L'infirmière Magazine n° 415 du 01/05/2020

 

PRESCRIPTION D’ANTIBIOTIQUES

ACTUALITÉS

FOCUS

LAURE MARTIN  

La chaire de recherche en sciences infirmières de l’université Paris-XIII a lancé, en 2019, une série d’études destinées à analyser et faire évoluer le rôle des infirmières en Ehpad. Objectif : tendre vers une juste prescription d’antibiotiques dans les cas d’infection urinaire. Les premières conclusions se font connaître.

En Ehpad, il relève du rôle de l’infirmière d’alerter les médecins de ville en cas de suspicion d’infection urinaire chez les résidents. « Lorsque l’IDE soupçonne une infection et en informe le médecin, ce dernier peut également la pressentir, souligne Monique Rothan-Tondeur, titulaire de la chaire de recherche en sciences infirmières de l’université Paris-XIII. L’infirmière joue alors un rôle dans la prescription d’antibiotiques, et donc dans les stratégies de réduction de leur consommation et de lutte contre l’antibiorésistance. »

L’importance d’une bonne communication

Dans le cadre des différentes études menées par la chaire de recherche, un aspect déterminant est pointé du doigt : celui de la communication entre les IDE et les médecins. « Je travaille sur un nouveau modèle de communication cybernétique, afin d’améliorer les échanges entre l’infirmière et le médecin au cours de la prescription », explique Taghrid Chaaban El Hajj, infirmière, chef du département de sciences infirmières à l’Université islamique du Liban et doctorante au sein de la chaire de recherche en sciences infirmières de Paris-XIII. Et l’IDE de poursuivre : « Pour être interactive et optimale, cette communication doit reposer sur les connaissances théoriques et le jugement clinique de l’infirmière, mais aussi sur les compétences du médecin dans le diagnostic et la décision de traitement. »

En pratique, pour le moment, la réalité est tout autre car « l’assertivité infirmière » peut constituer un frein à cette communication collaborative et, par conséquent, à la bonne prescription.

Identifier une IDE meneuse

« Dans le cadre de nos études, nous constatons que cette posture infirmière est en train de changer, mais pas aussi vite que nous le souhaiterions, soutient Mathieu Ahouah, également doctorant au sein de la chaire de recherche. Les infirmières ne s’autorisent pas la réflexion. Souvent, elles estiment que puisqu’elles n’ont pas légalement le droit de prescription, le médecin finira par prescrire comme il le veut. » Pour pallier cette situation et travailler sur le leadership infirmier, l’instauration de protocoles incitatifs couplés à des arbres décisionnels peut être une option.

« Il faudrait aussi éventuellement identifier, au sein de l’Ehpad, une infirmière leader, qui aurait davantage de connaissances sur l’antibiothérapie en cas d’infection urinaire et qui accepterait de prendre la main sur la communication avec le médecin », explique Monique Rothan-Tondeur.

Ce positionnement de l’IDE peut être travaillé dès la formation initiale, notamment dans le cadre d’un décloisonnement de la formation des médecins et des infirmières, afin de conduire à un travail davantage collaboratif. L’universitarisation des études infirmières en France peut d’ailleurs y contribuer, même si elle est encore récente.

L’enjeu de la formation

Les connaissances des IDE dans ce domaine sont déterminantes car les études révèlent que « si l’infirmière tient une argumentation scientifique, le médecin sera davantage ouvert à discuter de la décision de la prescription », rapporte Taghrid Chaaban El Hajj. Or, la plupart d’entre elles n’ont pas bénéficié de formation poussée sur l’usage des antibiotiques. « Il faut intervenir sur la formation initiale et continue, estime le Dr Ahouah. Mais il faut aussi que les IDE d’elles-mêmes se forment. » Actuellement, 23 Ehpad participent à l’étude de la chaire de santé, soit une quarantaine d’IDE titulaires. Les infirmières de dix d’entre eux vont bénéficier d’un accompagnement à la formation, avec la mise à disposition d’un site internet dédié, doté d’une plateforme de e-learning, un accès à des quiz et à des posters. Avec cette étude, « nous allons comparer la différence de posture entre les IDE qui ont eu accès à la formation et les autres, précise Mathieu Ahouah. Nous allons aussi interroger les médecins traitants, qui ne sont pas informés de cette formation, pour savoir s’ils constatent des changements dans la communication des IDE. » Le critère de jugement sera la quantité d’antibiotiques prescrits pour les infections urinaires. L’étude devrait s’achever en fin d’année et les résultats seront rendus publics début 2021.