SOINS PALLIATIFS À DOMICILE
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REGARDS CROISÉS
La crise du coronavirus a mis en lumière les difficultés des professionnels de santé spécialisés en soins palliatifs intervenant à domicile. Mais, même en temps normal, la situation était déjà préoccupante, alertent-ils.
« C’est l’art de la débrouille »
Oui, bien sûr, les soins palliatifs à domicile représentent le tiers de notre activité habituelle. Mais la situation n’est clairement pas satisfaisante. Aujourd’hui, 70 % des Français décèdent toujours à l’hôpital, alors que nombre d’entre eux souhaiteraient rester sur leur lieu de vie jusqu’à leur mort. C’est le grand échec de notre société et de notre système de santé. La crise du coronavirus, en exacerbant les difficultés que nous rencontrons d’ordinaire, illustre parfaitement ce que nous n’avons pas réussi à faire. Depuis 2007, les établissements d’HAD peuvent intervenir dans les Ehpad et c’est une bonne chose, 80 % des conventions de coopération ont été signées. Mais encore faut-il les faire vivre ! Car les établissements d’HAD ne peuvent intervenir que si on le leur de mande. Or, les Ehpad les sollicitent trop rarement. Je ne comprends pas ces réticences alors que les HAD apportent toutes les compétences inhérentes aux soins palliatifs : des protocoles, des médicaments, l’oxygénothérapie, la compétence médicale, le suivi psychologique…
Exceptionnellement, plutôt que d’attendre une sollicitation, beaucoup d’HAD ont fait la démarche de signaler leur disponibilité. Nous sommes des opérationnels : quand la situation l’exige, on part tous au combat et on s’adapte ! Mais on n’en registre pas une hausse des interventions en adéquation avec le nombre de décès annoncés, même si depuis quelques jours, la demande augmente, surtout en Île-de-France. Pourtant, depuis le début de la crise, les établissements d’HAD anticipent. Quand ça commence à flamber quelque part, on renforce nos équipes de salariés et on mobilise les infirmières libérales. On veille à se doter du matériel de protection, même s’il est parfois difficile d’en trouver (notamment les surblouses), à disposer de pompes et d’appareils d’oxygénation. C’est l’art de la débrouille : on frappe à toutes les portes… Nous sommes donc prêts mais je déplore qu’on nous demande d’intervenir si tard, voire pas du tout. A contrario, je tiens à souligner la qualité de la coopération avec les infirmières libérales, avec qui nous nous retrouvons côte à côte pour offrir nos soins.
Il y a un vrai besoin de formation en soins palliatifs, que ce soit des médecins ou des infirmières, car il est difficile pour nous de trouver suffisamment de professionnels spécialisés. Je ne pense pas que la pratique avancée, qu’on a tendance à mettre à toutes les sauces, soit la solution, car c’est oublier que les infirmières peuvent déjà s’inscrire à des DU de soins palliatifs. Cette compétence est un vrai plus dans une équipe et s’avère très complémentaire de l’expertise des médecins. Ensuite, il ne faudrait pas tirer de mauvaises conclusions de la crise sanitaire actuelle, par exemple estimer nécessaire de rouvrir des lits dans les services hospitaliers avec hébergement et mettre un coup d’arrêt à la modernisation de notre système de soins. Surtout avec la crise économique dramatique que l’on va vivre…
« C’est un vrai cauchemar »
Le domicile est le parent pauvre des soins palliatifs. En 2008, des réseaux ont été mis en place mais ils tendent à disparaître au profit des plateformes territoriales d’appui. Les professionnels de santé spécialisés en soins palliatifs sont donc noyés parmi les autres et leur expertise se perd. Pour les IDE, cela induit une grande difficulté à trouver des personnes ressources qualifiées quand on fait appel au réseau. Souvent, celles-ci ne sont disponibles que du lundi au vendredi, en journée, sans astreinte… Alors que les soins palliatifs à domicile, c’est 24h/24 !
C’est un défi important pour la Sfap, un de ses groupes de travail y réfléchit depuis la mise en œuvre, en 2018, de la formation menant au diplôme d’État d’IPA. La formation et le déploiement des IPA soins palliatifs contribuerait à une large diffusion de la culture palliative. Cela devrait aussi améliorer l’accompagnement dans la durée, dès l’annonce de la maladie, à domicile ou en institution. L’accroissement de l’expertise clinique, des compétences en leadership, en réflexion éthique, dans la collaboration pluri-professionnelle, la recherche et l’enseignement permettrait de répondre aux enjeux de santé publique que sont le développement des soins palliatifs et l’accompagnement en fin de vie.
La culture palliative est propulsée sur le devant de la scène. Plus que jamais, les soignants ont besoin d’échanger sur ce qu’ils vivent. C’est une situation inédite: de nombreuses personnes isolées, chez elles ou en Ehpad, ont besoin de nos soins. Les demandes augmentent sans qu’on sache comment cela va évoluer. On nage en eaux troubles.
Pour faire face, la CPTS du Grand Gaillacois a mis en place des équipes mobiles dédiées : des Idel volontaires sortent de leur tournée pour ne s’occuper que de patients testés ou suspects Covid-19. Cela nous permet d’assurer la continuité des soins tout en nous protégeant, nous et les patients. Les médecins du réseau proposent également une astreinte médicale par téléphone vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour les médecins libéraux. Nous sommes bien sûr en lien avec les équipes mobiles hospitalières et les unités de soins palliatifs. Il faut construire de nouvelles solidarités et anticiper les difficultés que génère le Covid-19 dans la démarche palliative, comme les liens avec les familles mises à l’écart dans l’accompagnement de leur proche et le processus de deuil.
C’est un vrai cauchemar ! Nous n’avons pas de matériel de protection, on court après les masques ! Par ailleurs, nous ne disposons pas des molécules nécessaires au soulagement des patients. Que faire quand une personne est en dyspnée et souffre ? L’Hypnovel, recommandé par la Sfap, n’est plus disponible à l’hôpital, et encore moins à domicile. Il y aussi une pénurie de Rivotril… C’est très difficile, dans ces conditions, de répondre rapidement à une situation d’asphyxie, par exemple. Cependant, nous sommes mobilisés et nous nous organisons pour réunir les molécules nécessaires dans des « kits soins palliatifs ». On s’adapte, on invente et on s’entraide…
PRÉSIDENTE DE LA FÉDÉRATION NATIONALE DES ÉTABLISSEMENTS D’HOSPITALISATION À DOMICILE (FNEHAD)
→ 1981-1994 : médecin généraliste à Nantes
→ 1986-1995 : députée de la Loire-Atlantique
→ 1995 : ministre de la Santé publique et de l’Assurance maladie
→ Depuis 2006 : présidente de la Fnehad
→ Depuis 2007 : présidente fondatrice d’HAD France, société gestionnaire d’hospitalisation à domicile
1- Communauté professionnelle territoriale de santé.
2- Inspection générale des affaires sociales.
INFIRMIÈRE, MEMBRE DU CONSEIL D’ADMINISTRATION DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’ACCOMPAGNEMENT ET DE SOINS PALLIATIFS (SFAP)
→ 1995-1999 : formation d’infirmière dans une unité de soins palliatifs en Alsace
→ 2008-2016 : infirmière coordinatrice dans le réseau de soins palliatifs du Tarn
→ 2018 : entre au conseil d’administration de la Sfap
→ 2018-2019 : obtient un master d’éthique, puis un DU de soins de support
→ 2020 : infirmière coordinatrice des équipes mobiles Covid-19 de la CPTS (1) du Grand Gaillacois (Tarn)
→ Depuis le début de la crise sanitaire, les professionnels de santé spécialistes des soins palliatifs à domicile sont très sollicités. Une situation d’autant plus tendue que le matériel de protection et les médicaments indispensables au soulagement des patients manquent cruellement. À tel point que le Pr Claude Jeandel, président du Conseil national professionnel de gériatrie, a réclamé début avril au ministre de la Santé d’assurer l’accès aux médicaments recommandés par la Sfap « pour une prise en charge digne de la détresse respiratoire asphyxique des très nombreux résidents qui décéderont en Ehpad ».
→ Cette crise exacerbe les difficultés préexistantes des soins palliatifs à domicile. Dans son évaluation du plan soins palliatifs 2015-2018, l’Igas pointait ainsi que « la majorité des actions a été mise en œuvre de façon partielle, voire a été abandonnée car jugée non pertinente, comme le doublement des prescriptions de soins palliatifs en HAD ».