques de santé. » Laurent El Ghozi cite notamment la création des ARS, mais aussi les contrats locaux de santé (signés entre les maires et les ARS), ou encore les conseils locaux de santé mentale (qui réunissent le maire, le chef de secteur de la psychiatrie et les usagers)…

Il considère par ailleurs que les élus doivent s’impliquer dans la création des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) qui sont en train d’émerger aux quatre coins de France. « Si on veut une CPTS qui organise vraiment l’accès aux soins dans le territoire, il faut que les élus s’y impliquent, et c’est une vraie révolution », estime-t-il. Une chose est sûre : on n’a pas fini d’entendre parler santé dans les conseils municipaux.

CORONAVIRUS

Quand la mairie garde les enfants des soignants

Quand le président de la République a annoncé, le 12 mars dernier, la fermeture des écoles pour cause de coronavirus, il a précisé que les enfants des soignants, eux, pourraient continuer à être accueillis dans les crèches ou les écoles. Un rôle qui est naturellement retombé sur les épaules des mairies, qui gèrent de nombreux établissements. « Nous avons mis en place une boîte mail à laquelle les soignants peuvent écrire pour faire connaître leurs besoins », explique par exemple Sandrine Vuidel, directrice de la petite enfance à Pantin, en Seine-Saint-Denis. Une tâche qui mobilise les services de la ville, indique la responsable municipale, mais qui ne va pas sans difficultés. « Nos agents sont mobilisables, mais sur des horaires qui ne sont pas très étendus, de 8 h 30 à 17 h, détaille-t-elle. Nous pouvons dépanner les soignants, mais pas forcément pour la totalité de leur impératif. » Quelques jours après la fermeture des écoles et des crèches, la ville de Pantin n’avait d’ailleurs encore accueilli aucun enfant de soignant. La directrice de la petite enfance se disait cependant convaincue que le dispositif allait être utilisé. Sa plus grande crainte ? « Que notre personnel soit infecté et ne puisse plus venir travailler », confie-t-elle.