L'infirmière Magazine n° 416 du 01/06/2020

 

INFIRMIÈRES SCOLAIRES

ACTUALITÉS

FOCUS

MURIELLE CHALOT  

L’annonce, le 12 mars, de la fermeture des établissements scolaires dès le lundi suivant a surpris la communauté éducative. Les IDE scolaires étaient bien mal armées pour affronter un confinement durable. Retour sur ces mois éprouvants, riches de leçons pour l’avenir.

Cacophonique. » L’adjectif revient chez les professionnels de l’Éducation nationale pour qualifier leur mise en confinement anticipé mi-mars. Si des directives ont rapidement été données pour assurer la continuité pédagogique, « le ministère n’a pas organisé la continuité du suivi en santé des élèves (…) ni dirigé vers les infirmières de l’Éducation nationale les jeunes en situation de détresse », déplore le Snics-FSU (1), premier syndicat re présentatif de la profession. Et pour cause, puisque les outils mis à disposition des éducateurs en santé pour assurer leur mission à distance sont quasi inexistants. « Comment faire lorsque nous n’avons pas d’ordinateur personnel, pas de téléphone portable professionnel, pas les codes de Pronote et l’ENT pour diffuser des informations à tous les élèves ? » témoigne une infirmière scolaire (2) de l’Essonne sur le site du Snics.

Système D

« Très peu de collègues disposent d’un ordinateur portable doté des logiciels professionnels », confirme Brigitte Accart, secrétaire générale du Snies Unsa éducation (3). Sans accès à la base élèves, l’IDE ne peut avoir connaissance des élèves absents chroniques pour les contacter et comprendre les raisons du décrochage que si l’équipe pédagogique et de direction lui transmet l’information. Or, cette considération envers l’IDE varie d’une structure à l’autre. « Nombre de collègues ont dû recourir au système D pour maintenir le lien : Instagram, WhatsApp, Facebook, messagerie perso », liste Brigitte Accart. « J’ai siphonné mon ordinateur du boulot pour pouvoir travailler chez moi, raconte Chantal Sabatier, IDE au collège de Lamuresur-Azergues, dans le Rhône. Mais des collègues qui n’ont pas pu anticiper se sont trouvées désemparées, en proie à un sentiment de culpabilité et de solitude, avec une vraie souffrance professionnelle à la clé. » L’improvisation qui a caractérisé cet épisode inédit de travail à distance « doit faire naître une véritable réflexion, plaide le Snies. Le ministère doit nous donner les moyens matériels de pouvoir effectuer un véritable télétravail. » De son côté, le Snics considère indispensable de « rendre accessible le recours à distance des élèves aux consultations infirmières ». Dans un courrier du 7 avril adressé au ministre de l’Éducation Jean-Michel Blanquer (4), le syndicat demande ainsi « la mise en place d’une application mobile » de nature à « prévenir nombre de dommages collatéraux engendrés par cette épidémie », comme le suicide, le 1er avril au Havre, d’une adolescente de 16 ans bien connue de l’infirmerie de son lycée. De même, le syndicat rappelle que « les infirmières de l’Éducation nationale sont bien souvent les premières interlocutrices » des mineures victimes de grossesse non désirée, « qu’elles soutiennent, motivent et orientent vers les partenaires extérieurs adaptés ». Selon une étude maison, ces infirmières « ont administré, au cours de l’année scolaire 2018-2019, 13 025 contraceptions d’urgence (dont 77,5 % à des élèves mineures) ».

Ne pas déshabiller le secondaire

Livrées à elles-mêmes lors du confinement, les infirmières scolaires ne sont guère mieux traitées par le protocole de déconfinement publié début mai par le ministère de l’Éducation nationale, dont elles sont quasi absentes, comme s’en émeut le Snics qui exprime sa « totale incompréhension de voir minorer le rôle primordial des infirmières ». Alors que le syndicat souhaitait pouvoir prescrire des tests de dépistage du Covid-19, non seulement le Gouvernement n’a pas retenu cette option, mais l’IDE n’est même pas le premier recours cité en cas de suspicion de contamination (5). Autre inquiétude : le projet ministériel de redéployer les postes du second vers le premier degré. « Il serait très dangereux de déshabiller le secondaire, prévient Saphia Guereschi, secrétaire générale du Snics. Plus le confinement dure, plus il est important que l’IDE scolaire, même à distance, puisse travailler avec les élèves, aller à la recherche des décrocheurs pour limiter la casse en septembre. » « On pense que les lycéens sont grands, mais il y a un gros travail de prévention à faire, beaucoup de rumeurs à rectifier », abonde Julia Soriano, infirmière au lycée Flaubert de Rouen, en Seine-Maritime. « Pour ces ados, se retrouver sept jours sur sept avec les parents pendant des mois, privés des copains, cela peut être source d’un mal-être important », relève-t-elle. « La politique de saupoudrage et redéploiements en cours » est la conséquence du « manque criant de moyens, préexistant à la crise sanitaire », pointe le Snics, lequel estime qu’« il faudrait tripler » les effectifs « pour atteindre environ 22000 postes » (6). Des doléances que les syndicats auront l’occasion d’exposer cet été dans les groupes de travail annoncés par le ministère de l’Éducation pour préparer la rentrée prévue en septembre.

1- Syndicat national des infirmières conseillères de santé de la Fédération syndicale unitaire.

2- Pronote et l’Environnement numérique de travail sont des logiciels de la vie scolaire des établissements du second degré.

3- Syndicat national des infirmières éducatrices en santé de l’Union nationale des syndicats autonomes.

4- À lire sur : bit.ly/2zUfwsI

5- Selon le protocole, c’est le chef d’établissement qui doit gérer les cas suspects.

6- Il y a actuellement quelque 7700 postes d’infirmières de l’Éducation nationale devant élèves pour accueillir, accompagner et répondre aux besoins de santé des près de 12 millions d’élèves et d’étudiants des 7815 établissements publics du second degré, des 45401 écoles publiques ainsi que de toutes les universités.