Jamais l’hôpital n’aura été si chamboulé. La crise sanitaire lui aura pourtant permis de montrer des capacités de solidarité et d’adaptation inouïes. Retour en témoignages sur trois mois qui marqueront notre système de soins.
Si les hôpitaux alsaciens ont été pris par surprise par la vague épidémique après l’explosion du cluster de Mulhouse, les autres établissements français, notamment dans les régions moins touchées de l’Ouest du territoire, ont eu davantage de temps pour s’adapter et mettre en place des réorganisations d’urgence. En effet, le Plan blanc, annoncé dès le 6 mars, a permis de déprogrammer les interventions non urgentes et de réaffecter des moyens et des personnels vers des unités Covid.
Laurent Mathieu est Iade au centre hospitalier de Verdun (55). En temps normal, il partage son temps entre l’anesthésie, une consultation douleur et une délégation syndicale. « Depuis le début de l’épidémie, mon travail est à 100% en réanimation, raconte-t-il. Nous avons eu une première réunion peu avant le déclenchement du Plan blanc, dont l’imminence nous avait déjà été annoncée lors d’une réunion de CHSCT. Notre chef de pôle et l’encadrement nous ont expliqué que nous allions devoir nous réorganiser mais, spontanément, j’avais déjà opté pour l’idée de reprendre à temps plein mon activité en réanimation et de partir au front. »
Un secteur Covid d’une dizaine de lits est mis en place dans le service de pneumologie, puis deux services de chirurgie sont complètement réaffectés pour aboutir à 70 lits environ à la fin du mois de mars. Le service de réanimation, qui comptait huit lits, est pour sa part passé à 14 lits et six autres ont été ajoutés en salle de réveil. « On a débarqué avec tout le matériel d’anesthésie, et les respirateurs disponibles ont été réaffectés en réanimation, décrit l’infirmier. Il y a eu une grande vague spontanée de tous les services et encadrements pour faire le tour du matériel utilisable. J’ai également pu récupérer une grande partie des pompes à morphine pour les convertir en pompes à débit continu. Personne n’était préparé à devoir changer de service du jour au lendemain. Nous, les Iade, nous sommes peut-être plus adaptables grâce à notre formation et parce que nous avons habituellement une grande autonomie. »
Dominique est infirmière ressource dans un centre anti-douleur d’un CHU. « Quand le Plan blanc maximal a été déclenché le 13 mars, j’étais encore dans mon service et nous avons été prévenus de la nécessité de déprogrammer en deux jours toutes les consultations douleur, se souvient-elle. J’ai commencé à travailler dès le mardi suivant dans une unité Covid du CH de ma ville. J’ai été très agréablement surprise que ma direction me demande de m’occuper du soin relationnel pour aider les patients à passer le cap et gérer les états anxieux, notamment des personnes fortement dyspnéiques. Les personnels n’ont pas été considérés comme des pions qu’on déplace pour faire face à l’urgence mais les compétences de chacun ont été utilisées autant que possible. » Pour rassurer les patients, elle se sert des techniques qu’elle utilise en consultation anti-douleur, en dehors, évidemment, des techniques de respiration. Elle fait aussi le lien avec les familles qui ne peuvent visiter leur proche. « La séparation est très angoissante pour les familles, d’autant qu’elles vivent elles-mêmes en confinement et dans un contexte d’anxiété généralisé, décrit-elle. Tout ceci est complètement inédit pour tout le monde. Mais je suis très impressionnée par la force du travail en équipe, même si chacun est épuisé par la charge physique et émotionnelle. »
Joseph est infirmier dans un hôpital psychiatrique de la région lyonnaise. « Nous avons commencé à mettre en place les gestes barrière bien avant l’annonce du confi- nement et les visites ont été rapidement interdites. Seules les permissions de sortie étaient encore possibles », se remémore-t-il. Au déclenchement du Plan blanc, tous les patients dont l’état était compatible sont sortis, puis une unité Covid a été mise en place pour accueillir les patients de l’établissement qui seraient touchés. « N’ayant pas de personnes à risque à la maison, je me suis porté volontaire pour participer, raconte l’IDE. Nous étions très inquiets que nos patients psychiatriques ne puissent pas être pris en charge à l’hôpital en cas de Covid, car nous avions l’exemple italien en tête. Pendant quelques jours, nous avons eu des réunions où nous avons réappris à nous équiper et à nous protéger. Je trouve que nous avons été assez écoutés et les compétences de chacun ont été bien utilisées. En moins d’une semaine, le service a pu être construit. »
À Bordeaux, le CHU a pu mettre à profit son temps d’avance sur la vague épidémique pour s’organiser. Héléna Cuny, cadre de santé, y exerce habituellement comme chargée de mission « Parcours de patients ».
« Nous avons réorienté notre travail vers le suivi des parcours des patients Covid, indique-t-elle. Au CHU de Bordeaux, plusieurs unités Covid ont été mises en place : unités de soins critiques, unités de surveillance continue, unité d’hospitalisation conventionnelle, ainsi que des unités dans certaines filières, notamment en gériatrie et en soins de suite et de réadaptation. » Les fermetures temporaires de services ont permis de renforcer ces unités en soignants. « Dans notre cellule, passée de trois à dix personnes, nous réalisons un suivi quotidien, sept jours sur sept, des patients admis au CHU dès le moment où ils ont eu une PCR(1) positive ou un scanner thoracique évocateur de Covid, poursuit la cadre. Nous regardons à quel moment ils passent d’une unité à l’autre selon l’évolution de leur état. Nous remontons également les informations quantitatives et qualitatives auprès de la cellule de crise du CHU et du ministère de la Santé. » La mission travaille aussi en lien avec la plateforme Gironde de l’hospitalisation à domicile (HAD), qui regroupe les trois HAD du département, pour qu’elles puissent prendre en charge des patients Covid. « Il est trop tôt pour tirer toutes les leçons de cette expérience, mais je crois qu’on peut déjà dire que l’hôpital a su faire preuve de capacités d’adaptation et de solidarité vraiment énormes », note Héléna Cuny.
À Bordeaux toujours, Elisabeth Boulay est cadre de santé dans une USLD(2) d’un pôle de gérontologie clinique. « Nous avons réfléchi avec les médecins avant le déclenchement du Plan blanc, puisque les personnes âgées sont les plus à risque, pour les prendre en charge avec du personnel dédié, en les isolant pour ne pas contaminer les autres patients, souligne-t-elle. Nous avons ainsi mis en place une aile Covid. » Une des difficultés en gériatrie est de demander aux patients de garder un masque. « Tous les matins, nous avons une cellule de veille avec les médecins, cadres et psychologues, pour faire remonter nos problématiques et adapter au jour le jour la trajectoire, ajoute la cadre. Le redéploiement des IDE des autres services du CHU nous a permis d’armer 30 lits. Elles ont été formées à l’habillage Covid et on a créé des binômes avec une ancienne et une nouvelle infirmière pour garder l’expertise de la gérontologie. »
L’arrivée en décalé de la vague a aussi permis des renforts de personnels entre régions. Ainsi, Marie, IDE en pneumologie-infectiologie dans un hôpital public du Sud de la France, s’est porté volontaire pour renforcer une unité Covid à l’hôpital Bichat, à Paris, durant ses congés. « À notre arrivée, nous avons été accueillis par la direction des soins qui nous a fait visiter les locaux et la cadre nous a présentés à l’équipe, décrit-elle. Avant mon poste actuel, j’avais fait beaucoup d’intérim, ce qui aide à vite s’adapter. Le plus long à mettre en place a été le port des tenues de sécurité. Il y a moins de technicité que dans mon exercice habituel mais tout prend beaucoup de temps, d’autant que les patients sont très anxieux. Mais les équipes ont été très accueillantes et aidantes. » Marie ne connaît pas encore le montant de sa rémunération pour cette semaine à Paris, mais ce n’était pas la question primordiale pour elle quand elle s’est engagée.
Nicolas Capelle est IDE en réanimation chirurgicale à Bichat. La capacité d’adaptation et de solidarité de l’hôpital public en cette période ne l’a pas surpris. « Nous n’avions pas le choix donc nous nous sommes serrés les coudes et nous avons avancé même si c’est dur, commente- t-il. Ainsi, pendant deux ou trois mois, on peut tenir, même si c’est de manière bancale. Mais il ne faut pas oublier que tout l’hôpital public a été en grève toute l’année dernière, qu’il n’a jamais été entendu et que le soutien de l’opinion publique a été modéré. C’est dommage d’avoir dû attendre une crise de cette ampleur pour être enfin reconnu. » À Mulhouse, le 25 mars, Emmanuel Macron s’est engagé à ce qu’à « l’issue de cette crise, un plan massif d’investissements et de revalorisation de l’ensemble des carrières soit construit pour notre hôpital ». Le monde infirmier y sera vigilant.
1- Polymerase Chain Reaction, soit « réaction en chaîne par polymérase ». C’est une méthode de biologie moléculaire d’amplification génique in vitro.
2- Unité de soins de longue durée.
Dans son allocution télévisée annonçant le prolongement du confinement jusqu’au 11 mai, Emmanuel Macron a indiqué que les visites des proches dans les Ehpad pourraient néanmoins être aménagées sous certaines conditions. Dans les faits, la plupart des établissements pratiquaient déjà le confinement avec discernement. À Doué-en-Anjou, dans le Maine-et- Loire, aucun résident de l’Ehpad du CH n’était touché par le coronavirus mi-avril. « Nous avons limité les visites très tôt, explique Dominique Jouanno, cadre de santé. Elles sont exceptionnelles désormais et seulement autorisées après accord de la direction, notamment pour les résidents en fin de vie. »
L’Ehpad met ainsi tout en œuvre pour empêcher le virus de s’introduire. « L’entrée du personnel se fait par le sous-sol. Nous tenons un registre des entrées et sorties et il y a une prise de température chaque jour, raconte la cadre . Le personnel revêt à cet endroit les tenues de protection et utilise le gel hydroalcoolique. L’équipe d’hôtellerie a été renforcée pour le ménage : les rampes d’escalier, les boutons d’ascenseur, les poignées de porte et les interrupteurs sont désinfectés très régulièrement. » Les liens avec les familles sont maintenus et encouragés. Celles-ci peuvent toujours déposer fleurs et gâteaux mais sans entrer dans le bâtiment. En outre, chaque famille peut réserver deux créneaux d’une heure par semaine pour communiquer avec leur proche par appel vidéo. « Les résidents même atteints de la maladie d’Alzheimer reconnaissent bien leur famille à l’écran, cela lève beaucoup de stress de part et d’autre », souligne Dominique Jouanno.