En pleine épidémie de coronavirus, Emmanuel Macron avait promis que l’hôpital bénéficierait d’un « plan massif » une fois la crise passée. Mais depuis, les autorités restent muettes sur cette question. « L’Infirmière magazine » a donc voulu savoir ce qui figurerait dans ce fameux plan… si les IDE tenaient la plume.
À l’issue de cette crise, un plan massif d’investissement et de revalorisation de l’ensemble des carrières sera construit pour notre hôpital. » Ces mots ont été prononcés par Emmanuel Macron le 25 mars dernier devant un hôpital de campagne du Service de santé des armées (SSA) installé à Mulhouse. Au plus fort de l’épidémie, dans la région la plus touchée, Emmanuel Macron n’hésitait alors pas à promettre monts et merveilles aux soignants, tel un général cherchant à insuffler l’espoir dans le cœur de ses soldats.
Mais, à l’heure où nous écrivons ces lignes, aucun acte n’est venu étayer ces belles paroles. Manquerait-on d’idées en haut lieu ? Si tel est le cas, le gouvernement peut se tourner vers les infirmières, qui ont bien des suggestions à inclure dans le futur plan gouvernemental.
Bien sûr, quand on leur demande leur avis sur ce que devrait contenir cette énième réforme du secteur de la santé, les infirmières citent en priorité le triptyque scandé depuis plus d’un an par les mouvements qui, du Collectif inter-urgences au Collectif inter-hôpitaux, agitent la vie sociale à l’hôpital public : des augmentations de salaire, des embauches, des ouvertures de lits… Cette musique ternaire est un véritable refrain pour la profession, et il est difficile de parler du plan postcrise avec une infirmière sans qu’elle en cite au moins l’un des éléments… y compris quand cette infirmière appartient à la majorité présidentielle. « Il faudra que ce plan soit tourné vers la revalorisation des carrières, explique par exemple Audrey Dufeu-Schubert, députée LREM de Loire-Atlantique et an cienne infirmière. C’est incontournable, les paramédicaux français comptent parmi les moins bien payés d’Europe. »
Une affirmation que ne renierait pas Céline Laville, présidente de la Coordination nationale infirmière (CNI). « Aujourd’hui, les fameux 2 800 € bruts en fin de carrière pour une infirmière à l’hôpital sont quelque chose d’utopique, affirme la syndicaliste. Pour peu qu’une infirmière ne soit diplômée qu’à 24 ou 25 ans parce qu’elle a un peu travaillé avant, pour peu qu’elle ait un parcours non linéaire avec une disponibilité pour faire du libéral, pour peu qu’elle soit issue d’une promotion professionnelle, elle n’ira jamais au bout de la grille… Il faut donc revoir les grilles et les avancements. »
Et la question de la rémunération dans le futur plan d’investissement pour l’hôpital touche tous les secteurs de la profession, y compris les plus jeunes. « La souffrance est la même que l’on soit infirmière ou étudiant en soins infirmiers, note ainsi Vincent Opitz, vice-président de la Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers (Fnesi). Les ESI attendent donc une revalorisation de leurs indemnités. » Revalorisation d’autant plus nécessaire que la crise sanitaire a aggravé les difficultés financières vécues par certains étudiants, ce qui augmente d’autant leurs souffrances psycholo giques, voire physiques, ajoute-t-il.
Mais les revalorisations salariales ne sont que le premier des trois temps de la valse que les infirmières appellent le gouvernement à mettre en musique pour l’hôpital.
Le deuxième temps, c’est celui de l’augmentation des capacités hospitalières. « Si je devais écrire ce plan, il contiendrait une réelle réflexion sur le nombre de lits, explique Céline Laville. Depuis des années, on cherche à rentabiliser le moindre lit, en faisant des comptes d’apothicaire par lit et par an… Et le jour où arrive une grosse épidémie, on se rend compte qu’on n’en a pas assez. »
Sophie Chrétien, présidente de l’Association nationale française des infirmières de pratique avancée (Anfipa), insiste sur le troisième et dernier temps de la danse : celui des effectifs. « Pour travailler, ce dont les infirmières ont besoin, c’est d’être en sécurité, estime-t-elle. Et qu’estce qui leur permet de se sentir en sécurité ? C’est d’être en nombre suffisant. La littérature a d’ailleurs démontré que le fait pour les infirmières d’avoir un nombre limité de patients à prendre en charge avait un effet sur la mortalité. »
Nous voici arrivés au bout du rythme ternaire scandé par les mobilisations hospitalières depuis des mois. Mais les amateurs de Jacques Brel le savent bien, une valse peut avoir bien plus de trois temps. Les idées des infirmières pour l’après-crise dépassent donc largement la question des moyens. L’un de leurs chevaux de bataille est, sans surprise, la revalorisation de leurs compétences. Au cœur des préoccupations, la question des infirmières de pratique avancée (IPA). « La crise a été un accélérateur de la mise en œuvre de leur activité, à l’hôpital comme en ville », estime par exemple Sophie Chrétien.
Celle-ci constate notamment qu’en appelant les patients au lieu d’attendre qu’ils se manifestent, certaines IPA se sont positionnées comme un maillon essentiel du parcours et du suivi des patients. « Cela a déchargé les médecins qui étaient concentrés sur autre chose et qui, du coup, en faisant confiance à l’IPA, ont découvert la réalité de son travail, ont réalisé qu’elle posait des questions que lui n’aurait pas posées, notamment sur le domicile… » Pour Sophie Chrétien, il ne fait aucun doute que la crise a « mis en lumière » le travail des IPA, et que l’après-crise doit compter avec elles.
La députée LREM Audrey Dufeu-Schubert n’est pas en désaccord. « Il faudra des IPA, j’en suis convaincue à 200 %, c’est indéniable », affirme l’ex-infirmière. Ces professionnelles doivent à son sens jouer dans le monde d’après le rôle de « relais de compétence dans les territoire s », ce qui implique, selon elle, qu’elles deviennent plus polyvalentes. « Je me suis toujours interrogée sur la spécialisation des IPA en fonction d’une seule pathologie : insuffisance rénale, diabète…, estime la parlementaire. Il faut, selon moi, plus de transversalité. »
Mais la question de la montée en compétence des infirmières n’est pas limitée à celle des IPA. Du côté des étudiants infirmiers, on insiste par exemple sur la poursuite de la réingénierie des formations infirmières et de l’universitarisation de la profession, qui lui permettraient de prendre de nouvelles responsabilités. « Cela permettrait aux services de santé d’avancer plus vite, plus efficacement, sans être embolisés par des fonctionnements qui per sistent depuis de trop nombreuses années », avance Vincent Opitz, de la Fnesi. En clair, des IDE mieux formées prenant davantage de responsabilités permettrait de décharger d’autres professionnels de santé et d’améliorer le fonctionnement du système de santé.
Chez les infirmières spécialisées aussi, on estime que l’après-crise doit faire la part belle à des professionnelles disposant de compétences élargies. « Qu’il s’agisse des Ibode, des Iade ou encore des puéricultrices, des compétences existent, mais elles ne sont pas utilisées à bon escient », regrette Magali Delhoste, présidente de l’Union nationale des associations d’infirmières de bloc opératoire (Unaibode). Et celle-ci estime qu’il est d’autant plus essentiel d’utiliser ces compétences dans le cadre du futur plan hospitalier que les déserts médicaux et la pénurie d’internes augmentent les besoins. « Il y a une place à prendre », estime la représentante des infirmières de bloc opératoire.
Prenant l’exemple de sa spécialité, Magali Delhoste considère notamment que des Ibode bien formées pourraient réaliser certaines consultations post-opératoires, lesquelles sont actuellement effectuées par le chirurgien.
Mais la présidente de l’Unaibode ne s’arrête pas là. Au-delà d’une revalorisation de leurs compétences, c’est à une revalorisation de leur rôle au sein de l’hôpital que les infirmières doivent, selon elle, travailler. « Nous, les Ibode, sommes formées à la gestion des risques, et prévoir l’imprévisible constitue notre quotidien, détaille-t-elle. Or, on voit bien que la gestion des risques a été défaillante dans cette crise, de la part des directions hospitalières et des autorités sanitaires. Demain, nous souhaitons que les médecins et les paramédicaux, qui ont cette culture de la gestion des risques, soient davantage présents dans la gestion hospitalière. »
Céline Laville, de la CNI, abonde en son sens. « Il faut changer la gouvernance de l’hôpital pour y remettre ceux qui sont sur le terrain tous les jours », estime-t-elle. La responsable syndicale en appelle à la pleine application de la loi Bachelot de 2008. En instituant les fameux pôles, celle-ci prévoyait qu’au moins deux fois par an, des réunions de concertation et de réflexion qui réuniraient l’ensemble des professions y soient menées.
« Ce genre de réunion s’est tenu les deux premières années mais aujourd’hui, je pense que les pôles qui les organisent sont rares… », regrette-t-elle. Une véritable participation des soignants à la gouvernance des pôles pourrait selon elle grandement améliorer une situation où actuellement, « c’est seulement le trio composé de la direction administrative, de la direction médicale et de l’encadrement supérieur qui fait ses choix ».
Mais il y a un « mais ». Car les réorganisations de la gouvernance et les revalorisations de compétences ont un coût certain. Sans parler des trois premiers temps de la valse que sont les augmentations de salaire, les ouvertures de lits et les recru tements de personnel. Certes, Emmanuel Macron avait estimé dans son allocution du 12 mars que « la santé n’a pas de prix », et avait assuré que la France mobiliserait « tous les moyens financiers nécessaires » pour lutter contre le virus, « quoi qu’il en coûte ». Cette détermination perdurera-t-elle au-delà de la crise ?
« J’ai envie de le croire, et de toute façon, on n’a pas le choix, répond Céline Laville. Il a dit “quoi qu’il en coûte”, c’est ce que je retiens. » Sur les bancs de la majorité, Audrey Dufeu-Schubert se veut optimiste. « Ce “quoi qu’il en coûte” aura forcément un coût, et ce coût sera celui que les Français seront prêts à prioriser », prévoit-elle. Or, la priorité est selon elle désormais à la santé : le soutien de l’opinion publique aux soignants, qui s’était déjà manifesté lors des mobilisations de l’année dernière, n’a fait d’après la députée que se renforcer à l’occasion de la crise. Reste à savoir si, avec la récession économique qui se profile et qui diminuera grandement les ressources que l’État peut investir dans le secteur de la santé, la volonté, la détermination et le soutien populaire suffiront à changer la donne à l’hôpital.
CÉLINE LAVILLE PRÉSIDENTE DE LA CNI
Aujourd’hui, les fameux 2 800 € bruts en fin de carrière pour une infirmière à l’hôpital sont quelque chose d’utopique. (…) Il faut donc revoir les grilles et les avancements.
SOPHIE CHRÉTIEN PRÉSIDENTE DE L’ANFIPA
Pour travailler, ce dont les infirmières ont besoin, c’est d’être en sécurité. Et qu’est-ce qui leur permet de se sentir en sécurité ? C’est d’être en nombre suffisant.
→ Lydwine Vaillant, ancienne cadre dans l’industrie pharmaceutique, auteure d’un livre intitulé Réinventons le secteur de la santé(1)
1- En quoi le management est-il selon vous l’une des clés des réformes hospitalières à venir ?
Le système hospitalier est aujourd’hui contraint, hiérarchisé, cloisonné, tourné vers la tarification à l’activité… On voit des personnes qui ont une éthique exemplaire et qui sont malheureuses, on leur demande de faire un travail qui n’est pas cohérent avec ce qui les animait quand elles ont fait leurs études. Il est aujourd’hui essentiel de libérer les initiatives et les énergies.
2- Votre livre donne plusieurs exemples pour y parvenir. Pouvez-vous en citer un ?
À l’hôpital, je peux citer l’exemple de la démarche participative de l’Afsos (Association francophone des soins oncologiques de support, NDLR), mise en œuvre par le Pr Philippe Colombat au CHU de Tours en soins palliatifs, mais qui s’applique aussi à la prise en charge des pathologies chroniques. C’est un management plus humain qui s’attache à favoriser des espaces d’échanges pour intégrer l’avis des infirmières et aides-soignantes dans les décisions de prise en charge.
3- Mettre l’accent sur le management, c’est éclipser la question des moyens. Peut-on continuer à faire plus avec moins ?
Il y a un déficit de moyens humains à l’hôpital, c’est évident. Le point de départ est d’avoir assez de personnels pour assurer une qualité des soins. Mais si on continue de faire la même chose, on va retomber dans les mêmes travers. Ce n’est donc pas qu’une question financière, il faut modifier le mode de fonctionnement. Ce sont des transformations de longue haleine, qui demandent beaucoup de patience.
PROPOS RECUEILLIS PAR A.R.
1- Paru aux éditions Afnor, en janvier 2020.
En promettant un plan pour l’hôpital, le président de la République a semblé faire peu de cas du secteur libéral. Ce qui n’est pas vraiment du goût des Idel. « Pendant cette crise, on a eu l’impression que l’hôpital se refermait sur lui-même, qu’il avait oublié que la ville existait, déplore Lucienne Claustres, présidente de l’Union régionale des professionnels de santé (URPS) infirmiers en Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca). Or, depuis le début de la crise, les Idel ont assumé la continuité des soins sans rechigner. » Pour elle, l’après-pandémie doit être radicalement différent. « Avant, le discours dominant était que tout le monde devait être soigné hors de l’hôpital, tout le monde devait être en ambulatoire, note la libérale. Pendant la crise, tout le monde devait au contraire aller à l’hôpital. Et maintenant, on a l’impression que tous les financements vont aller vers l’hôpital. Il va peutêtre falloir trouver un juste milieu, trouver un moyen de faire communiquer les deux mondes. »
MAGALI DELHOSTE PRÉSIDENTE DE L’UNAIBODE
On voit bien que la gestion des risques a été défaillante dans cette crise, de la part des directions hospitalières et des autorités sanitaires.