L'infirmière Magazine n° 415 du 01/05/2020

 

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HÉLOÏSE RAMBERT  

Karine Raymond est infirmière au « Montefiore Medical Center », à New York, spécialisée en cathétérisme cardiaque. Après avoir développé les symptômes du Covid-19 et été mise en quarantaine, elle a repris le travail dans l’hôpital du Bronx où elle exerce. Entretien.

Quelle est la situation dans votre hôpital ?

Même si les chiffres indiquent que la courbe des contaminations "s’aplatit", nous ne sentons aucun changement dans les services. Les patients affluent aux urgences, dans un état très critique, avec d’énormes difficultés respiratoires. Ils sont encore intubés à un rythme rapide et ils doivent attendre qu’un lit se libère. Nous sommes contraints d’ouvrir des lits partout où il y a de la place. Tous les services ont été transformés en services de réanimation pour faire face. C’est très, très dur pour nous, les infirmières. Alors que nous nous occupions habituellement de cinq patients par jour, nous devons désormais en prendre en charge dix par jour. J’ai 56 ans et je n’ai jamais vu ça. Jamais je n’aurais pensé devoir vivre une telle situation dans ma carrière.

Disposez-vous des moyens matériels et humains dont vous avez besoin ?

Non. New York a l’image d’une ville riche, mais il n’y a pas assez de lits d’hôpitaux. Seulement un lit pour 1000 habitants. Et pour le matériel, nous connaissons les mêmes manques que le reste du monde. Nous avons dû nous battre bec et ongles pour obtenir des équipements de protection contre la maladie. Quand, en janvier, nous avons vu ce qui se passait en Chine, nous nous sommes inquiétées de l’état de nos stocks de masques ou de surblouses. Mais on nous a assuré que nous étions prêts. Nous nous sommes vite aperçues que ce n’était pas le cas. Et on ne nous a pas donné les bonnes consignes. On nous a quand même dit au début qu’on ne devait pas porter de masque chirurgical !

Quelles sont les conséquences de cette pénurie ?

Tout le personnel hospitalier a été exposé à cette maladie que nous ne connaissons pas. J’ai présenté des signes de l’infection et j’ai dû être mise en quarantaine, comme deux de mes collègues qui sont asthmatiques. Heureusement, elles n’ont pas eu à être intubées. Mais elles ont contaminé leurs maris. C’est terrifiant : vous ne savez pas si vous allez finir comme les patients que vous traitez. Vous ne savez pas si vous allez rentrer chez vous et infecter votre famille, notamment vos aînés. Si les hôpitaux avaient mis en place une politique de prévention plus "agressive", je ne pense pas qu’autant de membres du personnel devraient maintenant être éloignés des hôpitaux, au moment où les besoins humains sont si grands. Devant la situation, notre syndicat (New York State Nurses Association, NDLR) a pu négocier des chambres d’hôtel pour les infirmières qui en avaient besoin.

Comment jugez-vous la gestion de la crise sanitaire aux États-Unis ?

Absolument pathétique. Le président Trump se félicite d’avoir fait tout ce qu’il fallait, en temps et en heure. Nous sommes pourtant dans la situation dans laquelle nous sommes.

EN CHIFFRES

→ Les États-Unis sont devenus le pays le plus touché par la pandémie de Covid-19 et le premier pays au monde à avoir dépassé la barre des 2000 morts en une journée.

→ L’état de New York est l’épicentre de l’épidémie.

→ Les hôpitaux new-yorkais sont en recherche de ventilateurs et d’autres équipements, de lits et de personnel.

→ Environ 300 infirmières d’autres états américains ont été recrutées au cours des trois dernières semaines pour venir prêter main forte aux infirmières des hôpitaux new-yorkais.

→ Le gouverneur Andrew Cuomo a néanmoins estimé que le pire de la crise sanitaire était passé : le nombre d’hospitalisations net (différence entre admissions et sorties) ralentit désormais.