L'infirmière Magazine n° 414 du 01/04/2020

 

FORMATION

L’ESSENTIEL

CÉLINE MADIOT*   SOLÈNE QUIRION**  


*MANIPULATRICES D’ÉLECTRORADIOLOGIE MÉDICALE

Patient insuffisamment informé, mal préparé… Une méconnaissance des pratiques en radiologie engendre des dysfonctionnements. Pour y remédier, des manipulatrices radio sont allées à la rencontre des infirmières afin d’échanger sur leurs métiers.

1. INTRODUCTION

Nous sommes manipulatrices en électroradiologie (MER) médicale depuis plus d’une dizaine d’années à l’Institut de cancérologie de l’Ouest, dans la région nantaise. Nous travaillons dans différents secteurs : dans l’imagerie dite “en coupes”, qui comprend le scanner et l’IRM (imagerie par résonance magnétique), mais aussi en radiologie conventionnelle, avec la mammographie et la radiologie standard.

Au quotidien, les patients nous confondent souvent avec les infirmières. En discutant avec eux, nous avons constaté qu’ils ne connaissent pas notre métier. Mais ils ne sont les seuls : plus globalement, nous nous sommes rendu compte que nous étions difficilement identifiées par le personnel au sein même de notre établissement. Nos services sont trop éloignés les uns des autres, nous avons peu de temps pour déjeuner et avons donc peu d’échanges avec les autres soignants. Nos nouvelles méthodes de travail ne permettent plus un déplacement inter-services : toutes les images radiologiques étant stockées sur le réseau informatique, il n’y a plus de films radiologiques et les médecins peuvent de leur bureau consulter les images réalisées.

Plus globalement, le manque d’identification du personnel travaillant au sein de notre établissement ne permet pas une bonne connaissance du métier, des pratiques et des contraintes de chacun.

Pourtant, au sein d’un établissement de santé, il est important de connaître les différents personnels de santé ainsi que leurs fonctions. C’est pourquoi nous avons voulu mener une action pour nous faire connaître auprès des infirmières des services de soins. En parallèle, à l’occasion du Salon infirmier qui a eu lieu en mai 2018 à Paris, nous avons réalisé une présentation intitulée « Renforcer la communication entre les manipulateurs radio et les infirmières ». Il nous a semblé que la publication de cet article était une opportunité intéressante de poursuivre notre travail.

2. LE CONSTAT

La méconnaissance du rôle de ses collègues a un impact à plusieurs niveaux : qualité des soins, hygiène, économies…

Impact sur la qualité

Vigilance accrue pour la confidentialité

Lors de la prise en charge d’un patient, le soignant ne devrait pas être interrompu pendant un soin, qu’il soit un manipulateur, une infirmière ou n’importe quel autre professionnel. Pendant notre activité, nous devons avoir un moyen de communication avec le personnel de l’établissement, en l’occurrence le téléphone, permettant de nous joindre à tout moment. Le téléphone est indispensable pour toute urgence mais il n’est pas toujours utilisé à bon escient. Nous avons plusieurs coups de fil inutiles par jour, par exemple pour obtenir un compte-rendu, pour un rendez-vous à programmer… Conséquence de cela : un patient doit parfois attendre dans la salle d’examen lorsque nous sommes obligés de sortir de celle-ci pour prendre une communication au sujet d’un autre patient. Car il nous faut rester vigilant pour respecter la confidentialité et ne pas divulguer d’informations médicales. Nous sommes de plus moins disponibles.

Incidence des interruptions de tâches

→ Moindre concentration. Pendant nos vacations, nous sommes ponctuellement interrompues par le téléphone, par les infirmières qui nous demandent des renseignements concernant la préparation ou le déroulement d’un examen de radiologie. Il en est de même pour les infirmières dans leur travail lors de la prise en charge du patient. Cela crée un dysfonctionnement dans l’organisation des soins. Interrompre un manipulateur peut engendrer un retard sur la vacation et induire des tensions dans l’équipe.

→ Cela peut également être une source d’erreur sur les examens en raison d’une précipitation. Les risques d’erreur les plus fréquents concernent : l’identitovigilance; l’identification du produit à injecter ; le dosage du produit ; le type d’examen à réaliser… Il peut aussi y avoir un manque de surveillance ou de vigilance sur les contre-indications.

→ Concernant l’hygiène, répondre au téléphone durant un soin impose un nouveau lavage des mains et/ou un changement de gants, ce qui génère une perte de temps.

Effet économique et organisationnel

Si le patient a été mal préparé, n’est pas pré-médiqué et développe une allergie à un produit de contraste, une annulation ou un report d’examen peut s’avérer nécessaire. L’impact économique (baisse d’activité) et organisationnel est alors sensible. Or, avec un coût d’investissement et des délais de rendez-vous importants, la machine ne peut être sous-exploitée.

Conséquences pour le patient

Pour le patient, venir avec des informations partielles à son examen peut avoir des effets anxiogènes, et notamment entraîner un manque de confiance dans le personnel soignant. Quand un patient a été mal informé en amont pour passer son examen, il peut se montrer stressé.

Nous sommes dans un centre de lutte contre le cancer, et les patients suivis ont des pathologies lourdes et de longue durée, ils ont donc besoin de soutien et d’écoute pendant leur prise en charge.

3. ANALYSE ET MÉTHODE

Passation d’un questionnaire

Nous avons poursuivi notre analyse avec une enquête par questionnaire (voir encadré p.38) sur la connaissance de notre métier. Il a été envoyé aux infirmières de l’établissement où nous travaillons, des IDE de chirurgie, de l’hôpital de jour et de médecine.

Résultats

Dans les réponses obtenues, la majorité des infirmières interrogées connaissent le métier de manipulateur ainsi que la signification du sigle MER. Mais elles sont près de la moitié à penser que les étudiants ignorent en quoi consiste ce métier. Ils n’ont donc pas assez de connaissances précises sur les examens de radiologie et sur les contre-indications. De fait, la formation des IDE n’aborde pas notre métier, il n’y a pas de rencontre avec les manipulateurs radio pendant le cursus des étudiants en soins infirmiers (ESI). Il pourrait être intéressant que ces derniers viennent visiter un service d’imagerie ou accompagner les patients lors de leur examen.

Nous avons également remarqué que la majorité des personnes, qu’elles travaillent ou non dans le médical, ont très peu de connaissances sur notre métier ainsi que sur les examens. L’exemple le plus marquant est le flou entre deux techniques d’imagerie, le scanner et l’IRM, souvent confondus par leur aspect imposant (voir p. 40).

D’après notre questionnaire, la quasi-totalité des infirmières interrogées (35/38) estiment qu’elles ne savent pas expliquer les examens de radio aux patients, leur déroulement, leur durée, la manutention, les effets indésirables potentiels… Ci-après voici quelques exemples de dysfonctionnements concernant la prise en charge du patient qui nous sont remontés après notre questionnaire.

→ L’environnement de nos salles d’examen manque souvent de sens pour nos collègues. L’infirmière peut par exemple rassurer un patient algique en lui indiquant que l’examen sera fait dans son lit, alors qu’il n’en est rien : le patient arrivera dans son lit mais sera transféré sur un brancard amagnétique pour entrer en salle d’IRM, puis sera à nouveau transféré sur la table d’examen. En effet, l’aimant est au coeur du fonctionnement de l’appareil IRM. Son rôle est de produire le champ magnétique et il utilise des ondes de radiofréquence. Il ne faut donc pas de perturbations électromagnétiques sources d’accident par déplacement d’objets (voir photo de droite, p. 39). Il faut savoir que les brancards, les lits, les objets métalliques, les seringues électriques, les bouteilles d’oxygène, les fauteuils roulants (sauf pour les fauteuils et brancards amagnétiques) sont interdits dans la salle de l’IRM.

→ Les modes opératoires ont changé. Auparavant, le patient devait être à jeun pour un examen standard d’abdomen, de scanner ou d’IRM, alors que ce n’est plus nécessaire. Mais certains professionnels de santé n’en ont pas été informés.

Notre démarche et les différents constats ont été appréciés par les visiteurs lors de leur présentation au Salon Infirmier 2018. Nous avons eu un retour positif, notamment des infirmières, lesquelles n’ont pas, de leur côté, l’impression d’être entendues par les manipulateurs radio de leur établissement.

4. AXES D’AMÉLIORATION ET DE RÉFLEXION

Face à toutes ces “perturbations” au travail et face au stress des patients devant bénéficier d’examens d’imagerie, nous avons discuté avec notre cadre de santé, qui nous a suggéré d’aller à la rencontre des IDE de notre établissement.

Restaurer la confiance

Première étape : échanger

Nous avons échangé avec les infirmières autour d’un café. Elles ont été ravies de notre démarche puisqu’on ne se connaît pas. Elles nous ont exposé leur façon de travailler et détaillé leurs contraintes.

Elles nous ont par exemple demandé de faire les examens tôt dans la matinée, pour libérer un lit si le patient est sortant, ou avant de commencer un traitement de chimiothérapie. Les infirmières ont pu également poser des questions sur notre travail au quotidien. Cette rencontre nous a permis de changer notre prise en charge du patient sur différents aspects.

Meilleure collaboration

De manière très concrète, nous avons préparé, à la demande des infirmières, des fiches explicatives sur les différents examens d’imagerie ainsi que sur les machines utilisées. Cette démarche permet une meilleure collaboration infirmière/manipulateur radio, puis une meilleure prise en charge du patient. Les infirmières expliquent brièvement les examens en amont au patient sur la base d’informations exactes. Ce dernier peut alors appréhender son examen avec plus de sérénité. Lors de leur prise en charge en imagerie, les manipulateurs expliquent ensuite de façon plus détaillée les examens de radiologie.

Optimiser le temps

→ La préparation d’un patient pour un examen spécifique de radiologie est très importante. Elle est sécurisante et permet un gain de temps considérable sur la prise en charge avant l’examen pour les manipulateurs. Une préparation optimale pour un patient hospitalisé requiert :

- s’il est algique, une prémédication par un antidouleur ;

- en cas d’allergie au produit de contraste, une prémédication par un anxiolytique, un antihistaminique;

- une tenue adéquate (pas de bijoux, blouse d’examen pour les hospitalisés) ;

- la mise en place d’un cathéter court.

→ Afin de faciliter la prise de rendez-vous, notre établissement a mis en place une organisation interne. Elle consiste en une réunion pluridisciplinaire avec la présence d’un chirurgien, d’un anesthésiste, d’une infirmière, de la secrétaire de chirurgie et des manipulateurs d’imagerie et de médecine nucléaire. Ce staff permet d’organiser la prise en charge d’un patient pour sa journée d’hospitalisation.

Pour notre part, nous sommes présents pour la programmation des repérages en mammographie avant l’intervention et avant les actes de médecine nucléaire comme les ganglions sentinelles. Ce staff permet aussi de vérifier que les horaires d’arrivée et de rendez-vous sont cohérents.

Gain en qualité des soins

Pour un examen de qualité, il faut que le patient soit coopérant et adhère au soin apporté. Nous sommes plus disponibles pour le patient et/ou un proche, l’examen se déroule plus rapidement et dans une ambiance plus sereine, car il est plus moins stressé. Il comprend l’intérêt de son examen, son déroulement. Il était important de connaître les besoins et les contraintes de chacun pour maintenir une bonne collaboration et une bonne relation entre les collègues. Lors de l’hospitalisation d’un patient “compliqué”, en raison de sa douleur ou de l’anxiété d’un proche omniprésent, il est confortable de pouvoir en discuter et d’avoir des conseils de prise en charge avec l’infirmière qui s’en occupe.

4. CONCLUSION

Ce travail nous a permis d’aller à la rencontre de nos collègues IDE et aides-soignants. Les rapports entre nous ne sont donc plus impersonnels. Nous aimerions continuer nos échanges plusieurs fois dans l’année. Nous invitons les infirmières à découvrir notre environnement de travail, et aimerions proposer aux Ifsi que des manipulateurs viennent parler de leur métier. Les bonnes relations entre le service d’imagerie et les services de soins conditionnent l’image que renvoie le centre aux patients. Une bonne cohésion entre les différents personnels de santé rassure les patients et leur entourage car les soignants sont capables de communiquer entre eux pour une meilleure prise en charge.

PROFESSION

Manipulateurs en radiologie

→ Après l’obtention du bac, un étudiant peut présenter son dossier ou passer un concours pour entrer dans une école dédiée à la formation de manipulateur radio en trois ans, sanctionnée par un diplôme d’État de manipulateur d’électroradiologie médicale ou un diplôme de technicien supérieur d’imagerie médicale et radiologie thérapeutique.

→ Pendant le cursus, la formation propose des stages (deux mille cent heures), des cours théoriques (idem) et le travail personnel est estimé à neuf cents heures réparties sur trois ans.

→ Un manipulateur diplômé peut exercer dans plusieurs domaines d’activité. Il peut travailler en radiothérapie, en médecine nucléaire ou en imagerie médicale.

→ Au-delà du côté technique que nous apprenons à l’école, nous faisons également des soins infirmiers, notamment les pansements, la pose de perfusions et, actuellement, les manipulateurs dans notre service font les ECG avec pose d’électrodes.

TRAÇABILITÉ

Encourager la déclaration d’EI

→ Depuis quelques années, des procédures permettant une traçabilité des événements indésirables (EI) ont été mises en place dans notre structure, l’Institut de cancérologie de l’Ouest. Ces EI relatent des problèmes identifiés dans différents domaines : accident du travail, actes de violence (verbale, écrite, physique…), anomalie d’identité (doublon, collision, identito-vigilance), autres EI (locaux, logistiques, etc.), biologie (prélèvement, acheminement, résultats, etc.), chute de patient, dispositif médical/équipement biomédical, essais cliniques, imagerie, infection, informatique, médecine nucléaire, médicament, radioprotection (personnel, public, environnement), radiothérapie et transfusion.

→ Une charte d’encouragement à la déclaration des événements indésirables associés aux soins, a été élaborée explicitant la démarche : « Le développement d’un établissement sûr, inspirant confiance à ses patients, se fonde sur l’expérience tirée, jour après jour, intervention après intervention, des événements pouvant affecter la sécurité des soins. (…) Nous insistons pour que chaque agent, quelle que soit sa fonction dans l’établissement, s’implique dans cette logique de retour d’expérience qui contribue à notre recherche permanente du plus haut niveau de sécurité de notre activité. »