Être infirmière et enceinte ne fait pas toujours bon ménage. Pour que toutes les solutions soient mises en œuvre au sein du service pour protéger le bébé à naître et sa maman, mieux vaut prévenir que guérir.
Les mesures concernant les femmes enceintes doivent être portées par une politique institutionnelle mais il faut ensuite en parler avec l’équipe au sein du service pour qu’elles ne soient pas source de tension », conseille Catherine Prigent, cadre de santé au CHRU de Tours (37). L’infirmière qui a un projet de grossesse doit prévenir les ressources humaines de sa structure et la médecine du travail le plus tôt possible, afin de permettre à l’équipe d’anticiper l’organisation à venir.
« Si l’infirmière attend d’être enceinte de deux ou trois mois avant d’en informer son employeur, les mesures de prévention des risques pour la formation des organes du fœtus seront prises trop tard, fait savoir Stéphane Malard, conseiller médical en santé au travail à l’institut national de recherche et de sécurité (INRS). Les deux premiers mois de grossesse constituent en effet une phase critique du développement embryonnaire, durant laquelle les expositions professionnelles peuvent avoir un impact majeur conduisant à des pertes embryonnaires ou des malformations du fœtus. » « Quand une infirmière est enceinte, elle attend toujours trois mois pour l’annoncer, confirme Chrystelle Croitor, cadre de santé à l’unité de soins prolongés complexes de l’hôpital Sainte-Périne (AP-HP) et ancienne cadre de santé de nuit dans un hôpital gériatrique. Pourtant, j’encourage les IDE enceintes à le dire rapidement, parce que, naturellement, les soignants vont faire attention à elles et surtout, cela nous permet de mettre en place des mesures adaptées pour leur travail. » D’ailleurs, dès que Chrystelle Croitor apprend la grossesse d’une des infirmières de son service, elle lui rappelle les risques de son poste, l’encourage à ne pas porter de charges lourdes et l’envoie à la médecine du travail.
Les mesures de prévention recommandées par le médecin du travail « sont adaptées aux résultats de l’évaluation globale des risques liés au poste de l’infirmière, cette évaluation étant cadrée réglementairement et de la responsabilité de l’employeur », indique le Dr Malard.
• L’infirmière de santé au travail (Idest) possède, d’ailleurs, un rôle fondamental dans l’équipe pluridisciplinaire de santé au travail. c’est souvent elle qui assure les visites d’information et de prévention (VIP), organisées dans les trois mois qui suivent l’embauche pour les salariées ne justifiant pas d’un suivi individuel renforcé. Lors de ce rendez-vous, entre autres actions, elle informe les femmes en âge de procréer des risques liés à une grossesse et les sensibilise aux moyens de prévention qui doivent être mis en œuvre.
• Après la VIP avec l’Idest, en cas de grossesse, la salariée est orientée sans délai vers le médecin du travail. Pour les salariées nécessitant un suivi individuel renforcé, l’idest peut aussi réaliser des visites intermédiaires, l’occasion de renouveler l’information sur les risques et leur prévention. L’information anticipée est d’autant plus importante que d’un point de vue réglementaire, la femme enceinte n’a pas l’obligation de déclarer sa grossesse à son employeur. Pourtant, « pour que les dispositions réglementaires les protégeant puissent s’appliquer, elle se doit de le faire le plus tôt possible », fait savoir le Dr Malard.
Certains risques réglementés sont mentionnés dans le document unique de l’établissement et font l’objet de mesures d’interdiction d’affectation à condition, une fois de plus, que l’employeur soit informé de la grossesse de sa salariée et que l’évaluation préalable de l’infirmière enceinte ait été réalisée. La démarche de prévention destinée à protéger les infirmières enceintes doit tenir compte de l’ensemble des risques liés au poste de travail. Les soignants en général et les IDE en particulier, interviennent dans un contexte de poly-expositions qui associe des risques chimiques, physiques, biologiques, ainsi que des contraintes organisationnelles.
• Concernant les risques chimiques, on peut citer par exemple les gaz anesthésiques au bloc ou les cytostatiques dans les services d’oncologie. « Des études ont montré la présence de cytostatiques sur la face externe des poches de perfusion de chimiothérapie, fait savoir Stéphane Malard. Certaines tâches peuvent donc être source de contamination pour les infirmières et porter atteinte au bon déroulement de la grossesse. » « Dans notre service, on veille à ce que l’IDE enceinte ne soit pas en contact avec des traitements tératogènes, notamment parce que nous manipulons des immunosuppresseurs », explique Chrystelle Croitor. De même qu’il lui est interdit de rentrer dans la chambre d’un patient venant de passer une scintigraphie osseuse et ayant donc reçu une injection d’un produit radio-actif. Les infirmières peuvent aussi être en contact avec des draps souillés, source de contamination.
• En puériculture, les IDE sont exposées à des risques biologiques particuliers, comme le cytomégalovirus (CMV). « L’information sur les risques propres au CMV dans le contexte de la grossesse, sur les modes de contamination et les mesures de prévention est fondamentale pour les IDE travaillant au contact de jeunes enfants », insiste le Dr Malard.
Les contraintes organisationnelles doivent aussi être prises en compte car le travail de nuit et le travail posté « peuvent être générateurs d’avortement spontané, de prématurité et de retard de croissance intra-utérin », informe Stéphane Malard.
• D’ailleurs, le médecin du travail peut proposer une adaptation ou un changement temporaire de poste selon l’état de santé de la salariée et des contraintes organisationnelles du service. « En pratique, je n’ai jamais eu d’appel de la part de la médecine du travail me demandant une adaptation du poste pour une infirmière enceinte dans mon service, rapporte Chrystelle Croitor. En revanche, je l’organise directement avec l’équipe. » Pour le service, l’organisation n’est pas difficile à mettre en place. « Ce qui est plus compliqué, c’est de faire accepter à l’infirmière enceinte de faire davantage attention, poursuit la cadre de santé. Souvent, elle se sent capable de faire des actes que nous lui déconseillons de faire. »
• Dès le 3e mois de grossesse, l’IDE dispose d’une « heure de grossesse », lui permettant de travailler une heure de moins par jour. « Dans les faits, l’encadrement s’applique à lui accorder en prenant en compte ses besoins et ceux des patients, explique Cidàlia Moussier, cadre supérieure de santé au CHRU de Tours. Il est souvent décidé d’accorder une demi-heure le matin et une demi-heure le soir, ce qui est plus facile pour l’organisation du service et souvent demandé par les infirmières enceintes. » en tout cas, cette heure n’est pas cumulable sur la semaine, la pénibilité devant être moindre tous les jours.
Ainsi, la prise en compte d’une grossesse dans un service relève du management. « C’est au cadre de santé de gérer les décisions qui s’imposent d’un point de vue technique, organisationnel, médical et humain, soutient Cidàlia Moussier. À titre d’exemple, je n’ai jamais fait faire de toilettes mortuaires à une femme enceinte, car cela peut être compliqué lorsqu’on s’apprête à donner la vie. » « Nous travaillons dans un milieu anxiogène, et de ce fait, souvent, grossesse et pathologies vont être associées, c’est lié à l’environnement. Mais au sein de l’équipe, tout le monde va être protecteur de l’infirmière enceinte et il faut retenir la nécessité d’une approche singulière de chaque professionnel », conclut catherine Prigent.
Un dépliant de l’INRS fait le point sur les effets dangereux des médicaments cytotoxiques, leurs modes de contamination, les effets possibles sur la santé et les mesures de prévention à adopter (extrait).
→ De nombreuses informations sont disponibles sur le site de l’INRS (www.inrs.fr) :
- « aide-mémoire juridique sur la grossesse, maternité et travail » (référence : TJ14) ;
- « Meopa, soulager les patients sans exposer les patients » (réf. : ED6365) ;
- « médicaments cytotoxiques et soignants, manipuler avec précaution » (réf. ED 6138) ;
- la base de données Eficatt ;
- le guide Demeter ;
- le dossier thématique « reproduction ».
Lorsqu’une infirmière qui vient d’accoucher reprend le travail, existe-t-il des mesures spécifiques si elle souhaite allaiter ?
• Une visite auprès du médecin du travail est prévue réglementairement pour toutes les salariées de retour de congé de maternité. cette visite, effectuée dans les huit jours suivant la reprise effective du travail, est notamment l’occasion de vérifier la compatibilité du poste en cas d’allaitement. Dans certains cas, l’infirmière peut être exposée à des solvants organiques qui passent facilement dans le lait maternel, s’y concentrent, et peuvent potentiellement intoxiquer le bébé. L’exposition d’une femme qui allaite à certains produits chimiques est interdite. il est facile de repérer ces produits à l’aide de leur étiquette qui porte les mentions « Peut nuire au fœtus » et/ou « Peut être nocif pour les bébés nourris au lait maternel ». Lors de la visite de reprise, le médecin du travail évalue la possibilité de réaffectation au poste initialement occupé et propose le cas échéant les aménagements nécessaires, voire une réaffectation temporaire. Par ailleurs, l’article 46 de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique prévoit que, pendant une année à compter du jour de la naissance, un fonctionnaire allaitant son enfant peut bénéficier d’un aménagement horaire d’une heure maximum par jour, sous réserve des nécessités du service.
Des mesures peuvent-elles être prises d’un point de vue organisationnel ?
• Des mesures peuvent être prises en cas de problématiques d’horaires et de travail de nuit. Ainsi, sur sa demande, ou si le médecin du travail constate que le poste de nuit est incompatible avec son état, la salariée enceinte ou ayant accouché, qui travaille la nuit, peut être affectée à un poste de jour, pendant la durée de sa grossesse et la période du congé post-natal. cette période de mutation peut même être prolongée d’un mois sur avis du médecin du travail. si l’employeur est dans l’impossibilité de proposer un poste de jour, il le notifie par écrit à la salariée ainsi qu’au médecin du travail et le contrat de travail est suspendu. La salariée bénéficie alors d’une garantie de rémunération composée d’une allocation journalière versée par la sécurité sociale et d’une indemnité complémentaire à la charge de l’employeur.
PROPOS RECUEILLIS PAR LAURE MARTIN