L'infirmière Magazine n° 414 du 01/04/2020

 

ACCOMPAGNEMENT SEXUEL

ACTUALITÉS

FOCUS

SANDRINE LANA  

Le gouvernement souhaite reprendre la réflexion sur l’accompagnement sexuel des personnes handicapées. Une question épineuse, qui oppose les demandes des personnes concernées et les risques de proxénétisme.

Pour faire avancer le débat, la secrétaire d’État en charge des personnes handicapées, Sophie Cluzel, a demandé au Comité consultatif national d’éthique (CCNE) ainsi qu’au Comité national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) de se pencher sur la question. En 2012, le premier avait rendu un avis défavorable, craignant d’accentuer la marchandisation du corps de la femme. « On ne peut évacuer la difficile question de l’instrumentalisation, même consentie, rémunérée ou compassionnelle, du corps d’une personne pour la satisfaction personnelle d’une autre », estimait-il alors. Et concluait : « Il est apparu que l’aidant pouvait se trouver malmené même involontairement et la relation sexuelle devenir différente de ce qui avait été prévu contractuellement. Ont été évoqués également les situations d’abus de la part des aidants comme les chantages dont ils peuvent être eux-mêmes victimes. » Sophie Cluzel s’y est, pour sa part, déclarée « très favorable. C’était tabou dans notre société, mais cette dernière a mûri », annonçaitelle mi-février sur Europe 1, à l’occasion de la Conférence nationale sur le handicap.

Conjuguer terrain et loi

Les demandes qui remontent du terrain sont très diverses : découvrir un corps nu, aider un couple de personnes handicapées dans sa sexualité, être mis en position pour pouvoir se masturber ou être caressé… Et les soignants qui les accompagnent le savent. Pour Nadia Flicourt, ex-infirmière et sexologue, il est essentiel de clarifier les choses : « Pour l’instant, les soignants se débrouillent et, parfois, font le rapprochement des corps et aident aux rapports sexuels. C’est hypocrite de penser que ça marche tout seul », confie-t-elle. Pour la spécialiste, il faut poser la didactique en matière d’accompagnement sexuel : « Aujourd’hui, cela se fait de façon improvisée alors qu’il faudrait des protocoles ! »

De son côté, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE) est vent debout contre l’idée de légaliser le statut d’aidant sexuel : « Légaliser l’achat de services sexuels serait contraire à notre législation contre l’achat de prostitution », écrit-il à l’annonce de la relance du débat sur cette ques tion épineuse, dans un pays qui souhaiterait abolir la prostitution.

Dépénaliser la pratique

En France, il n’est pas interdit d’être assistant sexuel, comme il n’est pas interdit de se prostituer. C’est le proxénétisme et le fait d’être client qui sont interdits. Pour le président de l’Association pour adultes et jeunes handicapés (Apajh), qui gère 700 établissements spécialisés, on vit dans une société hypocrite : « Il faut sortir de l’idée de la prostitution et aller vers un acte qui relève du soin », indique Jean-Louis Garcia, en reconnaissant qu’il faudra une régulation « pour ne pas installer une relation affective achetée ».

Plusieurs associations militent pour une dépénalisation de la pratique de l’accompagnement sexuel et proposent de l’établir en exception à la prostitution.

Avec l’association Ch (s) ose, APF France handicap organise des formations d’accompagnement à la vie affective et sexuelle avec des formateurs d’outre-Rhin depuis 2016. Là où la prostitution n’est pas illégale, comme en Suisse, en Allemagne ou Belgique, l’accompagnement sexuel est mieux accepté et reconnu.

En France, une formation de ce type a existé en 2016-2017. Ouverte aux professionnels de santé, elle a été suivie notamment par des ergothérapeutes et des kinés. Également par des personnes prostituées.

« Pourtant, en France, nous formons des professionnels de l’accompagnement et des professionnels de santé, comme des ergothérapeutes. Ce sont des personnes qui voient dans leur parcours la souffrance des patients et sont interpellées. Le but est de faire gagner en autonomie les personnes handicapées dans la découverte de leur sexualité », explique Aude Bourden, conseillère nationale santé-médico-social chez AFP France handicap. Des personnes prostituées se forment également à cet accompagnement.

S’il faut parler de ce sujet, Jean-Louis Garcia de l’Apajh dénonce « une manoeuvre de diversion » pour ne pas aborder des sujets plus urgents relatifs au handicap tels que la dilution de l’Aide adulte handicapé (AAH) dans le revenu universel d’activité (RUA) envisagée par le gouvernement. « Cela a bien marché car les médias se sont emparé du sujet », déplore-t-il.

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