L'infirmière Magazine n° 416 du 01/06/2020

 

ADDICTOLOGIE

DOSSIER

L.G  

À l’hôpital Bichat (AP-HP), d’anciens malades alcoolo-dépendants participent à la prise en soin des nouveaux venus. Ariane Pommery, pionnière dans ce rôle, raconte son parcours.

La voix est chaleureuse, le ton enjoué… Même par téléphone, on devine un grand sourire. « Tous les mercredis, je suis à Bichat aux côtés de l’équipe d’addictologie », s’enthousiasme Ariane Pommery. Son nom apparaît dans des publications scientifiques, des colloques ou des programmes de formation. Pourtant, elle n’a pas de diplôme médical. Son expertise, elle l’a tirée de sa propre histoire. « À 15 ans, je suis devenue anorexique et boulimique. Ça a été un engrenage effroyable, se rappelle-telle. Je ne m’en suis sortie que vers 40 ans… » Prise en charge pour sa boulimie, elle parvient à faire cesser les vomissements. En parallèle, elle se rend compte qu’elle boit de plus en plus d’alcool. « Cette consommation était en quelque sorte une solution à mon trouble du comportement alimentaire. » Elle rencontre alors à l’hôpital Bichat le Pr Michel Lejoyeux, chef du service d’addictologie, qui lui propose une hospitalisation. « J’ai accepté d’entrer à l’hôpital, mais en m’attendant à une expérience brutale, qui allait vider ma vie d’une partie de son sens, raconte-t-elle. Dans le contrat de sevrage, je m’étais engagée à recevoir la visite de patients experts dans ma chambre. J’ai vu arriver deux personnes très gaies, qui m’ont donné une image positive de ce que serait ma vie d’après. »

« Les patients savent qu’on les comprend »

La participation aux groupes de parole fait aussi partie des soins prescrits. « Peu à peu, je suis passée à une phase où l’alcool ne faisait plus partie de ma vie, mais de mon histoire. Mes interventions dans le groupe visaient alors davantage à accompagner les autres », analyse Ariane Pommery. Désireuse de poursuivre dans cette voie, elle se forme en alcoologie, puis participe à l’élaboration d’un protocole spécifique avec les équipes de Bichat et d’autres anciens patients. « Nous nous sommes beaucoup inspirés du modèle de Montréal », précise-t-elle.

À son tour désormais de se rendre dans la chambre des personnes hospitalisées, pour témoigner de son expérience et les épauler. « Les patients savent qu’on les comprend… On peut plus facilement leur expliquer certains aspects de leur prise en charge, leur raconter en quoi tel protocole difficile nous a été utile… Le but est de les aider à devenir acteurs de leur prise en soin », souligne-t-elle. L’accompagnement s’étend au-delà de l’hospitalisation, lors du retour à domicile.

Un mouvement qui fait ses preuves

Membre de l’Association des patients experts en addictologie (APEA) de Bichat, créée en 2016, Ariane Pommery forme d’autres patients experts, des soignants, et participe à un groupe de travail de la HAS. Ses retours auprès des professionnels sont d’une richesse singulière. « Je leur explique qu’une parole, même maladroite, vaut mieux que le silence. Les malades de l’alcool ont honte : ils parlent rarement spontanément. Il faut que les soignants, tous services confondus, osent poser la question de la consommation », conseille-t-elle. Dans les formations initiales, en Ifsi ou en médecine, elle peut illustrer par des anecdotes des critères théoriques : des interventions marquantes pour les étudiants. « La présence des patients partenaires est motivante pour les équipes d’addictologie : cela leur permet de voir leurs anciens patients guéris, qui vont bien », remarque-t-elle. Le travail mené par l’APEA a été récompensé en 2018 par un Trophée patients de l’AP-HP. « Les médecins et les institutions prennent conscience de l’intérêt des patients experts à leurs côtés », se félicite Ariane Pommery, qui rêve du jour où leur place sera généralisée dans les établissements. « Le mouvement est lancé », sourit cette infatigable militante.

EN SAVOIR PLUS

→ « Le Montreal model : enjeux du partenariat relationnel entre patients et professionnels de la santé », à lire sur le site du Cairn : bit.ly/3flK3zZ

PARTENARIAT

Le modèle de Montréal

La faculté de médecine de l’université de Montréal a développé depuis 2010 un modèle de partenariat entre patients et professionnels de santé. Complémentaires des connaissances théoriques des soignants, les savoirs expérientiels des patients sont vus comme des compétences à part entière. Si elles peuvent être déployées dans les domaines de la recherche ou de l’enseignement, elles rendent aussi possible un véritable partenariat lors de la prise en charge. Ainsi, le patient est pleinement associé aux décisions qui le concernent : il participe aux réunions pluridisciplinaires, éventuellement assisté d’un patient expert, et sa voix compte autant que celle des professionnels.