FORMATION
REVUE DE LA LITTÉRATURE
EMMANUELLE CARTRON* VALÉRIE BERGER**
*IDE, Ph. Ds.
**coordonnatrice de la recherche en soins CHU de Nantes
*** membre de la CNCPR.
****IDE, Ph. D.
*****cadre supérieure de santé
******coordonnatrice de la recherche en soins CHU de Bordeaux
*******membre de la CNCPR
********maître de conférences associé temporaire, université de Bordeaux.
Le syndrome post-ponction lombaire (SPPL) correspond à des céphalées très invalidantes survenant dans les cinq jours suivant une ponction lombaire (PL) réussie, c’est-à-dire qui permet un écoulement de liquide céphalorachidien (LCR). Selon l’International Headache Society (1), le SPPL correspond à la survenue de céphalées après une PL, s’aggravant dans les quinze minutes qui suivent le lever et diminuant quinze minutes après le coucher.
Près de 90 % des SPPL débutent avant soixantedouze heures et 66 % dans les quarante-huit heures (2) après une PL. Elles peuvent être accompagnées de nausées, raideur nucale, photophobie, acouphènes ou hypoacousie. Le SPPL concerne un à 36 % des PL selon les modalités de l’examen et les facteurs de risque du patient (être âgé de moins de 30 ans, être une femme, avoir des antécédents de céphalées chroniques) (3). Dans 95 % des cas, les céphalées disparaissent avant une semaine (1).
Le SPPL peut rendre l’orthostatisme impossible, dégrader la qualité de vie des patients contraints à garder cette position allongée antalgique, prolonger l’hospitalisation et être responsable d’arrêts de travail (2).
Le SPPL serait lié à la fuite de LCR par le trou créé dans la dure-mère et l’arachnoïde entraînant une hypotension intrathécale compensée par une vasodilatation des vaisseaux cérébraux à forte innervation sensitive (2). Certains traitements médicamenteux ont démontré leur efficacité : caféine, gabapentine, théophylline et hydrocortisone (4) ; le blood patch, correspondant à l’injection de sang autologue dans l’espace péridural lombaire, est également utilisé (5).
Afin de prévenir le SPPL, des mesures concernant la procédure de la ponction ont prouvé leur efficacité : diamètre et type d’aiguille (la pointe de forme conique dite aussi “pointe crayon”), position parallèle du biseau par rapport aux fibres de la duremère et replacement du stylet lors du retrait de l’aiguille (3). Mais ces recommandations peuvent être suivies de façon aléatoire selon le praticien qui réalise la ponction et relèvent surtout d’une décision médicale.
D’autres mesures sont couramment pratiquées après une PL : il s’agit de conseiller au patient de rester couché et d’augmenter ses apports hydriques immédiatement après la PL (6). Ces conseils sont relayés par l’IDE dans le cadre de son rôle propre : « surveillance de patients ayant fait l’objet de ponction à visée diagnostique ou thérapeutique »(7).
Cette mesure est fondée sur une approche biomédicale basée sur l’hypothèse que la majoration de la production de LCR par l’ingestion importante d’eau dans les suites immédiates de la PL permettrait le rétablissement de l’équilibre hydrostatique et la diminution de la vasodilatation des vaisseaux cérébraux irritant les terminaisons nerveuses sensitives (2).
Par ailleurs, ce suivi est chronophage pour les soignants : temps d’explication, remise des carafes d’eau, aide du patient lors du décubitus, gestion de l’anxiété générée par le SPPL. Ces mesures de prévention sont aussi source d’inconfort pour le patient puisqu’il lui est conseillé de ne pas bouger pendant plusieurs heures et de boire deux litres d’eau en deux heures. Pourtant, ces conseils varient beaucoup selon les contextes de soins et les modalités de mise en œuvre : durée du décubitus, volume d’eau conseillé, voie d’administration, débit. Cependant, d’après une enquête téléphonique réalisée auprès de services de neurologie et de maladies infectieuses de plusieurs établissements de santé, les pratiques professionnelles décrites pour prévenir le SPPL sont très hétérogènes : décubitus dorsal pendant deux heures, ou six heures, boire deux litres d’eau en deux heures, ou un litre d’eau en une heure, ou deux litres d’eau en quatre heures. L’objectif de cette revue de littérature est donc de recenser les données scientifiques sur l’efficacité des conseils de décubitus et d’hyperhydratation orale en prophylaxie du SPPL afin de répondre à la question : faut-il conseiller aux patients de rester couché et boire beaucoup d’eau après une PL ?
Les bases de données Pubmed et Cumulative index nursing and allied healthcare (Cinahl) ont été choisies pour rechercher des données scientifiques car elles recensent la majorité des revues scientifiques dans le domaine de la santé, y compris en soins infirmiers. L’outil Pico (Patient, Intervention, Compare to, Outcomes) a été utilisé pour choisir les mots-clés anglais dans le thésaurus des MeSH (Medical Subject Headings) utilisés par ces bases de données. Ils ont servi à construire une équation de recherche nécessaire pour explorer ces bases de données : (« post puncture lumbar syndrome » AND « fluid therapy ») OR (« post puncture lumbar syndrome/prevention »).
Dans un premier temps, nous avons recherché si d’autres auteurs avaient déjà réalisé ce travail de revue de littérature, parfois appelé « méta-analyse » lorsqu’une synthèse statistique est réalisée. Partant du principe que les articles de méta-analyse auraient déjà recensé les articles parus avant la date de leur publication, nous avons alors poursuivi notre recherche en recensant uniquement les articles parus après cette date.
La recherche d’articles sur les deux bases de données a permis de retrouver 217 références parmi lesquelles 85 étaient des doublons. Au total, 132 articles ont donc été retenus pour le processus de sélection. À la lecture des titres et des résumés, 100 articles n’ont pas été gardés car leur sujet ne concernait pas le décubitus dorsal ou l’hyperhydratation en prévention du SPPL. La majorité de ces articles avait pour sujets les traitements des céphalées post-PL ou la prévention du SPPL par le choix de l’aiguille à PL. Les aiguilles atraumatiques, sans biseau et de forme conique, appelées aussi en “pointe crayon”, sont jugées efficaces pour prévenir le SPPL. Parmi les 32 articles sélectionnés, dix articles étaient des revues de littérature ou méta-analyses; la dernière a été publiée en mars 2016 par le groupe Cochrane (8). Cet organisme international mène des travaux de revues de littérature dans plusieurs domaines de la santé et les publie pour fournir aux professionnels de santé des synthèses des données scientifiques, utiles dans leurs prises de décision. Selon cette méta-analyse, il y a suffisamment de données scientifiques pour conclure que le décubitus après une PL n’est pas efficace pour prévenir un SPPL. Cependant, concernant l’hyperhydratation, la seule étude retrouvée par les auteurs datait de 1988.
Les résultats semblent démontrer que l’hyperhydratation est inefficace mais cette étude présentait plusieurs imperfections : taille de l’échantillon réduit (100 patients), l’aiguille utilisée (type et diamètre) n’était pas tracée (9). D’autre part, le volume d’eau ingéré n’était pas vérifié. Il était donc impossible de conclure sur l’efficacité de cette mesure.
Après 2016, l’équation de recherche rapporte cinq articles de recherche : quatre concernent le décubitus et un l’hyperhydratation intraveineuse avant et après une PL (10), ce qui ne correspond pas à notre question de recherche. Les conclusions des quatre articles confirment la non-efficacité du décubitus dorsal post- PL en prévention d’un SPPL (voir figure 1).
À l’heure où les sciences infirmières souhaitent se saisir des possibilités de mener des travaux de recherche pour permettre l’amélioration des soins, plusieurs actes infirmiers mériteraient d’être questionnés sous l’angle de la pratique fondée sur les données probantes. Alors que le décubitus strict en prévention d’un SPPL ne devrait plus être proposé au patient, l’hyperhydratation orale nécessite, quant à elle, d’être évaluée par d’autres recherches. C’est dans cette perspective qu’a été développé le projet de recherche Prophydra, « évaluation de l’efficacité de l’hyperhydratation orale en prophylaxie du syndrome post-ponction lombaire ».
Ce projet a obtenu un financement au Programme hospitalier de recherche infirmière et paramédicale (PHRIP) en 2015. L’objectif était de comparer deux stratégies de prise en charge après une PL : pas de conseil particulier versus conseiller une hyperhydratation de deux litres d’eau dans les deux heures qui suivent la PL. À ce jour, les 554 patients prévus pour cette étude ont été inclus dans huit centres du Grand-Ouest. L’analyse des données est désormais en cours.
Les résultats de cet essai contrôlé randomisé permettront d’actualiser les connaissances sur la prévention du SPPL par l’hyperhydratation.
Cette revue de littérature a donc permis de mettre à jour les connaissances scientifiques dans la prévention du SPPL. Ces données participent à la prise de décision des professionnels et des patients. Le décubitus dorsal n’est donc pas efficace et il est inutile de le proposer.
Cependant, dans un modèle de prise de décision infirmière basée sur les données probantes, aussi appelée Evidence based nursing, l’avis du patient et le jugement clinique du professionnel sont aussi à considérer. Par exemple, si un patient à la suite d’une PL programmée en hôpital de jour, exprime une anxiété majeure vis-à-vis du risque de SPPL et souhaite rester allongé et boire beaucoup d’eau car il a trouvé cette information sur Internet, la décision de lui apporter des carafes d’eau et de prolonger sa présence en hôpital de jour pour garder le décubitus, nécessitera de mobiliser d’autres éléments que les données probantes. Le jugement clinique infirmier et les échanges avec le patient permettront d’envisager la meilleure décision à prendre pour diminuer son anxiété.
Les données issues de la recherche sont donc nécessaires pour proposer des soins infirmiers de qualité. Dans ce champ, il ne s’agit pas toujours d’avoir des données scientifiques sur l’efficacité de dispositif ou de techniques de soins; la recherche permet aussi d’évaluer des interventions infirmières guidées par des modèles théoriques infirmiers.
CHAQUE MOIS, UNE INFIRMIÈRE RÉALISE UNE REVUE DE LA LITTÉRATURE À PARTIR D’UN QUESTIONNEMENT SUR SA PRATIQUE ET VOUS LIVRE LE RÉSULTAT DE SES RECHERCHES.
EN PARTENARIAT AVEC : LA COMMISSION NATIONALE DES COORDONNATEURS PARAMÉDICAUX DE LA RECHERCHE
L’auteure déclare ne pas avoir de liens d’intérêts