L'infirmière Magazine n° 414 du 01/04/2020

 

INTERVIEW : Chantal LAURENS, Cadre supérieure de santé au CHU de Toulouse, Docteure en sciences de la communication et de l’information

DOSSIER

L.G.  

Chantal Laurens a consacré sa thèse (1) aux interactions entre soignants. Elle rappelle que sans contexte humain favorable, basé sur le respect mutuel des fonctions de chacun, les outils et méthodes de communication restent inefficaces.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Lors de vos travaux de recherche, vous vous êtes penchée sur la question des interactions entre soignants, qui sont loin d’être simples…

CHANTAL LAURENS : J’ai travaillé notamment sur deux aspects : les soignantes en situation de métissage et leur rapport à un cadre de travail très normé, et le moment de la relève interéquipe. Pour le premier sujet, je me suis demandé comment la singularité des personnels pouvait s’exprimer dans le cadre très normatif de la certification d’un établissement de soins. Il est ressorti des entretiens que des soignantes d’origine étrangère n’avaient pas pu partager leurs représentations culturelles de certains soins. Cette incompréhension peut déboucher sur un vrai choc des cultures et des situations conflictuelles.

Quant aux moments de relève, en résumé, ils sont de plus en plus compliqués à tenir. Pour que les transmissions se fassent correctement, il faudrait que les temps de travail des équipes se chevauchent suffisamment, mais c’est rarement le cas. Même quand ces réunions ont lieu, elles sont souvent interrompues par des personnes qui entrent dans le bureau, le téléphone, etc.

L’I.M. : Vous avez également remarqué que ces réunions s’organisent spontanément selon un ordre hiérarchique…

C. L. : Ce sont essentiellement les infirmières qui prennent la parole, les aides-soignantes sont davantage en retrait. Elles parlent assez peu si on ne les sollicite pas directement, et font peu de transmissions écrites. Cette répartition des rôles se retrouve en outre dans l’occupation de l’espace.

On observe que deux cercles se forment : celui des infirmières au centre, et en périphérie, les aides-soignantes. Les IDE sont aussi plus volontiers assises sur les fauteuils de bureau, alors que les AS sont sur un tabouret ou un coin de table. J’ai noté également que les professionnelles d’origine étrangère avaient tendance à se regrouper, même si leurs origines peuvent être très différentes.

L’I.M. : La qualité des interactions entre professionnels fonde-t-elle, selon vous, l’appartenance à un collectif de travail ?

C. L. : Je crois que la dynamique d’un collectif de travail dépend de la capacité de l’encadrement à créer une cohésion, à construire le sens de ce qui est fait autour de valeurs communes pour animer le groupe. Il me semble important de se centrer sur l’objectif patient pour guider les soins et élaborer une organisation cohérente. Parmi les personnels hospitaliers, la communication est plutôt bonne au sein des équipes paramédicales. Il faudrait en revanche améliorer les choses avec les autres collaborateurs, et notamment les médecins, qui ont leurs propres contraintes. Tout repose, il me semble, sur la proximité des échanges. Rien ne remplacera une conversation en face à face…

L’I.M. : Que peuvent faire les cadres pour que les professionnels communiquent mieux ?

C. L. : Rien ne se fera sans le respect, la reconnaissance du travail de chacun et la proximité… Instaurer des temps d’échange me semble une étape incontournable : lors des transmissions infirmières au moment de la relève, mais aussi lors d’un point médical de calage le matin avec des représentants des différents métiers, des staffs pluridisciplinaires, etc. Il me semble par ailleurs important d’insister sur la traçabilité des informations. Les données recueillies sur le patient, les comptes-rendus et les différentes évaluations doivent être inscrits et mis à disposition de tous les intervenants. Une difficulté à communiquer entre soignants et l’absence de réflexion commune n’a pas de répercussion directe sur la réalisation des soins prescrits. En revanche, les soins relationnels s’en trouvent fragilisés. Quand on ne sait pas ce que le médecin a dit au patient ou à la famille, en oncologie par exemple, il est beaucoup plus difficile d’entrer en relation avec eux et de les accompagner dans leur prise en soin. Hélas, les contraintes budgétaires rendent cette coordination de plus en plus compliquée. Les relations humaines se résument de plus en plus régulièrement à la messagerie des ordinateurs et des téléphones, ce qui ne peut en aucun cas être qualifié de communication, un terme largement dévoyé dans notre quotidien professionnel voire personnel.

1 - Chantal Laurens, « Les interactions soignantes à l’hôpital. La relève interéquipe, moment clé de communication », Éd. Seli Arslan, 2016.