L’INVITÉ
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La dernière fois que je l’ai vu, c’était un homme. De chair, d’os et de tristesse. À présent… je ne sais plus. C’est un mort, assurément. Un cadavre, peut-être pas encore, un pendu, le mot me fait si mal. On le rabâche sans cesse mais le suicide n’est pas un choix, c’est une absence de choix. C’est l’absence de solutions alternatives aux emmerdes de la vie qui laisse croire que le suicide est la réponse. Nous, institution psychiatrique, sommes souvent les ultimes remparts du passage à l’acte. Nous devons l’empêcher, le rendre impossible, puis quand la crise est passée, permettre l’élaboration d’alternatives. Mais de quels moyens disposons-nous ? Le suicidaire ne s’affirme pas souvent en tant que tel, il faut procéder par observation, questionnements, analyses. Un faisceau de soupçons nous aide à tirer le signal d’alarme mais il subsiste toujours une part de doute. Les chambres d’isolement qui privent le patient de l’accès aux objets permettant de commettre l’irréparable, tout comme les sédations massives au Loxapac, ont probablement empêché des centaines de décès. Mais cela appartient à la vieille psychiatrie. Aujourd’hui, l’isolement et la contention sont jugés obscènes, mis au rang de pratiques quasi médiévales… Nos jeunes psychiatres sont ambivalents sur ces pratiques et lorsqu’ils les prescrivent, c’est souvent sous pression de l’équipe soignante qui, par expérience, ne voit malheureusement pas d’autre façon d’agir. Craignant plus de passer pour des bourreaux que pour des sauveurs, ils se défaussent trop souvent sur l’équipe infirmière. Pourtant, ils ne sont pas non plus fautifs, ils sont les victimes d’une psychiatrie qui se cherche. Et cela donne : « Je m’inquiète vraiment pour M.Untel, vous direz à l’équipe de nuit d’assurer une surveillance horaire. » Terrible consigne, illusion de la sécurité qui tend à faire peser sur les épaules infirmières un poids trop lourd à porter. La nuit, deux infirmiers, 25 patients en phase aiguë, ajoutez à cela des surveillances horaires… Les IDE ne sont pas des super-héros. Monsieur était vivant quand je l’ai aperçu à 3 h du matin. Dans la pénombre, nos regards se sont croisés, je n’ai rien soupçonné. Lui était avec sa cigarette, marchant au ralenti vers le fumoir glacial. Quand à 4 h, j’ai vu la cordelette dépasser du haut de sa porte, j’ai tout de suite su. Il avait 35 ans… France Inter titrait l’autre jour : « Les psychiatres dont un patient s’est donné la mort, vivent mal “l’après” suicide. » Et les infirmières, vous pensez qu’elles vont bien ?